"Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute la puissance de notre pensée ! " Après avoir durant des années posté ici réflexions et conseils sur le management des organisations, je livre aujourd'hui une vision de la réalité, au plus profond de soi même sur l'être et l'univers. Profitez ! Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en indiquer chaque fois la source et de ne pas en faire commerce.

Rire contre ou simplement rire ?

L'auteur Alain Vaillant*déclare en interview sur France inter le 18 avril vers 9h30, que le rire est toujours contre quelqu'un, bien qu'il puisse en faire aussi son complice quand la cible est là, devant le moqueur. Le rire est, selon lui, social et économique. Il est aussi, et nous le savons, la banalisation de l’insupportable. Alain Vaillant enchevêtre ces concepts avec aisance, leur conférant une certaine logique...

Il oublie malheureusement quelques détails qui changent tout et je me demande si sa conviction ne vient pas polluer sa présentation de ce qu'est le rire. Si nous parlons de ce "rire contre" c'est qu'il n'est pas rare, et je me demande s'il ne serait pas culturel.

Parmi ces "oublis" qui me viennent à la conscience, m'arrivent ceux-ci sous forme de questions : que fait Alain Vaillant d'un Pierre Pechin et de son humour de contrepèteries ? Que fait-il de l'humour de situation qui ne caricature personne et seulement des faits ? Que fait-il de l'humour de jeux avec les mots qui crée des virtualités tout à fait surréalistes ? Etc. Mais il me vient aussi cette approche culturelle : rions nous tous et partout des mêmes causes ? On parle, par exemple, d'humours singuliers, comme celui du cinéaste Woody Allen, qualifié d'humour "juif new-yorkais".

Il me revient en mémoire cette blague israélienne d'auto-dérision : un homme marche dans les rues de Tel-Aviv en criant "Qui a les questions ? J'ai les réponses !". Et cette autre occitane qui se raconte en "patois" : un cycliste est en haut d'une pente dans laquelle se trouve une maraîchère à pied avec tous ses paniers aux bras. Il lui crie : "Ne bouge pas !" et... lui rentre dedans faisant voler les paniers. La dame se relève et lui demande : "Ne bouge pas ? Tu avais peur de me manquer ?"
Voici des comiques de situation qui ne se moquent de personne mais caricaturent des posture propres, quasi identitaires, ou qui surfent en marge du réel.
Il y a aussi ces rires qui témoignent de gênes vécues lors de situations contre culturelles. Les gens, dans ce cas, ne comprenant pas, se trouvent alors mal à l'aise, face à ce qu'ils considèrent comme une transgression. Ils se mettent alors à rire ou à sourire, par une sorte d'évitement, de mise à distance de ce qui est là devant eux. Ce type de situation est repris dans une autre forme d'humour. Ainsi, j'ai entendu l'historiette suivante. Un enfant est né sans oreilles et une famille va lui rendre visite. Les parents visiteurs préviennent leurs propres enfants de la situation et les invitent à ne pas parler des oreilles manquantes. En revanche, ils pouvaient parler de tout autre chose. Arrivés devant le berceau, l'un de leurs enfants demande si le bébé y voit bien. On lui répond avec bienveillance que oui et l'enfant reprend : "Ça tombe bien parce que s'il avait du porter des lunettes..."
On pourrait développer à l'infini toutes les variétés et cibles et de formes d'humour que l'on peut rencontrer, tout à fait éloignées de la moquerie. Mais pourquoi Alain Vaillant ne voit-il que cette finalité qu'il semble décliner à toutes les sauces, qu'il semble voir partout et dont il fait système ? Sincèrement, je n'en sais rien et je me doute qu'il y a peut être quelque chose de culturel là-dessous. En effet, tout fraîchement arrivé à Paris en février 1975, je me confrontais à une habitude humoristique qui consistait à se moquer des autres. Les gens en faisaient comme un jeu de joutes et je trouvais cela particulièrement déplacé. Je n'en avait pas l'habitude, et considérais ceci comme de la méchanceté facile et gratuite. Cet humour là ne me faisait pas rire, et pour cause, je venais d'une culture du "rire avec".
Je compris que, dans un environnement âpre et difficile que sont les grandes villes, il faut jouer des coudes pour exister dans une telle foule. Peut être, alors était il possible, dans ce jeu de joutes, que ce soit une façon de montrer sa résistance ou sa supériorité.
Je me souvenais alors, que la xénophobie naissait du grand nombre, que le rejet de l'autre commençait non pas au contact de la différence mais quand le nombre dans le groupe dépassait une dimension "humaine". C’est à dire le moment où l'on ne peut plus se repérer, se distinguer, et où chacun se retrouve comme noyé dans la masse. Dans ces conditions, comme dans le phénomène  politique et janussien, décrit par le politologue Duverger dans les années soixantes, on passe de l'intégration à l'élitisme.

En effet, tant que le groupe est " mesurable", le nombre de ses membres "comptable", la démarche du groupe est à l'intégration, développant l'envie d’accueillir toutes les aspérités des singularités. Puis le nombre devenant plus important, la tendance est, alors, à la mise en conformité. Il faut que chaque nouvel individu se fonde dans un moule culturel.

On pourrait imaginer que c'est le nombre d’étrangers ou sa proportion qui feraient menace. Il n'en est rien. L'expérience montre que le problème, bien que souvent invoqué par une certaine pensée populiste, n'est pas là.
Dépassé ce seuil critique du groupe majoritaire où, par exemple, on ne peut plus compter le nombre des membres, Duverger indique que le groupe passe à un phase d'élitisme. Les valeurs identitaires du groupe deviennent le juge de paix de l'exclusion.
Il y a ceux qui “en sont” et les autres : ceux qui n'en sont pas. Ainsi, l'humour consisterait à dénigrer ces gens exclus. Ceux qui, de ce fait, ne seraient pas dignes d'appartenir à l'élite, et, par effet reflet, celui qui l'affirme, s'inscrit de facto dans le cœur des élites.
C'est certainement pour cela que cet humour de moqueries ne m'allait pas et ne me faisait même pas sourire.
Non que je me sentisse exclu, mais le fait d'exclure en se montrant supérieur m'apparaissait comme un manque de connaissance du genre humain, de sa diversité, de sa richesse et de sa complexité.
L'exclusion m'apparaissait comme une marque d'imbécillité. J'ai toujours une certaine tendance à la voir ainsi. C’est la raison pour laquelle je me suis toujours identifié à la citation d’Antoine de Saint Exupéry : “Si tu diffères de moi,... loin de me léser tu m’enrichis…” 
Alors rire contre, ou rire avec ? Il nous suffit de garder le regard large, car ce que nous disent les linguistes, c’est que le mot est une "morsure de la conscience dans le réel". Il attrape quelque chose et, en le nommant, en fait un objet. Dès lors, il y a son dedans et son dehors. Notre tentation cognitive et d'aller attraper dans ce dehors quelques objets nouveaux. Ainsi, sur les bordures des mots, sur les bordures des réalités, marchent les humoristes et les créateurs, faisant exister des réalités nouvelles, encore inaperçues et en font quelques chose dont on rit ou s'émerveille…
On peut peut-être alors rire “pour” ?... et je ne dis pas cela pour rire.

Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 5 juin 2018
*La Civilisation du rire, Paris, CNRS éditions, 2016



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