Sur
un réseau social populaire, une amie avait pris l'habitude de
beaucoup s'exprimer, voire s'épancher. Ceci ne gène en rien car
c'est bien là l'objet de ces nouveaux forums post-modernes. Mais la
particularité singulière dont elle colorait ses interventions était
un égocentrisme exagéré. Tout ce qu'elle commentait, relatait,
racontait, commençait à chaque fois par "Moi, je..."
et ceci avait fini par exaspérer son entourage. Ce qui
n'était évidemment pas le but visé. Les partenaires
regrettaient ainsi l'absence de relation, d'échange, de partage, de
"conversation".
Plusieurs
fois, j'eus une profonde envie d'intervenir, avec
bienveillance bien entendu, et nombre de participants à ce forum
m'en retenaient. Ils préféraient “laisser tomber”, laisser
faire, plutôt que de "risquer une crise d’ego", et
sa cascade de conséquences malheureuses supposées. J'avais à
chaque fois cette réaction, et elle me paraissait saine. Je
souhaitais simplement intervenir à titre pédagogique, sous
la forme d’une aide à la personne. Ainsi, et c’était
mon point de vue, il me semblait qu’une réaction de ma
part, permettrait à la personne de mieux réaliser ce qui se
passait. Et donc, en aval, tout loisir lui était ainsi donné de
procéder d’elle même à un correctif.
Ne
rien dire me semblait laisser la porte ouverte à l'agacement
permanent des participants au forum. Lesquels participants
craignaient la fin d'une amitié si quelqu'un intervenait. Le dilemme
était là et les protagonistes développaient toute une stratégie
d'évitement, de non confrontation, à l'aune de l'amitié et de la
bienveillance.
Dans
ma tête, je me répétais que l'affection ne pouvait pas souffrir le
mensonge, et que
la vérité avait franchement besoin d'elle-même
...
Mais
le raisonnement des partenaires semblait pourtant bien
tenir la route aussi. Pour ceux-ci, réagir pouvait être très mal
pris, et la personne agaçante pourrait, ipso facto se
vexer, et produire à son tour une réaction de rejet, de désamour
vis à vis du groupe. Je leur demandais donc ce qu'elles craignaient
au fond. C'était bien ce risque de désamour, et donc de
voir arriver de la colère, de l'amertume, voire de la haine en lieu
et place de "l'harmonie" aimante actuelle. "Harmonie
?" m'étonnais-je,... "Mais de quelle harmonie s’agit
il ? Tout le monde se positionne dans un évitement
poli... Nous passons notre temps à éviter l'incident qui pourrait
produire une vive réaction."
C'est
là que l'un de nous eut cette phrase déterminante : "Ce
qu'elle en fait ne nous appartient pas...".
La phrase commença à tourner dans les têtes. Le débat avait
changé de nature. Il se situait maintenant autour des hypothèses
de réactions, de situations, de conséquences. Tous
se rendirent comptent que l'on ne pouvait penser à la place de la
personne concernée.
Les hypothèses que nous faisions (à sa place), n'étaient
que les nôtres en vertu de nos propres vécus et ressentis. Vécus
et ressentis qui étaient assis sur nos propres valeurs et
systèmes de pensée... Nous convînmes donc, que
nous ne savions pas comment la personne concernée pouvait
réagir... Ce qui devint vite "comment la personne
concernée allait réagir".
En
effet, et
sous ce nouvel angle d’approche, l'hypothèse
de le lui dire devenait alors une perspective. Parce que justement sa
réaction à venir ne nous appartenait pas, qu'elle lui appartenait
en propre et qu'elle relevait de sa propre liberté. Par
bienveillance et attention, nous décidâmes donc de lui en parler.
Le plus naturellement empathique et bienveillant
d'entre-nous fut désigné et s'en chargea. Tous
scrutaient la réaction. Comme si de rien n'était, la personne
concernée passa très vite à autre chose, dans un rapide : "Je
croyais que ça vous intéressait...". L'incident était clos.
- Que l'on
se fait tout un cinéma autour de réactions qui sont de notre
imaginaire, de nos propres peurs, de nos propres attachements.
- Qu’en toute
empathie, nous prêtons plus d'attention à nos propres sentiments
qu'à la réalité de l'autre.
- Que chacun
a ses propres critères, ses propres histoires de vie, ses propres
valeurs, priorités singulières, et sa propre réalité.
- Que chacun
est le patron de ses propres réactions, qu'il en est le principal
(le seul) responsable.
En
revenant sur cet événement amical, nous avons compris que les
leçons étaient applicables à tout autre phénomène ou histoire.
La décision d'agir ou de laisser faire n'est parfois,
voire souvent, déterminée que par nos propres craintes et
intérêts. Nous avons compris aussi, que nous décidions
beaucoup à la place de l'autre, et que l'on ajoute parfois
abusivement :"Ce sera mieux pour toi !". Penser à
la place de l'autre constitue aussi un certain manque de
respect envers lui, envers son autonomie, son intelligence et sa
liberté.
Alors,
le respect des autres et de soi même consiste simplement à nous
penser réciproquement libres, autonomes, intelligents et
responsables. Ce qui va de soi pour soi-même est moins évident
quand cela s'adresse à l'autre.
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