Dans
les phases de recrutement que nous avons vécues, comme
recruteur (ou comme recruté), il s'est agi, pour les
donner à voir ou pour les reconnaître, de parler de compétences.
Outre lesdites compétences, il était question, inéluctablement, de
savoir faire, voire de savoir être professionnels. Nous avons usé
de récits, de paraboles, de mise à l'étalage de résultats, en
passant des moyens à l'objectif. Cela nous semblait subtil et
nous considérions la démarche sensible, et intelligente.
Nous y avons vu une posture de prise de hauteur pour voir ou donner à
voir ce qui est caché, discret, et perçu parfois comme
dérisoire, voire secondaire. Et pourtant nous savions que
c'était là un essentiel, car nous ne sommes pas recrutés pour
exécuter des tâches, mais pour occuper des fonctions, les animer,
donc leur donner une âme !
En
écoutant le début d'une conférences du célèbre bouddhiste
Matthieu Ricard, je l'entendis parler de talents, de
développement de compétences et d'autres choses essentielles. Il
donnait à cet effet, les exemples suivants : savoir
jongler, savoir jouer d'un instrument de musique, mais aussi savoir
être heureux, être bienveillant, être en paix. Je ne me souviens
pas avoir jamais recherché de telles particularités chez mes
interlocuteurs professionnels, chez ces candidats dont il m'était
donné la charge d'évaluer leur capacité à tenir tel poste. Il ne
m'a jamais été demandé d'en témoigner non plus. Et pourtant, la
bienveillance fait partie des talents nécessaire à un management
efficient. J'ai eu l'habitude de répondre à la question sur ce qui
est l'essentiel du management : "Aimez les gens et le travail
bien fait. Tout le reste ira de soi".
Il
me
souvient aussi que les objectifs d'une entreprise sont assez
différents de ceux que peut professer Matthieu Ricard lors de ses
conférences. Ainsi, rendre les gens heureux, donner de la paix
aux gens, œuvrer pour un monde meilleur, ne semblent pas
inscrits - a priori -, dans les gènes de l’entreprise. Sans que
cela paraisse atypique, on peut affirmer que les chemins d'accès
à des objectifs aussi distants semblent au moins,
“décalés”. Dans l'organisation, nous privilégions la rigueur
budgétaire et procédurale. Dans le développement
personnel orienté vers une société meilleure, nous
parlons plutôt de pleine conscience, de pleine
présence, ou d'attention altruiste. La
méditation constitue en l’espèce, un chemin. L'un vise
essentiellement la production d'objets ou services originaux, quand
l'autre vise à ce que nous soyons meilleurs vers l'objectif.
Simultanément, quand le premier attend du résultat dans un temps
donné, le second déroule une démarche sans jugement aucun.
Les pratiques semblent donc bien distinctes.
Pourtant
ces deux mondes ne sont pas si éloignés que cela. Que vise le
management ? L’efficience de l'organisation.
Que savons nous de ce qui la produit ? L'intelligence collective. Ce
sont les acteurs qui construisent la cathédrale, et non pas
les plans, les budgets ou les méthodes. Ce
sont bien les ouvriers, qui sont les “oeuvriers’. C’est
la raison pour laquelle le management prend soin d'eux. Et l’on
peut affirmer que la meilleure manière d'en prendre soin est de
les considérer au mieux.
Paul Watzlawick nous
a bien montré combien la considération que
nous avons de l'autre
l'invite profondément à le devenir. Nombre de ses travaux en ont
fait la démonstration. Quelle est donc la meilleure
manière de considérer l'autre ? Certainement pas en se
mentant, et en lui prêtant des compétences dont il n'a
pas fait la démonstration, ou un intérêt qu’il n’a
pas montré. Mais simplement en étant bien convaincu qu'il
est possible qu'il puisse
le faire et qu'il en ait envie.
Comment
avons nous fait pour enseigner à notre petite sœur ou frère, à
notre enfant ou celui d'autres, à faire du vélo ? Nous avions juste
la certitude que dans quelques temps, il roulera de lui même sur sa
bicyclette. Nous pourrons invoquer nombre de raisons à notre
certitude, que tout le monde y arrive, que c'est un apprentissage
simple à la porté de tous, etc. Eh bien
c'est certainement cette pensée là qui fait que l'enfant a appris
avec vous à rouler seul à bicyclette.
Parce que vous saviez qu'à un certain terme, l'enfant saurait le
faire tout seul.
Voilà
un acte de management simple : accompagner quelqu'un à la
réalisation de l'oeuvre parce que l’on a une profonde
confiance dans sa capacité à atteindre le résultat. Le phénomène
se trouve accentué parce
que nous savons profondément aussi, que
nous ne pouvons pas le faire à sa place et que personne au monde ne
le peut, non plus. Alors il l'a fait...
Dans
ces conditions, la compassion, comme “relation d’aide”, n'est-elle
pas une qualité essentielle au management ?
Si, bien évidemment. Nous savons, depuis les travaux des sociologues
constructivistes, que la réalité n'est jamais que ce que nous
croyons, qu'elle n'est qu'un objet pour un sujet qui le regarde,
comme l'écrivait déjà Arthur Schopenhauer en 1818.
Si j'ai
la bienveillance de considérer chacun de mes collaborateurs comme je
considère cet enfant qui débute la pratique du vélo,
j'aurai alors toutes les chances de voir s'accomplir la
cathédrale visée.
Ce
ne sont évidemment pas les seules compétences techniques qui
sont requises pour construire la cathédrale, il convient
d’y ajouter aussi les talents d'humanité comme la
bienveillance, la non-rivalité, le "dé-pouvoir".
Il
m'est bien souvent arrivé, en formation, de faire la description de
la relation à l'autre. Il y a moi et il y a l'autre. Il n'y a pas de
relation à l'autre sans un objet de notre attention. La relation est
toujours à trois : moi, l'autre et le tiers objet. Si je rencontre
quelqu'un et que je m'adresse à lui, ce sera toujours sur un sujet
qui n'est ni lui (ou elle) ni moi,... même
en amour.
Ainsi la tentation
est de vouloir que l'autre considère l'objet comme je l'entend,
comme j'attend qu'il le fasse. Lacan nous disait que ce désir
d'attraper le désir de l'autre est un désir paranoïaque. Il est
impossible. “Son” désir ne nous appartient pas. Il est
sa propre liberté de penser, son simple libre arbitre. Voilà
qui est bien gênant pour le commerce, certes…
Ce
n’est pas plus simple pour la publicité qui tente
de vous façonner des représentations qui feraient de nous des
addicts à leur produit. C'est très long et très aléatoire... Dans
ces conditions, que puis-je développer dans cette relation autour de
ce tiers objet ? La réponse apparaît bientôt, dans son
évidence : il s’agit bien de développer la qualité de notre
relation de manière à ce que, librement, “l’autre” puisse
choisir de partager mon regard, ou, du moins, de le
prendre en compte.
Nous
avons
vu précédemment que ce n'est pas ce que dit l'autre, ni comment il
le dit, qui compte, mais ce qu'il est pour moi, ce qu'il
représente pour moi. Voilà ce qui détermine si je prends ou
ne prends pas ce
qu'il me dit. Si un spécialiste de la médecine infantile me donne
une indication sur la santé de mon enfant, il y a de fortes chances
que je l'écoute. S'il s'agit d'un cuisinier de fast-food, sur ce
sujet là, je serai moins réceptif... Dont
acte. C'est donc bien la relation à l'autre qui fait l'engagement
dans la considération du tiers objet.
Soignons notre
relation à l'autre, en étant tout en empathie,
respect, reconnaissance et considération. C'est la meilleure façon,
voire la seule, de faire tomber chez lui les craintes de rivalité,
d'affrontement, de manipulation ou de prises de pouvoir. Ensuite
parlons lui de ce que nous voulons partager avec lui (de la technique
de la bicyclette ou autre), et laissons
lui en faire ce qu'il veut,
sans pression ni contrainte. Alors, il y a de très grande chances
qu'il considère votre objet de la meilleure des façons.
Mettez
lui la pression, des contraintes ou des menaces, et vous obtiendrez
un menteur, un tricheur ou une bombe à retardement. Il vous aura
considéré vous, mais pas l'objet de votre propos,...
même si dans un temps court, vous pensez l'avoir contraint. Il y a
des boomerangs qui reviennent bien plus fort qu'ils ne sont partis.
Ainsi,
ces valeurs, qui nous semblent si éloignées de la vie des
organisations, comme la paix, l'empathie, la bienveillance, le bien
être, etc., sont tout à fait au cœur de l'efficience des
organisations, tout à fait au cœur du management. Et peut être que
déjà, votre
propre histoire revient à votre mémoire...
Jean-Marc SAURET
le mardi 13 novembre 2018
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos contributions enrichissent le débat.