Descartes,
au dix-septième siècle, a, le premier, décrit l'univers comme un
ensemble de matière inconsciente. Jusqu'alors, celui-ci était perçu
comme "animé" d'une volonté. Schopenhauer reprendra et
développera, en 1818, cette dimension dans son ouvrage majeur : "Le
monde comme volonté et comme représentation". Depuis, l'idée
d'un monde mécanique, répondant à des lois éternelles, immuables
et réversibles, s'est imposée à nous comme une
évidence. Alors, dans ces conditions... réversible, ou
irréversible ?
Tout
notre développement scientifique se trouve imprégné par
cette approche mécaniste. La médecine tue la maladie, et la
maladie est une incongruité qui empêche le fonctionnement normal de
la mécanique du corps. Alors volontairement ou inconsciemment,
"on" organise la nature et les paysages, afin que
chaque chose soit utile et remplisse "sa" fonction,... en
fait, celle que notre conception lui reconnait et lui assigne.
Ainsi,
les "choses" du monde sont classées, hiérarchisées en
"utiles" et "nuisibles", en "majeures"
ou "mineures", et
donc "essentielles" ou "accessoires",
voire "importantes" ou "négligeables", etc...
Dans
ces conditions, quand l'humain est "majeur - essentiel"
(il est même plus qu'utile puisqu'il est le "principal" de
ce monde), la mouche, elle, devient "nuisible -
mineure - négligeable". Il devient loisible, alors,
de mesurer, en termes de conséquences, l’ensemble de nos
prédations qu'induisent nos comportements et actions.
Pourtant,
dans ce monde-là, des lois de la physique existent, et ce,
pensons-nous, depuis le "big bang". Elles existent en
s'appuyant sur des constantes éternelles, comme la vitesse de la
lumière ou la nature de la masse. Autre exemple, le génome humain
est étudié depuis de longues années, et l’on supposait
que cette "mécanique" allait tout expliquer sur
la réalité humaine, sur son évolution comme sur ses origines. Eh
bien, non...
Ce
qui est plus gênant, c'est que ce génome, tel qu’on a pu
l’observer, pose plus de questions qu'il n'en résout. L'objet
du projets fit un flop d'un silence assourdissant, car ses
investisseurs venaient de perdre plus d'un milliard de dollars. Les
résultats, bien que vantés, ne répondaient pas à l'attente. En
effet, là où l'on supposait qu'un gène allait expliquer la taille
d'un individu, plus d'une quarantaine pouvaient être
convoqués sur la question sans qu'ils ne soient ni stables, ni
définitifs. Ça faisait un peu désordre... Le monde n'est pas si
bien "réglé" que cela...
D'ailleurs, des
statistiques familiales se présentent toujours mieux
prédictives, sur la taille à venir d'un enfant. Lesdites
statistiques s’avèrent infiniment plus précises que l'étude de
son génome. Il y a là, comme un "hic". Mais
qu'importe, si la démonstration n'apporte pas les bonnes réponses,
c'est que la nature se trompe. La science la fera rentrer dans "son"
moule. Comme cela ne fonctionne pas, la science invente
l'épigénétique où les gènes suivent le réel et s'adaptent...
Bizarre, non ? On vient de lâcher le déterminisme génétique tout
en lui gardant cette fonction.
Depuis, le
monde scientifique a bien évolué et se confronte à de nouvelles
incertitudes. Les constantes (comme celle de Planck) se sont révélées
variables. Ainsi, la vitesse de la lumière s'est-elle ralentie
entre 1928 et 1933. Elle n'est donc plus une constante... Ainsi,
de la même façon, l'idée d'un monde mécanique régi par une
belle horlogerie régulière s'effrite. Les lois de la nature se
révèlent être celles que la culture lui donne, et que la
qualité de notre potentiel de perceptions permet. C'est ce
qu'affirmait Serge Moscovici il y a une trentaine d'années. Alors,
l'idée d'un monde organique mu par des habitudes et des
résonances s'impose peu à peu. La vision d'un monde mécanique sans
âme régi par des lois immuables s'assombrit -
progressivement et radicalement.
Alors,
dans nos organisations aussi, l'idée totalitaire et globalisante
d'une univers géré comptablement s'effondre. Il s'efface devant
l'émergence forte et certaine d'un monde organique fait
d'interactions d'intelligences partagées. Le management humaniste
s'installe et les tenants de la dictature du chiffre deviennent les
nouveaux perdants, les nouveaux ringards...
Tout
semble nous dire qu'une régression de ce "monde mécanique"
est en cours, que le spiritualisme, sinon la spiritualité et
les croyances, sont "de retour". C'est là une des
articulations majeurs de la post-modernité sociale que décrit si
bien le sociologue Michel Maffesoli. En fait, tout nous indique
plutôt que l'esprit ne s'oppose pas à la matière, comme nous l'a
si longtemps prêché le matérialisme (même historique). De fait,
on les découvre interdépendants et ils se dévoilent comme les
deux faces de la même monnaie : le réel.
Longtemps,
la science nous a indiqué que la conscience était une production
cérébrale, que son siège était dans nos têtes. Or, nous savons
maintenant que la conscience continue à “produire”, même
quand l'électroencéphalogramme est déjà plat. C'est ce que les
études sur les phénomènes de mort imminente nous révèlent.
Il
y a là un autre "hic". Car si l'idée
que la conscience est bien distincte de la matière
s'impose peu à peu, corrélativement, l’idée que matière et
conscience se trouvent en perpétuelle interaction s'impose
aussi. Mais pourquoi donc. Il y a très certainement une troisième
voie. C'est ce que nous allons regarder.
Pouvons nous,
dans ces conditions, poser en ces termes notre nouvelle
équation ? En affirmant en l’espèce, que matière et
conscience sont bien les deux faces du réel ? Voilà une
idée qui pourrait légitimement passer pour saugrenue.
C’est bien elle pourtant qui émerge aujourd'hui.
Mieux
! Elle apparaît même comme une réponse à une autre
inquiétude de chercheurs : comment concilier (et réconcilier)
tout ce que la science matérialiste a décrété
comme étant en antagonisme ?
On
peut faire cette démonstration très simplement, en soutenant
que dans un monde mécanique, la rationalité du chiffre réfute
l'intuition. C’est dans ces conditions qu’elle lui réfute alors
l’accès direct à la connaissance en la taxant de
"croyance".
En
effet, si dans ma représentation du monde, l'axe fondamental (mon
sacré), est que tout est mécanique, alors, il n'y a pas de place
pour la spiritualité. Mais il n’y a pas davantage de place
pour les valeurs structurantes, comme le sont l'humanisme, la
solidarité, la bienveillance, etc.
De la même façon,
si ma représentation du monde s’avérait
d’essence fondamentalement spiritualiste, sans accroche ni
correspondance dans la matière, alors toute résonance entre les
choses et les objets, disparaîtrait. Peut être ne resterait-il
alors que les liens de particularités et de classement que
notre culture leur trouverait. Le principe même de causalité
n'aurait alors aucun sens.
Les
relations entre le temps et l'espace, le temps et la causalité,
entre la causalité et l'espace, n'aurait plus aucun sens
non-plus, et donc aucune réalité. C'est pourtant un des
fondements de la philosophie moderne depuis Kant. La réalité est constituée justement cette conscience que nous avons du
monde, de ce par quoi nous le comprenons :
l'interdépendance du temps, de l'espace et de la causalité...
Il
me parait donc utile et judicieux, voire pertinent, de penser
qu'esprit et matière sont dans une dynamique relationnelle. Ils
s’inscrivent bien dans une interaction féconde, et donc dans
une dialectique.
En
d'autres termes, nous pouvons, avec cet
éclairage, considérer que la conscience et la matière sont en
étroite relation. Il n’en demeure pas moins vrai qu’à
l’évidence, elles restent originalement distinctes.
Jouons
un peut : la matière, nous le savons, est constituée d'atomes,
lesquels sont constitués d'éléments vibratoires (électrons,
protons et neutrons). La matière, de ce fait, n'est
fondamentalement que lumières et énergies. La conscience, si l'on
tente de la saisir du point de vue matériel, n'est elle aussi
qu’oscillations, vibration, énergies. Je pense, à cet
instant, aux électroencéphalogrammes. Les deux processus
ne serait-il pas de même nature, constituant ainsi les deux
pôles d'une même réalité ?
Cependant,
je ne peux pas dire que tout ceci est "vrai" et je ne le
dis pas. Je dis seulement que ces notions émergent et commencent
à s’imposer. Alors, que nous reste-t-il à faire ? Peut être
seulement, à l'heure actuelle, revenir simplement, au pari de
Pascal !
Et,
en l’occurrence, envisager que la conscience reste une
réalité autonome, partie prenante de l'univers, et puis, regarder
ce que cela donne dans la "lecture" dudit univers. Sans
le vouloir, nous voici à l'entrée de pensées bouddhistes où la
conscience précéderait la matière. Elle en serait même à
l'origine.
A
partir de là, tous les éléments de l'univers sont reliés,
animés par ladite conscience. Par elle, nous avons accès à tout de
l'univers, et le monde deviendrait accessible, et compréhensible
à toutes et à tous. De la même façon, quoi que je fasse
au monde, c'est bien à moi que je le fais.
J'avoue
qu'il est difficile de parler de cela quand quatre siècles de
construction mécaniste du monde ont bâti notre culture.
On entend parler et l'on se parle de systèmes de santé, de
mécanismes de régulation, d'augmentation des taux ou de diminution
des prestations, etc. Ainsi, quand le raisonnement parle à notre
intelligence cérébrale, l'art, comme la poésie, la peinture ou la
musique, parlent à l'intelligence du cœur, au sensible de notre
être, à notre intelligence sensible.
Faisons
le pari qu'elle soit une véritable intelligence. Faisons
le pari aussi qu'il en existe une troisième,
l'intelligence en action, celle qui tire ses références de la
pratique, de l'expérience. C'est à elle que nous faisons allusion
quand nous disons agir avec nos tripes (Il se trouve que la biologie
a découvert qu'il y avait des neurones dans ces trois lieux de notre
corps, cerveau, cœur et viscères).
Pour conclure,
en illustrant le propos, voici une courte histoire qui m'a été
rapportée il y a bien longtemps, tant et si bien que je ne
me souviens pas des références. La voici.
Un
mathématicien de renom vient, à la fin du dix-neuvième siècle,
rencontrer un sage yogi. Il lui pose la question suivante relative à
l'espace infini : "Si je jette une pierre avec une force
infinie, où va-t-elle?". le sage se mit en méditation
et lui répondit : "Dans ma main". Le
mathématicien lui sourit, incrédule, et le sage lui sourit aussi,
compassionnellement.
Il fallut attendre
quelques années encore pour que la science occidentale comprenne que
l'espace était courbe. Le sage le savait-il ou pas ? Le fait
est qu'il donna la bonne réponse pour un physicien d'aujourd'hui.
Alors ?
Faisons le pari que nous avons ces trois intelligences, et que
nous les mettrons en action conjointement. Peut être
ainsi, “attraperons” nous une nouvelle réalité du
monde, plus large, plus profonde, plus dynamique. Celle qui,
justement, sans ce pari, nous aurait échappé... Et je fais le
pari que, par cette démarche, notre monde humain saura
devenir meilleur. N'est-ce pas là le but ?
Jean-Marc SAURET
Le mardi 25 septembre 2018
Lire aussi : "Méditer ce que l'on a à faire pour le réussir"
Pour aller plus loin : "Cerveau & méditation", Mathieu RICARD et Wolf SINGER, Allary Editions, Paris 2017
Pour aller plus loin : "Cerveau & méditation", Mathieu RICARD et Wolf SINGER, Allary Editions, Paris 2017
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