Nous
avons pris l'habitude depuis près d'un siècle de parler, à propos
de l'activité de notre conscience, voire de notre cerveau, de part
consciente et de part inconsciente. L'activité consciente de notre
cerveau comprend conventionnellement toute l'activité rationnelle,
c'est à dire toute celle que notre culture occidentale considère
comme majeure, première, essentielle et primordiale. C'est bien
normal puisque, comme nous l'avons vu, depuis Descartes, le monde se
perçoit comme une énorme mécanique régie par des lois que des
constantes installent. Toute notre activité de connaissance consiste
à comprendre, déduire, acquérir toutes ces lois mathématiques qui
régissent "la grande horloge".
L'activité
inconsciente devient donc, par défaut, l'ensemble de cette activité
qui échappe à la rationalité et qui ne tombe donc pas sous le coup
des lois de la nature, "celles-là même que notre culture lui
trouve" (sic Serges Moscovici). Mais l'expérience nous
interroge et nous dit que là où nous pensons qu'il n'y a que
croyance et illusion, il y a simplement quelque chose que notre
culture ne comprend pas.
Il
me souvient cette histoire relatée en famille par l'intéressé.
Jeune homme, ce garçon était en mission militaire au
Tonkin. Fréquemment, lors
des gardes de nuit, une sentinelle postée à l'un des
lieux à surveiller, disparaissait. Un jour, ce
fut au tour de notre personnage d'assurer la garde. Il raconte qu'en
fin de nuit, alors qu'elle était encore totalement noire, il vit
deux lueurs au loin qui s'écartaient sensiblement. Il fit les
sommations d'usage et, au lieu de tirer en l'air, dirigea son arme
vers les lumières et lâcha le coup. Celles ci disparurent... Au
petit matin, il découvrit un tigre allongé mort devant lui.
Quand
il rentra chez lui, sa mère lui demanda ce qu'il avait bien pu se
passer une certaine nuit. "J'ai vu du sang, et j'ai prié"
lui dit elle. Cette nuit correspondait à celle où il avait abattu
le tigre dans le noir total.
Quand
le protagoniste racontait cette histoire, chacun l'entendait selon
ses croyances ; c'était le signe de dieu, de la chance ou une
coïncidence, voire une interprétation à posteriori, etc. Si la
nature a horreur du vide, la nature humaine a horreur du vide de
sens. Là où il en manque, elle en met. Chacun le fait selon ses
critères et ses références (constituant ses croyances et ses
convictions)...
Mais
il y a une autre approche, portée par quelques articles
scientifiques qui s’immisce dans la construction du sens. Nous en
avons déjà fait un usage culturel important, même jusqu'à la
simplification abusive et erronée. Il s'agit en l'espèce de cette
asymétrie cérébrale lancée dans les années soixante-dix par
Geschwing, Levisky et Galaburda, neurologues de l'université de
Harvard. Cette approche considère deux hémisphères distincts
et dédiés de notre cerveau : un cerveau gauche calculateur,
rationnel, déductif et discursif, et un cerveau droit émotionnel,
créatif, symbolique et intuitif.
Bien
que cette considération n'ait rien de scientifique, elle met en
valeur deux approches pratiques dans nos façons de concevoir le réel
: une approche analytique, rationnelle et déductive
d'orientation logique et mécanique, versus une approche analogique
intuitive, dite émotionnelle, d'orientation inductive
et organique.
Cette
considération, contestée ou non, nous indique cependant que les
deux approches coexistent dans notre réalité sociale, qu'elles sont
prises actuellement en compte et considérées comme réelles. Et
nous proposons de nous arrêter un instant, à ce point de notre
réflexion. Car c’est bien dans ces conditions que l'approche
matérialiste, comptable et mécaniste, peut se voir opposer une
autre forme, alternative. Celle que l’on peut qualifier, justement,
d’essence organique intuitive et créatrice.
Rien
n'est encore tranché, à ce stade là, sur leurs pertinences
respectives, mais la considération sociale de leurs réalités est
bien là.
Mais
allons plus loin. Nous savons que le rapport au réel relève d'une
certaine idée que nous nous faisons du monde. Par là même, tout ce
que nous y voyons doit rentrer dans les "cases" de cette
représentation. Si ça ne rentre pas, nous avons l'habitude de
forcer la nature pour que ça rentre. Si ça ne rentre toujours pas,
alors la réponse est simple : ça n'existe pas...
Mais l'existence
de l'alternative d'une approche intuitive défait ce dernier mode de
faire. Elle s'y substitue. En effet, avant de dire que "ça
n'existe pas", nous commençons à regarder comment ça pourrait
exister autrement. Ainsi l'histoire
de la sentinelle au Tonkin existe en tant que telle, même
si nous n’avons, à ce stade, pas pu répondre au phénomène
qu'elle soulève.
D'autres
approches ont aussi commencé à exister dans cette brèche
d'intuition ouverte dans le rationalisme le plus "pur".
Je pense, par exemple, à ces nouvelles approches de la médecine
dite parallèle ou douce. Je fais référence à l'acupuncture, à
l’ostéopathie, à l'hypnose ericsonienne, à la sophrologie ou à
la méditation de pleine conscience. Nombre de praticiens de
la médecine allopathique s'y réfèrent, voire les
utilisent.
Il me souvient qu'un hôpital de province, spécialisé
dans les thérapies du cancer, propose à ses patients soumis aux
rayons, les coordonnées d'un "coupeur de feu". Je pense
aussi au psychiatre Christophe André qui introduisit la
méditation de pleine conscience à l'hôpital psychiatrique Sainte
Anne comme thérapie de la dépression, entre autres.
Mais
regardons quelques éléments de plus près. Une des particularités
de l'hypnose ericsonnienne et de l'auto-hypnose, est de "s'adresser"
directement au "pilote" de son corps. Les praticiens le
nomment l'inconscient. Il s'agit, dans ce cas, de "programmer"
une action curative ou réparatrice (par exemple pour l'arrêt de la
consommation de tabac ou la perte de poids). Ces termes
sont certainement impropres, mais ce sont ceux que cette approche
utilise, afin que quiconque comprenne bien ce dont il s'agit.
Dans
les recommandations, la pratique réclame que les demandes et
injonctions soient toujours formulées dans une forme positive. En
effet, le cerveau ne recevant pas les formules négatives, il ne
retient que les substantifs utilisés. C'est un fait que le cerveau
"fonctionne", travaille, s'active comme il sait le faire le
mieux. En d'autres termes, il procède par association (et non par
analyse et déduction). L'intelligence symbolique prend alors le pas
sur toutes les autres activités, notemment la "rationnelle".
Que
penser de l'approche rationaliste quand elle nous
serine ce type de contre vérité : "les
riches seraient plus entreprenants s’ils payaient moins d’impôts"
; et sa variante "les pauvres seraient plus travailleurs s’ils
recevaient moins de subsides"...
Une
approche organique humaniste nous fait remarquer que ce qui est en
jeu ici n'est pas la logique déductive mais la considération des
personnes : ainsi, ressort de cette assertion abusive le fait
que les riches le sont parce qu'ils sont intelligents et
entreprenants, quand les pauvres ne le sont pas et ne sont bons qu'à
exécuter. Le nazisme reposait aussi en partie sur ce type de
considération.
L’intérêt,
donc, de l'émergence d'une approche intuitive, n'est pas de se
substituer à l'approche rationnelle, mais de venir la compléter et
l'enrichir, comme nous venons de le voir dans ce court exemple.
Il
y a, c'est vrai, deux chemins, deux voies vers la connaissance : la
voie rationnelle et la voie dite "irrationnelle" par la
première qui y fourgue l'émotion, les pulsions et autres
instincts que la raison ne semble pas pouvoir maîtriser. L'occident
a savoureusement développé la première comme étant la seule
valide, voire valable, quand l'orient a développé quelque chose
laissé dans l'ombre de notre culture : l'intuition.
Quand
une s'inscrit dans une représentation mécanique du monde, sous la
dictature stérile et mortifère du chiffre et de son contrôle,
l'autre s'inscrit dans une représentation organique de l'univers où
tout, et aussi chacun, s'inscrit dans une harmonie éphémère,
vivante et créatrice. La rencontre pragmatique de ces deux approches
historiques nous permettra très certainement d'aller de l'avant,
tant pour soi-même que pour les organisations dans leur management.
C'est toute l'ambition de cette représentation... rationnelle pour
autant... quoi qu'aussi intuitive par réalisme.
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