Le
25 avril 2017, je publiais un premier article, intitulé
: "Le lâcher prise". J'évoquais, à cette
occasion, un événement émotionnel ancien, vécu avec Benoit,
un ami consultant très cher. Devant mon agacement, lié au fait que
nos affaires n'avançaient pas assez vite, il m'invita, avec
bienveillance, et par trois fois, à “lâcher”. Il
ajouta même que "ce n'était pas vraiment une
affaire,... ni mon affaire". Je compris peu à
peu, en même temps que je faisais mienne cette phrase prêtée
à Sénèque et à Marc Aurèle : "Ce ne sont pas
les choses qui nous gênent mais le regard que nous leur portons".
J'ajoutais que nos “sentiments”, ces marqueurs
émotionnels, jouaient un grand rôle dans nos entêtements.
Je
nous invite à revisiter cet article, parce qu'aujourd'hui,
je souhaiterais aller un peu plus loin. Pour cela, je vais
reprendre le schéma de la "trialectique de la réalité"
élaboré par mes soins, il y a une vingtaine d'année, à
la suite de ma thèse sur le management des centres de tri des PTT et
de la Poste.
Cette
approche part du principe de dialectique cognitive. Elle consiste
en l’observation de ce va et vient permanent entre
l'expérimentation de faits, et la ou les théories que nous en
déduisons socialement.
En
d’autres termes on retrouve ici la « mécanique » du
sens que nous prêtons auxdits faits. Par exemple, je
fait chauffer de l'eau, et elle se met à bouillir au
bout d'un certain temps. En répétant l'opération, je
constate que le phénomène se produit à chaque fois, à la
même température. J'en déduis donc que l'eau bout
toujours au même degré de température, et je le nomme "cent".
Je reviens vérifier plusieurs fois le phénomène et je
constate que de l'eau moins pure bouillira parfois au
delà des cents degrés… De la même façon, en montant en
altitude, où la pression atmosphérique est moindre, son
ébullition se situera en deçà. J'aménagerai donc ma
théorie, et donc ma "loi de la nature"
(celle que ma culture lui prête), de conditions et exceptions.
Ces "lois de la nature" sont bien celles que la culture lui
trouve. C'est bien ainsi que la démarche scientifique
construisait sa démarche au début du dix-neuvième siècle.
Les
années post-modernes
nous ont donné à voir que la question de l'émotion, (ou
fonction émotionnelle), jouait un rôle important. Ce rôle devenait
même essentiel dans l'ancrage et la validation de ces lois et
constats, issus de la dialectique scientifique.
Nous savons depuis que c'est tout notre imaginaire qui est convoqué
dans ce processus. Effectivement si je me fais mal en sautant depuis
la fenêtre du premier étage, la sensation de chute et les douleurs
à l'arrivée, ne
manqueront pas de marquer fortement ma mémoire et ma compréhension
du phénomène.
Dès
lors, une fois bien vécue par moi, "je sais"
ce qu'est l'attraction universelle, et donc la
pesanteur. Par ailleurs, nous savons que l'image que je perçois
dépend aussi de celui qui me donne une information. Elle
s’avère même décisive, en termes de niveau
d'acceptation de ladite information. Si c'est mon médecin qui
m'indique les risques bactériologiques sur la santé de mon enfant,
j'aurai plus tendance à prendre acte de cette information…
Alors que si le même propos était venu d'un cuisinier du
fast-food local, ou de mon adorable facteur, il en aurait été
tout autrement…
Ainsi,
ce sont bien trois pôles qui sont convoqués dans
l'élaboration de ma connaissance : le pôle de la matière et des
faits, le pôle de la socialisation, avec ses lois et
règles élaborées socialement en connaissances, et le
pôle de l'imaginaire qui m'est propre, mais pas seulement...
A
partir de là, je vais passer à l'action et la chaîne
cognitive, dans cette même démarche, refait un tour complet du
processus.
Revenons à
notre lâcher prise. Il existe, assurément, des faits qui
nous gênent. Il y a, parmi ces faits, ceux qui
s'imposent à moi parce qu’ils me concernent, et m’affectent.
J’ai dans ces conditions, le sentiment que je dépends d’eux… Mais
je n'ai pas la main pour les changer. A côté, il y a ces valeurs
sociétales qui dirigent ma personnalité, et la
font tenir droite. Ce
sont les notions de force de caractère, d'obligation de
résultats, associées au sens du combat, et de
la victoire. On ne peut les dissocier des notions de pouvoir, de
contrôle et de maîtrise, ni des questions de rivalité
et d’appât du gain, toujours plus grand ou
meilleur, etc.
Comme nous
l'avons vu, ce pôle émotionnel et imaginaire intervient
systématiquement. Je me sens souffrir de me voir floué, perdant,
abusé, blessé sur mes enjeux, mes intérêts, mes objectifs ou
l'image de moi.
Ce
que je
constate c’est que je ne peux rien sur les faits eux-même.
Ils me sont extérieurs, étrangers. Cependant, je me rend compte que
sur les deux autres pôles, je peux “tout”. A savoir que mes
émotions, mes attentes m'appartiennent et que j'en suis un
co-constructeur.
Je peux, dans
ces conditions, les modifier ou les lâcher. Mais il m’est
aussi possible, simultanément, de me défaire de ces valeurs
sociétales (celles que justement j'ai fait miennes). C’est
à ce moment que je vais pouvoir me défaire (ou défaire
l'objet), mais aussi en limiter la prégnance, en
revisitant la hiérarchie des valeurs (et mes valeurs). Pourquoi
serais-je obligé de vaincre, de gagner toujours plus, de
conquérir toujours davantage ?
Les
autres sont-ils tous des concurrents ? Ne sont-ils pas
aussi des partenaires ? Ne sont ils pas à considérer
comme ceux avec qui je construis, aime, réalise, et me
passionne ?...
Dès
lors, "lâcher prise" revient à répondre à cette
injonction de la sagesse Zen : "Connaître les
choses que je peux transformer, celles sur lesquelles je ne
peux rien, et la sagesse de faire la distinction entre les deux".
Ainsi, je
ne peux rien sur la réalité des faits. Mais la manière dont je les
considère dépend de ces valeurs et règles sociales que j'ai fait
miennes. Ce sont donc bien ces émotions et ces enjeux qui
me dirigent.
Ainsi,
je ne lâche rien sur les faits puis qu'ils ne sont pas moi, ni à
moi. Je peux prendre de la distance sur les valeurs
sociétales qui m’orientent, (et reprendre ainsi,le
gouvernail de ma vie). Je peux aussi reconsidérer mes objectifs, mes
intérêts et mes enjeux, et revoir donc l'image que
je me fais de moi. C’est en intégrant ces paramètres que je
saurai privilégier ce que je veux être, plutôt que ce que je
"dois" être. C’est ainsi que mes émotions
peuvent en être changées.
Si la
sagesse consiste à faire la différence entre ce sur quoi
je ne peux rien, et ce sur quoi je peux agir pour y avoir le
geste juste, alors tout, soudain s’éclaire…
Je peux alors accueillir
ce qui est, (les faits), laisser passer ce qui était, (les
convenances sociales), et laisser faire enfin, ce qui
vient (émotions et imaginaire), tout “naturellement”,
et sans vraiment en tenir compte. N’est ce pas
là, le début de la Sagesse ? Peut
être changerons nous alors avantageusement
notre horizon...
Jean-Marc
SAURET
le mardi 20 novembre 2018
Lire aussi : "Le lâcher prise"
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