Je
lisais dans le journal Libération du 23 avril dernier un court
article de Laurent Joffrin, direct, carré, net et sans détour,
intitulé "Mise en marche ou mise au pas". L'auteur y
décrivait les dernières actions, ou plutôt comportements du
gouvernement actuel. Il commençait à peu près par ces mots : "Sous
Macron, ça ne traîne pas. Les zadistes veulent rester sur leur ZAD
? On dégage. Les migrants
candidats à la traversée de la Manche convergent vers Calais ? On
dégage. Les activistes étudiants s’incrustent dans les amphis ?
On dégage. Les apprentis frondeurs de LREM contestent la loi sur
l’asile ? On menace de dégager et ils rentrent dans le rang".
Plus loin, le ton se durcit : "Le Président, bien
avant son élection, avait théorisé la restauration d’un pouvoir
impérieux, actif et vertical. On n’avait pas compris que cette
verticalité décrivait aussi la trajectoire de la matraque qui
s’abat sur les récalcitrants. S’il reste de l’horizontalité,
c’est celle des grenades lacrymogènes expédiées à tir tendu sur
les manifestants". Le langage
est fort et le propos ciblé.
Cet
article, incisif et particulièrement bien construit, me semble poser
une question de fond : la forme l’emporte-elle sur le
fond ? Et dans ces conditions, la promesse d'une démocratie
nouvelle ne cache t-elle pas, en réalité, une
volonté totalitaire ? Dans la mesure où ces nouvelles
orientations constituent le nouvel axe, pourquoi tergiverserait-il ?
Pourquoi perdrait-il du temps à discuter puisqu'il n'y a rien à
négocier, puisqu'il a “raison” !...
Il
convient de rappeler, accessoirement, que les électeurs, dans
leur grande majorité, ont élu ce président par
défaut, afin d’éviter la présence de l’extrême droite
aux affaires du pays. Lesdits électeurs avaient donc été
séduits pas la forme démocratique de la démarche. Elle semblait au
moins innovante, et susceptible de renouveler non
seulement le genre, mais aussi les parlementaires, voire
même, peut être les institutions ! Mutatis
mutandis… Voilà l’esprit !… Et si ces électeurs
séduits par la forme avaient cru voir l'aube d'un monde nouveau
forcément meilleur ? La vision guide nos pas. Elle se mêle bien
souvent d'imaginaire. Je n'ose pas la comparaison avec les électeurs
allemands en 1933 qui pensaient élire un chancelier de gauche,
porteur d'une revanche historique. Il est toujours loisible de
“refaire l’histoire” a posteriori, mais les électeurs précités
n’avaient assurément pas “pesé” la dimension
de la revanche et avaient seulement imaginé "ce qu'elle
pourrait être"... Pourtant, “tout” avait déjà été
écrit noir sur blanc. Il suffisait de lire. Le fond était bien
différent de la forme et la forme n’emporta pas le
fond. Nous venons juste de préciser que la vision guide nos pas...
Dans
l'élection de notre président, il s'est passé quelque chose de cet
ordre. Le fantasme du renouveau, du jamais encore vu, a laissé la
part à un imaginaire peut-être naïf, mais
sûrement bien voulu par son bénéficiaire. On oubliait juste la
promesse "d’un pouvoir impérieux, actif et vertical"...
On dit que les théories ressemblent à leurs fondateurs. Ce peut
être vrai en ce cas d'espèce. Nous avons affaire à un garçon à
l'aspect juvénile et fragile, le regard bleu tendre, le port
emprunté, quoiqu'un
peu rigide (on l'avait manqué). De son histoire, nous savons qu'il
aime les couloirs du pouvoir et de la puissance, qu'il en sait les
arcanes et qu'il les a fait siennes (si ce n'était déjà fait). Que
croyez-vous trouver dans les couloirs du pouvoir ? Des gens qui
l'aiment et le désirent. Rien d'autre...
L'apprentissage
de la lecture des faits et des modèles prend du temps. Il
est du ressort de l'expérience et malheureusement l'expérience ne
se transmet pas. Elle se regarde avec admiration ou dédain. Au
mieux, elle se contemple et s'oublie. Au pire, elle est décriée,
niée et... oubliée aussi.
Mais
donnons-nous quelques éléments de l'expérience commune, celle que
l'histoire nous raconte, et nous
offre. Tout d'abord, Machiavel nous a montré, dans son approche
platonicienne
du politique, combien le pouvoir (le prince) est menteur et brutal.
Il ajoute que ledit prince ne
recherche pas le bien-être ou l'éducation du peuple mais seulement
le pouvoir, son propre pouvoir.
Il le considère comme
un fait, même pas comme un droit, et ce en jouant sur les pulsions
et les passions de chacun et de tous. Illustrant cela, il me souvient
qu'à la mort de
Lénine, en 1924, le Komintern, alors présidé par Zinoviev, avait
une crainte réelle, partagée par Kamenev, Kérinski et bien
d'autres : celui de voir ce menchevique de Trotski
prendre les rênes. Ils œuvrèrent donc pour que le
pouvoir revienne plutôt dans les mains d'un apparatchik inoffensif
et contrôlable, un certain Joseph Staline. On sait ce qu'il advint.
Ils y laissèrent tous la vie.
Le
philosophe
Alain avait écrit : "Le pouvoir corrompt. Le pouvoir absolu
corrompt absolument". C’est ainsi. Il est
pourtant loisible de repérer ceux qui aiment le pouvoir et ceux
qui préfèrent l'oeuvre à construire. Les premiers se servent des
seconds. Devinez qui bosse et crée des richesses de tous
ordres... et qui dépense ces mêmes richesses...
On peut identifier les uns et les autres, et
mesurer ainsi : qui est qui ? Et la réponse est toute
simple, il suffit de regarder où ils aiment mettre les pieds,
comment ils travaillent, où, et sur quoi. La présentation
devient alors infiniment plus claire.
Invitons
nous à faire
l'exercice en relisant le présent à l'aune de
l'expérience de l'histoire, sans croyance et sans a priori.
L’exercice consiste juste à dégager le fond de la forme, de
manière à nous éviter d'être dupes une nouvelle fois. Il
nous suffit donc de
relire les articles et événements qui se sont déroulés durant la
campagne, et depuis. Nous comprendrons que nous avons
certainement été dupés par la forme des choses, et
pourtant tout était déjà lisible, visible. Les choses,
alors, (comme ce qui nous attend), seront éclairées,
sinon éclaircies...
Et,
comme une
définition du système, nous pouvons revenir à l'article
du journal Libération, qui se termine ainsi
: "Quand il
s’agit de faire des réformes (souvent des sacrifices demandés aux
plus modestes), c’est le parti du mouvement. Mais s’il faut faire
face aux dissidents, c’est
le parti de l’ordre". Comme le dit le sociologue, ça fait
symptôme... Nous sommes là bien loin de l'éthique politique d'un
Calvin. Ce même Calvin qui “retourne” le devoir
en volonté, faisant, par exemple, de l'injonction à ne pas tuer son
semblable, une démarche consciente et volontaire de protection et de
développement de la vie : "Qu'est-ce que je peux faire pour que
mon prochain vive bien et mieux ?". Son idée repose sur la
conviction du désir de vivre ensemble, conséquence du besoin de
l'autre, conséquence de nos interdépendances. C’est cette
approche qui se traduit par une attention perpétuelle à
l'autre.
Nous
sommes alors bien loin de ce que nous vivons, notamment avec ce
gouvernement, car le propos est loin d’être exclusif ! Nous
sommes loin de la considération d'un peuple adulte et responsable,
générateur de dynamiques et de vies. Ce que nous subissons semble
plus près des représentations d'un peuple infantile
qui aurait besoin de réconforts, de règles, de menaces, de
récompenses et de punitions. La représentation est pratique pour
justifier le pire. Nous savons qu'en matière de dynamique des
organisations, ceci est une horreur. Encore faut-il, pour que cette
hérésie fonctionne, que le peuple lui-même se conforme à cette
représentation. Et qu’il devienne ainsi veule et
servile, enfant joueur ou fripon, voire "lâche et crédule",
comme l'écrivait le pasteur Karl Barth à propos de la montée du
nazisme. Les gens, de fait, ne le sont
qu'aveuglés par la brillance de la forme. Rappelons-nous qu'aucun
pouvoir, aussi violent et menteur soit-il, ne résiste à un peuple
de gens debout, lucides et critiques. La violence et l'intimidation,
écrivait le linguiste et sociologue Noam Chomsky, sont les armes des
totalitarismes, quand
la manipulation dans la communication est celle des démocraties. La
forme emportera-t-elle le fond sans la complicité-contribution des
acteurs ?
Ainsi,
en terme de management d'équipes, d'organisation ou de projet, il
nous faudra toujours rester attentifs au fait que la forme de
nos managements ne l’emporte jamais sur le fond de ce que nous
faisons. A ce titre, les croyances dans les aperçus de notre
communication ne font pas l'adhésion. Plus généralement, le
fond que nous avons mis, bon gré mal gré, volontairement ou non,
intentionnellement ou pas, constitue littéralement une “raison
d'être”. C’est bien celle ci, qu'on le veuille ou non,
qui remonte toujours à la surface et fait sens. Je dirais même
mieux : elle fait réalité. Il en va de même du politique.
Alors, que les intentions des dirigeants (dont nous n'avons peut
être plus besoin) soient justes et sages, c’est bien le moins que
l’on puisse en attendre. Pourtant, on n'habille pas les
cadavres pour les rendre à la vie ! Au mieux ce sera pour que leur
état soit présentable et ne gâche pas leur souvenir. Mais
pour quelle perspective ?... Certains ne l’emporteront peut-être
pas au paradis...
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 29 mai 2018
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