"Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute la puissance de notre pensée ! " Après avoir durant des années posté ici réflexions et conseils sur le management des organisations, je livre aujourd'hui une vision de la réalité, au plus profond de soi même sur l'être et l'univers. Profitez ! Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en indiquer chaque fois la source et de ne pas en faire commerce.

Gestionnite et dictature du chiffre

Il y a quelques années, lors d'une conférence en colloque, un chef d'entreprise demande au philosophe André Comte-Sponville : « On a l'impression que notre société occidentale ne sait pas où elle va. Quel peut être son avenir ? » . Le philosophe répondit à cela : « Mais où veut on aller ? Le savons nous ? ».
Le Figaro Madame titrait il y a six ans déjà : « La philosophie s’introduit dans l’entreprise. S’interroger sur l’art, le luxe ou la confiance plutôt que parler chiffres : si c’était ça redonner du sens à la performance ? »
Seulement voilà, après les années quatre vingt, ce sont les DRH qui ont failli prendre le pouvoir dans les organisations. C’était à la suite des comptables qui l’avaient récupéré des ingénieurs… Aujourd'hui, ce sont les investisseurs qui ont fait le « Hold up », imprimant définitivement leur couleur et confiant le pouvoir aux gestionnaires. Dès lors, tout (et seulement) ce qui se compte existe. Tout le reste n’est qu'impressionnisme… La dictature du chiffre est là.
Depuis Aristote, la science respecte et repose sur les 4 phénomènes de causalité : la cause matérielle, la cause efficiente, la cause formelle et la cause finale. Aujourd'hui, la science elle-même est soumise à la seule cause efficiente, et ce à cause de l'économie, à cause de cette dictature du chiffre qui réduit toute réalité à celui-ci. Tout doit être rentable et y répondre comptablement. 
Or, ce causalisme d'efficience sous le chiffre fait que toute somme matérielle se réduit par déperdition avec le temps. "L'entropie est le devenir poussière de toute chose", comme le dit le philosophe Bernard Stiegler. Le résultat est que l'entropie (l'amenuisement par déperdition) est devenue la règle du réel.
Or, le vivant, sous les quatre causes, est négantropique, soit producteur de renaissances, de renouveau, de réel. Il est réellement productif. Il donne, par essence, des fruits. Il se perpétue, voire en croissance.
Nous voici aujourd'hui dans un atermoiement schizophrène : nous avons véritablement perdu le sens des choses, le sens du monde, le sens de nos actions (cf. la causalité finale). Nous nous limitons à “bien gérer” comme si c’était, au fond, ça le plus important. « Agitation post-moderne ! » nous lancerait Hélène RICHARD (auteure psychanalyste canadienne). Et pourtant nous crions notre besoin de sens : "Pour quoi faire ? Ça sert à quoi ? Ça n'a pas de sens !"…
Les écoles de formation des “cadres sup'” (inet, ena, enst, grandes écoles...) apprennent à leurs postulants la rigueur gestionnaire et, ainsi à prendre seuls les décisions. Et pourtant nous savons bien que c’est là une hérésie organisationnelle : seule l’intelligence collective est efficiente dans la résolution de la complexité chère à nos organisations actuelles. La complexité s’avère, et de loin, la première de nos problématiques.
Depuis plus de quinze ans, des anglo-saxons, notamment américains et canadiens, confient la direction des entreprises à de nouveaux profils non gestionnaires comme des philosophes, des sociologues ou autres diplômés en sciences humaines. Ils ont pris acte que les organisations sont des systèmes humains, des systèmes socio-techniques de production, et non pas des pyramides ou des organigrammes animés par des règles et des procédures. Ils ont compris qu'elles ont autre chose à produire que des dividendes...
En France, nous en sommes restés là. Nous perpétuons des schémas procéduraux dont nous ne savons s’ils sont efficients... ou alors seulement reconnus par les chiffres qu'ils produisent. Là aussi, schizophrénie gestionnaire : l’indicateur est mis en objectif alors qu'il n'est qu'un infime partie du processus !
Ce qui donne le sens à l'action se trouve dans sa raison d'être. Pour quoi, pour qui et pourquoi le faisons nous ? Chaque activité personnelle répond à cette obligation de sens. Je sais pourquoi je repeins le séjour, pourquoi j'amène les enfants au cinéma et mes amis au restaurant. Je sais pourquoi je me marie ou divorce, pourquoi je déménage ou me mets à table. Pourquoi n'avons nous pas ces raisons d'être dans nos activités professionnelles quotidiennes, qu'elles soient à long ou court terme ? 
Certains, comme les médecins, les pompiers, les gendarmes et policiers, les avocats, les infirmiers ou les pasteurs, savent pourquoi ils se lèvent le matin et à quoi leurs actions servent, et plus généralement ce, (ou ceux) qu'elles servent. Mais nombre d'employés de grandes organisations n'en savent rien car même leurs managers parfois l'ignorent. Ce qui est certain, c’est qu’ils n'en parlent pas, et qu’ils ne le mettent pas en avant dans leur management.
Faute de pouvoir donner un sens à l’action, une couleur à l’œuvre à accomplir, les gestionnaires ont mis les moyens en objectif. Mais comment sera « la cathédrale » à la sortie ? Ce n’est pas ça qui est central, mais plutôt : « l’a-t-on bien mené ? ». On peut dire alors, dans ces conditions, que la culture de la règle "dévore" la culture de l'oeuvre.
A quoi sert de travailler si le seul objet est d'économiser ? Le commerce, en l’espèce, suffit amplement ! Nous sommes d'ailleurs dans une société ultra marchande pour des ultra-consommateurs. Nous vivons dans un système qui ne sait pas se voir, tout en se pensant "universelle vérité". Il s'agit d’un système darwinien de prédation et de dévoration voué à se dévorer lui-même dès que les proies se raréfieront. Ici, les sourires sont des antalgiques, en forme de rituels d’appartenance (comme des rituels de l'apparence).  
Pourrions nous penser au “sens de nos actions”, de nos productions, de nos rôles, de nos raisons d’être, comme le marque l’article du Figaro Madame ? Pourrions nous imaginer un autrement à venir ?
Je relis ce texte de Thierry Groussin sur son blog "Indiscipline intellectuelle" dans son article "Divergence avec Michel Serres" du 9 septembre 2012 : "Si vous avez l'attention focalisée sur une parcelle de la réalité, si, par exemple, ne vous intéressent que les matches qui se disputent entre le hameau que vous habitez et celui d’à côté, vous risquez de voir les événements qui viennent vers vous de plus loin - par exemple, la raréfaction et l'enchérissement de l'énergie, la promulgation de nouveaux règlements, le dérapage des prix alimentaires - comme de mystérieux phénomènes qui viennent perturber aléatoirement et stupidement votre microscopique univers. Si, à l'inverse, votre attention est accaparée par la macro-économie et que vous ne voyiez rien de ce qui se passe à vos pieds - la misère rampante mais aussi le réveil des communautés locales qui en résulte et l’initiation de systèmes d’échanges, d’entraide et de monnaies parallèles de plus en plus nombreux - il manque à votre compréhension des dynamiques à l’oeuvre au sein de notre monde une poignée d’éléments qui, demain peut-être, fera la différence dans l’évolution de nos sociétés."
Il me semble que nous tenons là, dans la dimension du regard, l’étincelle d’un commencement pour changer d’axe… Comme l'évoquait dans la définition de son DESS DH-DO, Claude Génot, ancien professeur des universités, "Voir loin et agir près". Et donc, le strabisme de l'intelligence, qu’il soit convergent ou divergent, n’est plus de mise...
Jean-Marc SAURET
Le mardi 27 novembre 2018

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