L'auteur
Alain Vaillant*, déclare
en interview sur France inter le 18 avril vers 9h30, que le rire est
toujours contre quelqu'un, bien qu'il puisse en faire aussi son
complice quand la cible est là, devant le moqueur. Le rire est,
selon lui, social et économique. Il est aussi, et nous le savons, la
banalisation de l’insupportable. Alain Vaillant enchevêtre ces
concepts avec aisance, leur conférant une certaine logique...
Il
oublie malheureusement quelques détails qui changent tout et je me
demande si sa conviction ne vient pas polluer sa présentation de ce
qu'est le rire. Si nous parlons de ce "rire contre" c'est
qu'il n'est pas rare, et je me demande s'il ne serait pas
culturel.
Parmi ces "oublis" qui me viennent à la
conscience, m'arrivent ceux-ci sous forme de questions : que fait
Alain Vaillant d'un Pierre Pechin et de son humour de contrepèteries
? Que fait-il de l'humour de situation qui ne caricature personne et
seulement des faits ? Que fait-il de l'humour de jeux avec les mots
qui crée des virtualités tout à fait surréalistes ? Etc. Mais il
me vient aussi cette approche culturelle : rions nous tous et partout
des mêmes causes ? On parle, par exemple, d'humours singuliers,
comme celui du cinéaste Woody Allen, qualifié d'humour "juif
new-yorkais".
Il
me revient en mémoire cette blague israélienne d'auto-dérision :
un homme marche dans les rues de Tel-Aviv en criant "Qui a les
questions ? J'ai les réponses !". Et cette autre occitane qui
se raconte en "patois" : un cycliste est en haut d'une
pente dans laquelle se trouve une maraîchère à pied avec tous ses
paniers aux bras. Il lui crie : "Ne bouge pas !" et... lui
rentre dedans faisant voler les paniers. La dame se relève et lui
demande : "Ne bouge pas ? Tu avais peur de me manquer
?"
Voici
des comiques de situation qui ne se moquent de personne
mais caricaturent des posture propres, quasi identitaires,
ou qui surfent en marge du réel.
Il y a aussi ces rires
qui témoignent de gênes vécues lors de situations
contre culturelles. Les gens, dans ce cas, ne
comprenant pas, se trouvent alors mal à l'aise, face
à ce qu'ils considèrent comme une transgression. Ils se
mettent alors à rire ou à sourire, par une sorte
d'évitement, de mise à distance de ce qui est là devant eux. Ce
type de situation est repris dans une autre forme d'humour. Ainsi,
j'ai entendu l'historiette suivante. Un enfant est né sans oreilles
et une famille va lui rendre visite. Les parents visiteurs
préviennent leurs propres enfants de la situation et les invitent à
ne pas parler des oreilles manquantes. En revanche, ils
pouvaient parler de tout autre chose. Arrivés devant le
berceau, l'un de leurs enfants demande si le bébé y voit bien. On
lui répond avec bienveillance que oui et l'enfant reprend : "Ça
tombe bien parce que s'il avait du porter des lunettes..."
On
pourrait développer à l'infini toutes les variétés et cibles et
de formes d'humour que l'on peut rencontrer, tout à fait éloignées
de la moquerie. Mais pourquoi Alain Vaillant ne voit-il que cette
finalité qu'il semble décliner à toutes les sauces, qu'il semble
voir partout et dont il fait système ? Sincèrement, je n'en sais
rien et je me doute qu'il y a peut être quelque chose de culturel
là-dessous. En effet, tout fraîchement arrivé
à Paris en février 1975, je me confrontais à une habitude
humoristique qui consistait à se moquer des autres. Les gens en
faisaient comme un jeu de joutes et je trouvais cela
particulièrement déplacé. Je n'en avait pas l'habitude, et
considérais ceci comme de la méchanceté facile et gratuite.
Cet humour là ne me faisait pas rire, et pour cause, je venais
d'une culture du "rire avec".
Je
compris que, dans un environnement âpre et difficile que sont les
grandes villes, il faut jouer des coudes pour exister dans
une telle foule. Peut être, alors était il possible, dans ce jeu de
joutes, que ce soit une façon de montrer sa résistance ou sa
supériorité.
Je
me souvenais alors, que la xénophobie
naissait du grand nombre, que le rejet de l'autre commençait non pas
au contact de la différence mais quand le nombre dans le groupe
dépassait une dimension "humaine".
C’est à dire le moment où l'on ne peut plus se
repérer, se distinguer, et où chacun se retrouve
comme noyé dans la masse. Dans ces conditions, comme
dans le phénomène politique et janussien, décrit par le
politologue Duverger dans les années soixantes, on passe de
l'intégration à l'élitisme.
En effet, tant que le groupe
est " mesurable", le nombre de ses membres
"comptable", la démarche du groupe est à
l'intégration, développant l'envie
d’accueillir toutes les aspérités des singularités. Puis le
nombre devenant plus important, la tendance est, alors, à
la mise en conformité. Il faut que chaque nouvel individu se
fonde dans un moule culturel.
On
pourrait imaginer que c'est le nombre d’étrangers ou sa proportion
qui feraient menace. Il n'en est rien. L'expérience montre que le
problème, bien que souvent invoqué par une certaine pensée
populiste, n'est pas là.
Dépassé
ce seuil critique du groupe majoritaire où, par exemple, on ne peut
plus compter le nombre des membres, Duverger indique que le groupe
passe à un phase d'élitisme. Les valeurs identitaires du groupe
deviennent le juge de paix de l'exclusion.
Il
y a ceux qui “en sont” et les autres : ceux qui
n'en sont pas. Ainsi, l'humour consisterait à dénigrer
ces gens exclus. Ceux qui, de ce fait, ne seraient pas dignes
d'appartenir à l'élite, et, par effet reflet, celui qui
l'affirme, s'inscrit de facto dans le cœur des élites.
C'est
certainement pour cela que cet humour de moqueries ne m'allait pas et
ne me faisait même pas sourire.
Non
que je me sentisse exclu, mais le
fait d'exclure en se montrant supérieur m'apparaissait comme un
manque de connaissance du genre humain, de sa diversité, de sa
richesse et de sa complexité.
L'exclusion
m'apparaissait comme une marque d'imbécillité. J'ai toujours une
certaine tendance à la voir ainsi. C’est la raison
pour laquelle je me suis toujours identifié à la citation d’Antoine
de Saint Exupéry : “Si tu diffères de moi,... loin de me léser
tu m’enrichis…”
Alors
rire contre, ou rire avec ? Il nous suffit de garder le regard large,
car ce que nous disent les linguistes, c’est
que le mot est une "morsure de la conscience dans le réel".
Il attrape quelque chose et, en le nommant, en fait un objet. Dès
lors, il y a son dedans et son dehors. Notre tentation cognitive et
d'aller attraper dans ce dehors quelques objets nouveaux. Ainsi, sur
les bordures des mots, sur les bordures des réalités, marchent les
humoristes et les créateurs, faisant exister
des réalités nouvelles, encore inaperçues et en font quelques
chose dont on rit ou s'émerveille…
On
peut peut-être alors rire “pour” ?... et je ne dis pas cela
pour rire.
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