Une
des singularités de notre culture française, outre une affection
profonde pour les systèmes bureaucratiques, est le mythe de l'homme
providentiel, ce sauveur, ce leader, ou ce "dirigeant éclairé".
Il ne s'agit pas du développement de héros de type "Marvel",
ces bandes dessinées américaine pleines de Captain-America, Hulk et
autres Spider-Man. Non, nous n'avons pas le culte du héro solitaire
(plutôt mal vu par nous par ailleurs et l'on s'en méfie) mais bien
de l'homme providentiel qui viendra orienter, diriger, animer
le groupe, l'entreprise, l'association. Nous avons, en quelque sorte,
le culte du leader. Nous avons peut-être coupé la tête au roi mais nous comptons toujours sur lui...
Ainsi, nombre
de nos partis politiques ressemblaient à un aggloméra autour
d'un homme porteur de sens. Je l'ai plusieurs fois écrit : nos
institutions, nos organisations en ont besoin. La particularité de
ces hommes providentiels est qu'ils concentrent tous les pouvoirs
sans que cela n'affecte personne et ne pose question à
quiconque. Le preuve en est cette particularité française que
constitue la fonction centrale de P-DG dans nos grandes entreprises. Bien de nos voisins Européen
et Anglo-saxons se préservent de cette concentration de pouvoirs et
préfèrent même des instances dirigeantes et "contrôlantes"
séparées et indépendantes, comme les Directoires et Conseils de surveillance. Nos
structures administratives territoriales ont bizarrement conservé
cette "con-fusion" entre un maire ou président d'assemblée et son
directeur général. Mais comme le marque la phrase précédente (qui
ne fait que reprendre un usage linguistique ordinaire et commun), il s'agit du
président et de "son" directeur général, lequel "saute"
s'il n'est pas absolument fidèle, dévoué, "hyper loyal", mais aussi pratiquement à chaque changement de
maire ou de président. Dont acte...
Ce
système fonctionne, comme tout système, grâce à l'adhésion
ou à la soumission des collaborateurs. En cette occurrence, cette
posture est favorisée soit par le désir de chef emblématique, de
leader porteur de sens, soit par la mécanique ordinaire de montée
vers le pouvoir. Cette dernière est en quelque sorte l'âme des
systèmes bureaucratiques où chacun se soumet aux dictas de
l'autorité, même à contre-éthique, de manière à profiter de l'organisation, de "l'ascenseur social", fut-il "favoritif" et "prérogatif". Il s'agit, en tout objectif, de faire partie de ceux qui "montent". Par ailleurs, nous savons bien que la couleur du Pacha colore toute l'organisation. Si le dirigeant est bienveillant et attentionné, toute la ligne hiérarchique aura tendance à l'être. S'il est autoritaire et directif, toute la ligne hiérarchique aura tendance à l'être aussi.
Ici,
dans ce système bureaucratique bien français, le patron ou la patronne n'a rien d'un
personnage providence. Les couloirs du pouvoir sont bien plus
importants que la raison d'être, que la cathédrale à construire, que l'oeuvre à produire.
Mais pour tous ceux dont le comportement ressemble davantage à la
majorité des collaborateurs, comme j'en ai plusieurs fois parlé,
pour qui la question du sens est motrice, alors la dimension de ce
personnage providentiel, porteur de sens, gouverneur (au sens de
"maître du gouvernail"), joue toute sa fonction.
Regardons quelques instants, quels sont nos mythes constructeur de notre culture. Ce sont Jeanne
D'Arc et Clovis, sortis des fontes de l'histoire par les républicains
en quête d'emblèmes rassembleurs et identitaires. Que nous
a-t-on enseigné en histoire à l'école ? Des monographies
de héros : Vercingétorix, Charles-Magne, Louis 9 dit Saint Louis,
Henry IV, Du Guesclin, Bonaparte au pont d'Arcole, etc. et j'en
passe. C'est une collection de héros, inscrits dans leurs paraboles
singulières, qui ont chacun apporté par leur action une solution
définitive. Comment traitons nous nos héros ? En leur faisant
descendre les Champs-Elysées sur le toit d'un bus ouvert,
en leur offrant la sépulture dans un panthéon. On baptise des
places et des rues à leur nom. Quelques statues ornent nos places à
un instar (moindre) de ce qui se fait dans les pays totalitaires,
lesquels ont beaucoup développé le culte de la personnalité.
Il est normal, alors, que notre culture attende toujours l'homme
providentiel puisqu'elle le célèbre et en institue le principe.
Alors, que se passe-t-il vraiment ? La population attend que le
personnage providentiel fasse ce qu'elle-même aurait pu faire toute seule.
Ainsi, ce culte participe-t-il à l'attente inactive que l'on
constate dans nos tendances posturales. Et quand certains de nos héros ont fait de la
résistance une identité glorieuse nationale, quand l'après guerre
en a fait la condition pour participer à la reconstruction
nationale, il est normal que, leurs traces persistant, le
comportement conforme s'installe et perdure : résister quoi qu'il en soit contre tous les changements.
Des
traces culturelles témoignent de cette demande de subsidiarité
ascendante. Comment se fait-il que, dans la fin des années
quatre-vingt-dix, les ouvriers de Danone, Heineken ou de
Moulinex, leurs usines fermant, se soient adressés à l'état
pour conserver leurs emplois ? Ce n'est pourtant pas du ressort de celui-ci.
Mais l'état-père est alors appelé à la rescousse comme un sauveur
providentiel. Le phénomène c'est plusieurs fois reproduit. Souvenons-nous de cette expression populaire fustigée
par Coluche "Mais que fait la police ?". Elle est
déclinable à souhait : "Mais que fait l'état", "Mais
que fait le maire ?" ou encore "Mais que font nos
dirigeants ?". Quelle est l'élection la plus populaire en
France ? Celle de son président de la république. Il y a dans notre
culture cette attente constante de l'homme providentiel, fut-il une
femme comme Jeanne.
Mais
alors que faire ? Il nous suffit de faire comme le font les
"alternants culturels", cette population montante,
pragmatique, humaniste, fonctionnant en réseau, comme je les ai
plusieurs fois décrit : nous impliquer, prendre en charge et faire
nous même. Beaucoup d'entre nous n'ont pas attendu et le monde
associatif continue de palier tout ce que l'état ne fait pas, ou
ne sait pas faire. Saluons leurs actions et marchons là, dans leurs pas.
Jean-Marc SAURET
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