On
prête à Socrate d'avoir inventé cet art de l'accouchement des
idées. Il n'enseignait pas, dit-on, mais
questionnait ses élèves, tout en marchant, jusqu'à ce qu'ils
réalisent le fond même de leurs pensées, de leurs propre réalité.
Mais de quoi s'agit-il ?
Tout
d'abord, le principe part de l'idée que l'enseignant ne sait pas
vraiment ce que cherche l'élève ou disciple, et surtout il ne sait
pas quelle est la vérité à révéler s'il y en a une... Est-il
bien un enseignant alors, me direz-vous ? Absolument, et ce
doute qui est devenu scientifique, dirige la démarche. Depuis
Schopenhauer, réinstallé involontairement par les constructivistes
de Palo Alto, nous savons que la réalité n'est jamais que la
conscience que nous avons du monde. Ainsi, nous questionner nous
permet de revisiter cette conscience que nous avons des
choses du monde, nous permettant ainsi d’effectuer des mises à
jour. La question est donc bien “apprenante”. Elle est tout
un art, voire même, une intelligence.
Il
me revient cette historiette très ancienne où un quidam
demande à un jésuite s'il est bien vrai que les gens de sa
confrérie ne répondent jamais aux questions que par une autre
question. Le jésuite lui répondit : "Mais, qui vous a dit
ça ?...". On peut supposer alors que le questionneur va revisiter sa posture...
Il
me
revient aussi cette remarque de consultant qui, repéré par son
client dans sa méthode de questionnements permanent, lui dit que la
question "Qu'est-ce qui vous le fait dire ?", constitue
bien “LA” question méthodologique du consultant, et
par là même, celle qui permet d'aller toujours plus loin.
L'idée de ce consultant était de chercher avec le client les causes
cachées, de manière à les traiter. Le consultant, par
définition, ne sait jamais ce qu'il cherche (nous
parlons là des “vrais” consultants…) .
Nous
avons vu, avec Sénèque et Marc Aurèle,
que ce ne sont pas les choses qui nous gênent, mais le regard
que nous leur portons. Dans ces conditions, la réponse à
tous nos questionnements, se trouve encore et toujours dans nos
cœurs et nos têtes.
Ainsi,
questionner
l'autre, c'est bien l'aider à prendre conscience de sa posture sur
les choses qui, le cas échéant, le gênent. Ce sont justement
les mêmes qu'il pense ne pas connaître (ou bien qu'il
pense à tort bien connaître)... Voilà qui revient alors
à une question de lucidité. Il me souvient encore de
ce professeur de
philo qui passait la moitié de ses cours à nous interroger. Non pas
pour vérifier nos connaissances, comme le faisaient les professeurs
d'histoire et géographie, de mathématique, de physique ou de
chimie, mais pour nous faire prendre conscience du champ de réalité
qu'il était en train d'ouvrir. Dès lors, ce qu'il avait à nous
dire sur tel ou tel philosophe était attendu comme une gourmandise
(pas comme une vérité, certes). Nous avions alors changé de
posture et c'est bien cela le but, celui
qui justement nous enrichit au premier
chef.
Nous
appelons aussi ceci, en psychosociologie, faire un "effet
premier". Tout le monde connait ce jeu de
questionnement où l'animateur demande plusieurs fois à
l'impétrant quelle est la couleur des objets blancs qu'il
lui montre. Ensuite, il lui pose la question, parfois vécue comme un
piège, : "Que boit la vache ?" et l'impétrant répond
neuf fois sur dix : "...du lait !". Eh bien non,
comme tous les autres animaux et humains, elle boit de l'eau. Mais
l'association de liquide, de vache et de blanc, donne symboliquement
du lait. Nous avons déjà vu ce phénomène à
propos de l'intelligence symbolique.
Ce
qui nous intéresse aujourd'hui, c’est
que la question éveille (ou réveille) des éléments de
réalité, et de connaissances, du sujet. Alors
ceux-ci peuvent remonter à la mémoire pour que le
sujet "en use", afin d’en faire de nouveau quelque
chose. Les souvenirs,
disait Lacan, ne bougent pas et ne servent à rien tant qu'on ne les
rappelle pas à la conscience. Nous pouvons dire que tous ces
éléments de connaissance, d'expérience, de réalité sociales,
nous servent à déconstruire et reconstruire notre conscience du
réel, mais à la seule condition que nous les fassions remonter "en
surface".
Souvent
j'ai pris cet exemple du chausseur qui reçoit son ou sa cliente,
écoute ce qu'elle espère trouver dans sa boutique, puis part dans
l'arrière boutique pour en ramener tous les modèles qui
correspondent à l'attente de son ou de sa cliente. Nos phases de
rappel à la mémoire sont ainsi faites.
Nous ramenons dans la "boutique du présent" tous ces
souvenirs, connaissances, expériences, représentations collectives,
que la question de l'enseignant, ou simplement de "l'autre",
a fait remonter à ma
mémoire. C'est cela un effet premier.
Dès
lors, nous pouvons faire quelque chose de tout cela. Ce sont bien ces
éléments qui constituent la base riche de notre
réflexion. Il serait loisible de les nommer aujourd'hui
“bases de données“. Voilà bien la première
démarche que pratiquera un enseignant, un consultant et toute
personne prétendant à l'accompagnement ou au développement
d'autres : questionner afin que les éléments mentaux de l'autre
arrivent “dans la boutique”.
Il
est vrai, comme nous l'avons vu avec
l'effet premier de la question, que ladite question puisse
orienter la remontée des éléments.
C'est aussi l’apanage des questions fermées.
La conséquence peut être alors une remontée quelque peu limitée,
et réduite. La méthode peut aussi paraître quelque
peu manipulatoire. La maïeutique procède différemment.
Elle permet de faire
remonter ouvertement à la conscience les éléments propres à la
personne,
éléments dont
l’enseignant ignore tout. La maïeutique part du principe que
l'impétrant sait bien des choses dont
il n'a pas conscience. C’est justement sur ces connaissances
là que viendront s'ancrer les réalités et informations
nouvelles. La solution, avec ces prémices, lui appartient
en propre.
Il
est ainsi quelques règles intangibles, et de bon sens. Rien
ne sert d'affirmer quoi que ce soit si l'autre n'est pas prêt à le
recevoir. Rien ne se construit dans une tête en désordre. Rien
n'est plus vrai, pour l'impétrant,
que ce qu’il sait
déjà.
Ainsi,
la question reste l'outil par
excellence du développement des connaissances et de soi même. Le
happening, si nous le regardons simplement, sans jugement a priori,
nous pose des questions.
C’est bien pour cela qu'il existe et que certains
l'utilisent. Nous rejetons parfois quelque chose a priori. C’est
ce que nous faisons fréquemment face aux événements de
la vie. Cela vaut pour le happening.
Quand
nous
le rejetons, c'est que nous lui opposons un jugement
de fait basé sur nos certitudes et nos
croyances. La maïeutique est basée sur une tout
autre démarche. En l’espèce, notre posture
d'ouverture (et d'accueil) s’avère être notre meilleure
amie pour notre développement, pour notre bien et celui de
tous. Alors... le fait d’accueillir simplement la question pourrait bien constituer, à lui seul, le début
de la sagesse. Il est possible que ce soit ce qui est en train de se passer ce matin, pour certains, face à l’événement des "Gilets Jaunes"...
Jean-Marc SAURET
Le mardi 4 décembre 2018
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