L'Humain au cœur et la force du vivant : "Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute notre puissance et toute ma pensée ! " (JMS) Aller plus haut, plus loin, est le rêve de tout un chacun, comme des "Icares" de la connaissance. Seuls ou ensemble, nous visons à trouver un monde meilleur, plus dynamique et plus humain, où l'on vit bien, progresse et œuvre mieux. Il nous faut comprendre et le dire pour agir. Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en citer chaque fois la source et de n'en faire pas commerce.

Qui détruit le travail en France ?

Nous avons vu des gens dans les rues, manifester et se mettre en grève pour, nous dit-on, de meilleures conditions de travail. Nous avons entendu qu'à l'étranger, la France serait fustigée pour son immobilisme, son refus de changer. Bref, ce serait encore de la faute des ouvriers qui refusent de travailler.
J'ai cru comprendre que, si le gouvernement nous indiquait que la grève de la SNCF tenait à la protection du statut, le motif était ailleurs.
Ce que j'ai entendu des syndicats m'a paru bien différent. Il s'agissait plutôt du refus de la privatisation, du refus de la mise en concurrence de certains secteurs. Au caractère probablement multifactoriel du refus, on se doit d’ajouter le fait que les changements ont été imposés sans concertation réelle. De même, on peut aussi déplorer la “non prise en compte des paroles d'usagers” et des praticiens internes. Cela fait beaucoup !
Les cheminots, historiquement fiers de leur métier et de leur travail, semblent donc plutôt défendre la qualité du service public sans dégradation aucune. C’est ce qui constitue justement leur propre raison d'être, et celle de la profession.
Quand j'ai conduit, pour ma thèse, une recherche sur les centres de tri de la Poste ("Des postiers et des centres de tri, un management complexe" coll. Logiques Sociales, L'Harmattan, 2003) je me suis aperçu que ce qui était fondamental chez ces postiers, à cette époque là, était le cœur de leur métier, considéré comme un système identitaire, à savoir la fonction de tri.
Un conducteur de chantier, qui ne touchait pas une lettre mais redirigeait les camions dans un lieu de transbordement, me dit : "Moi, Monsieur, je trie des camions !" Il y avait une lueur de fierté dans son regard. Et quand j'ai interviewé le directeur général de l'époque, M. Claude Vié, une des premières choses qu'il m'indiqua dans les premiers temps de notre conversation, a été: "Vous savez, Monsieur Sauret, j'ai le TG1 !".
Il m'indiquait là qu'il avait réussi l'examen du tri général 1, en d’autres termes, qu'il faisait bien partie du sérail, et qu'il n'était pas une personne importée d’ailleurs.
Il y avait manifestement de la fierté dans le ton. En épluchant les documents de l'ENSPTT, (l'école nationale d'administration des PTT), je trouvais bien son mémoire pour le diplôme d'administrateur. Il portait sur une problématique d'acheminement du courrier.
Nombre d'exemples, comme ceux-ci, m'indiquaient qu'il ne s'agissait pas là de conceptions isolées. La fierté du métier constituait bien un socle identitaire, et donc une bonne raison d'être là chez ces postiers du courrier et des colis. D'autres approches, analyses, études et observations m'ont convaincu qu'il ne s'agissait pas là non plus d'une spécificité du monde de la Poste. Dans nombre d'entreprises de grande taille, privées ou publiques, d’ailleurs, la question de l'identité au travail (ce que chacun y fait) reste à l’évidence fondatrice de la raison d'être au travail (l'utilité sociale).
Plusieurs audits sociaux et enquêtes organisationnelles m'ont confirmé que la fierté du métier et du travail bien fait s’avéraient en l’espèce déterminants. Ce sont bien ces facteurs là qui faisaient que les gens se levaient le matin pour aller travailler, pour, de fait, aller "se réaliser".
En aucun cas, la question du statut n'intervenait là. Il s'agit surement d'un fantasme de dirigeants, fantasme qui permet d'accuser son chien de la rage.
Il me souvient de cette rencontre entre deux ouvriers dans un événement social non professionnel. Chacun disait le milieu dans lequel il travaillait, quel métier il y accomplissait tous les matins, chacun dans son entreprises distincte et pour quelle finalité. Ils avaient tous les deux de la fierté à le dire et à l'afficher, une certaine fierté aussi pour "la marque" qui les employait.
sumons nous : je ne crois pas une seconde à la pérennité du travailleur selon la conception taylorienne, à savoir avide, fainéant et roublard. C’est pourtant un des invariants qui reste, une carricature qui constitue un pur produit de l'industrialisation du dix-neuvième siècle.
Comme l'indiquait un de mes collègues consultant en management : "On ne motive pas les gens ! Ils le sont ! D'ailleurs, ils sont tous au travail ce matin !".
En effet, ce qui motive tout un chacun au travail aujourd'hui, c'est bien l'identité qu'il retrouve dans son métier, pour la réalisation de soi, le plaisir de faire du bon boulot. Pour ceux qui auraient raté une marche, je les invite à relire ce merveilleux petit ouvrage de Sumantra Ghoshal et Christopher Bartlett, paru en 1997 en France :"L'entreprise individualisée". Tout y est bien clairement détaillé.
Donc, si les ouvriers aiment leur métier, l'oeuvre qu'il accomplissent et le travail bien fait, qui détruit alors le travail ?
Qu’est ce qui, (ou quoi), démoralise ces excellents partenaires que sont les travailleurs de tous bords ? Eh bien, osons le dire, c'est le management !
En effet, observations pratiques et études à l'appui nous indiquent que la re-taylorisation des organisations tue le travail, et détruit les personnes. Ces mêmes personnes qui, justement, développent les produits, les réalisent, les distribuent, et les font évoluer. Car c’est bien dans ce cadre là que les moyens de gestion sont passés en objectifs : fâcheuse confusion des genres ! Les bras leurs en tombent.
Ce n'est bien sûr pas une blague, elle serait d'un humour bien noir. Il s'agit de la bien triste réalité de nos organisations à la française. Alors regardons de plus près ce qui se passe.
Nombre de nos dirigeants ont été formés dans des écoles de commerce ou de gestion. Ce sont de petites ENA aux grandes ambitions. Elle rivalisent de réputation, ce "M'as-tu bien vu" qui dit à l'Autre que c'est bien moi la meilleure, sans que la preuve d'un retour d'efficience ne soit revenue et fournie.
Le seul juge de paix reste le nombre "d'anciens" placés ici ou là. Et comme les corporations d'anciens élèves font toujours réseau, les énarques se recrutent entre eux, les Inet aussi, les HEC de même, etc. Donc la cour est toujours pleine, et elle fait cour bien entendu...
Qu'est-il enseigné dans ces écoles là ? Essentiellement de la gestion, qu'elle soit des coûts, des moyens ou des personnes.
Le résultat d'exploitation reste le seul juge de paix. Ainsi, nous retrouvons là la culture mécaniste de nos organisations bureaucratiques. Ici, l'erreur est humaine. La rigueur est celle du chiffre. C'est lui qui dit si c'est juste et bon.
Ce qui se compte existe. Le reste n'existe pas. Mais je vois que je me répète... Bref, c'est donc bien là la dictature du chiffre.
Or, nous savons que la dynamique des organisations est un système vivant (et donc complexe), où chacun est élément d"intelligence et d'ouvrage. Même dans la conduite de projet, les praticiens du cru considèrent, et consacrent, après la maîtrise d'oeuvre et celle d'ouvrage, une nouvelle maîtrise, celle de l'usage. Comment les gens se servent-ils de ce qu'ils ont sous la main ? Comment les utilisateurs vont-ils pratiquer l'outil, l'infrastructure, les moyens qu'on leur apporte,et que l’on a construits pour eux ?
Cette réalité n'a pas encore atteint le mental de nos dirigeants sortis des écoles où la première chose qu'on leur dit est : "Vous êtes les dirigeants, donc les meilleurs et vous devez montrer que vous savez faire ! Alors prouvez que vous savez ce que vous savez !"
Comment voulez vous, dans ces conditions, que ces gens là fassent preuve d'intelligence. Ils ne témoignent que de ce qu'ils ont appris : des calculs et des procédures, des barèmes et des tableaux, des processus et des démarches... Je me trompe ? Regardez donc ce que l'on demande à un concours d'entrée et le contenu des mémoires de diplômes de sortie...
Ces dirigeants là n'écoutent donc personne que leurs pairs. Ils savent a priori mieux que tout le monde et, pour cela, ils sont haïs de ceux qu'ils dirigent.
Souvenez-vous de cette représentation qui circule dans les grandes organisations : "Les dirigeants restent trois ans. Pourquoi ? Parce que la première année ils défont ce qu'a fait leur prédécesseur. La deuxième, ils réinventent l'entreprise et la troisième ils maintiennent leur “merdier” avant de se barrer avec les galons, les actions,... et les récriminations. Ce n'est pas une boutade mais une réalité du terrain que les dirigeants méprisent et bien évidemment ignorent.
J'ai rencontré un dirigeant bienveillant qui comprenait le vivant de l'organisation, la réalité des talents de ses collaborateurs. Il savait que ceux qui avaient inventé les circuits de distribution, les modes d'acheminement et les casiers de tri aux PTT étaient les postiers eux même,... pas des ingénieurs ni des dirigeants dans leurs laboratoires et tours d'ivoire.
J'ai rencontré d'autres dirigeants qui ne prêtaient aucune attention à leurs collaborateurs. Ils décidaient de tout, tout seul, jusqu'au recrutement d'adjoints des premiers niveaux de management. Oui, ça existe !...
Que croyez vous qu'il est advenu de cette organisation ? Les cadres et les spécialistes sont partis ailleurs, faisant la joie de leurs nouveaux patrons. Les autres ont commencé à "s'entre tuer" à coup d’anathèmes et de chausses-trappes. D'autres ont cessé de travailler ou ont construit des "villages gaulois". L’ambiance d'émulation et de créativité a rapidement laissé place à une ambiance délétère, assassine et de suspicion. Les coûts de fonctionnement n'ont pas augmenté puisqu'ils étaient fixes, mais ils ne couvraient plus du tout les nécessités, loin de là. Cette entreprise est rare, me direz-vous ? Eh bien pas du tout.
La "retaylorisations" des organisations en réveille tous les jours. Où est la fierté de contribuer à tel ou tel projet ? Où est la fierté de travailler avec tel dirigeant ? Où est la fierté de faire correctement son métier puisque les gens, de ce fait, cessent de travailler ?
Où est la pompe aspirante à faire venir les "bons" dans l'organisation ?
Comment voudriez vous dans ce contexte que les gens aient envie de travailler, d'apporter le meilleur d'eux même, de "construire la cathédrale" ?
C'est bien ce management là qui détruit le travail en France (et ailleurs...). Peut être faudrait-il revenir à ce qui motive les gens à venir, à être meilleur chaque jour : la fierté du travail bien fait. Il paraîtrait aussi que le bonheur est dans ce "flow" : celui que produit la réalisation d'une oeuvre. Cette oeuvre à la limite de ses propres capacités, qui deviennent alors... grandissantes !... Et ce n'est là pourtant rien d'autre que notre nature humaine, sinon notre condition humaine...
Jean-Marc SAURET

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