Steven
Pinker, professeur de psychologie à Harvard et ancien dirigeant du
MIT (Massachusetts
Institute of Technology), considère
dans son ouvrage "La part de l'ange en nous" *,
qu'il est peu probable que la nature humaine (la nature biologique de
l'homme) ait changé. Il pense qu'il est plus probable que la nature
humaine inclut les penchants pour la violence, mais
également « les bons anges de notre nature » : ces
penchants qui s'opposent à la violence. Il décrit six « grands
facteurs historiques du déclin de la violence ». Chacun dispose de
ses propres causes sociologiques, culturelles et/ou économiques
:
- « Le processus civilisateur » - la consolidation des États et des royaumes centralisés dans toute l'Europe se traduit par l'augmentation de la justice pénale et des infrastructures commerciales. Cette organisation a permis de remplacer le chaos des systèmes précédents, susceptibles de conduire à des raids et à des violences de masse.
- « La révolution humanitaire » - En passant du XVIIIème au XXème siècle, on assiste à l’abandon de la violence institutionnalisée par l'État (le supplice de la roue, le bûcher...). Ce changement est probablement dû à l'alphabétisation de masse qui a suivi l'invention de l'imprimerie. Ce progrès aura permis au prolétariat de questionner la sagesse conventionnelle.
- « La longue paix » - On imaginait au XXème siècle que cette période serait la plus sanglante de l'histoire. Elle sera au contraire une période largement pacifique : 73 années de paix depuis la Seconde Guerre mondiale. Les pays développés ne font plus la guerre (entre eux, et dans les colonies) : ils adoptent la démocratie, ce qui conduit, corrélativement à un déclin massif (en moyenne) des décès.
Sans
bien-sûr faire la critique de cette recherche rigoureuse et assidue,
regardons quelques éléments qui, me semble-t-il, pourraient la
compléter.
Il
se trouve, (et je l'ai déjà évoqué) que le développement
économique, associé à la paupérisation des classes
moyennes et basses, a produit des effets sensibles. Il
a participé mécaniquement à cette ouverture aux
femmes, avec notamment, l'accès à l'emploi ( il va de soi
que les combats sociaux ont fait, en la matière, la
plus grosse part du travail).
Cette
évolution émancipatrice a sorti hommes et femmes de leurs rôles
sociaux anciens, à savoir, schématiquement, le domanial, le
cocooning et la procréation pour les femmes, quand, pour les hommes
ce sont la guerre, la conquête des biens et la sécurité. Depuis
lors, tout un chacun a pu occuper la fonction et le
rôle qu'il "souhaite" (ou trouve...).
Ces
fonctions sociales, habillées de rôles singuliers, (gendarme,
procréatrice, infirmière, nourrisseur, gardien, etc.) tombent
alors dans "le domaine public". Cet “accès
indifférent”, génère quant à lui, un phénomène de
déconstruction des rapports au monde "genrés".
Dans
ces conditions, les violences "régulatrices"
des “machos”, (une baffe pour affirmer, suivie
d'une bière pour s'accorder) deviennent caduques parce qu'absurde ou
insuportable.
Ce
système de régulation est donc devenu, aujourd'hui
obsolète. Par ailleurs, les violences morales, manipulatoires et
conversationnelles, de type "mauvaise foi", que l'on
considérait propres à la gent féminine ("Tu
n'aurais pas grossi ?...") a pris la place laissée vacante par
les violences régulatrices.
Ainsi,
un nouveau mode relationnel fondé sur des rapports sociaux
dissimulés porte une violence morale tout aussi
maléfique et perverse.
Ce monde
où l'on tue moins physiquement est aussi un monde tout aussi violent
en terme d'attaques et destructions morales, et identitaires.
Cette violence s’avère manipulatoire, “jugeante”,
condamnatoire, “anathèmique”, voire confiscatoire.
Elle touche directement l'autodétermination des personnes, leur
libre arbitre, leur liberté même à décider qui ils sont et
veulent être.
Cette
monté des violences dites "féminines" a été contrée
judicieusement par toute une population jusqu'alors exclue et
marginalisée. En l’espèce, par ceux pour qui la vie sociale
de leur sexualité (et donc identité) était toujours "interdite".
Il s'agit bien, en cette occurrence, de tous ceux dont le
corps ne portait pas l’apanage de leurs orientations sexuelles :
les gays, lesbiens, transgenres et bi (LGBT).
Ce
sont les mêmes qui, par leur action pour la fierté
de ce qu'ils sont, combattent pour eux même et pour la
société. Ce sont bien eux, qui ont ouvert la faille dans ces
carcans sociaux pour que la tolérance et l'humanisme
retrouvent toute leur place. Et ce n'est pas
encore gagné.
Le
premier succès consiste à dire que l'intolérance est
montrée du doigt, elle est effectivement jugée coupable.
Et c’est ainsi que le respect de la différence
trouve sa place dans le lien social. Il est vrai que
l'effondrement des rôles sociaux genrés, socialement distribués, a
favorisé la venue d'un règlement de situations propres
à ces populations discriminées, réduites jusqu'alors à
l'inexistance, c'est à dire à néant.
Le
second succès est d'avoir montré que les violences
morales sont tout aussi condamnables que les violences physiques. De
fait, ces combats sociaux ont mis à l'index toutes les formes de
violences de type anciennement masculin ou féminin. Pour autant,
leur mise à l'index ne les supprime pas.
Aujourd'hui,
dans les organisations, nous ne voyons plus (ou très peu) de
violences physiques, mais les violences morales sont tout aussi
réelles, et insidieusement très actives.
Il
nous faudra encore mener bien des combats moraux et politiques (au
sens de la vie de la cité) pour que tout un chacun ne soit plus
victime de toutes ces violences.
Cette
forme managériale conduit à des pratiques que l’on
croyait devenues aussi caduques qu’obsolètes. Au contraire elles
reviennent sur le devant de la scène, et avec quelle violence !
Ce
sont elles qui nient les gens, leurs compétences et leurs avis,
leur intelligence et leurs attentes, tout comme leur désir
de réalisation de soi.
Nous
y voyons des formes totalitaires inscrites dans
des pratiques de violences morales harcelantes. Elles détruisent
des vies, des gens, des richesses, des savoirs, et toute marque du
vivant.
Dans
ces organisations là (et je les penses nombreuses) les gens ont
majoritairement arrêté de travailler, de s'engager, de mettre leurs
compétences au service d'un objectif, d'un projet, dont ils se
moquent par dessus tout... en silence...
Voilà
des violences totalement contre productives dont il conviendra de se
débarrasser au plus tôt, avant que tout ne s'effondre... si ce
n'est déjà le cas.
Jean-Marc SAURET
Le mardi 17 juillet 2018
* Seven Pinker, La part d'ange en nous, Les Arènes, 2017 (ISBN 978-2352046776). (The best Angel of Our Nature, 2011),
Lire aussi : "Développer la pensée active"
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