Le
siècle des lumières a vu se développer cette posture d'acteur
caractéristique constant à mettre la rationalité en
capacité à répondre aux problématiques du progrès que le
siècle venait d'inventer. L'humain pouvait, à lui seul, faire
évoluer le monde vers un "meilleur". Jusque là, le
bonheur était l'oeuvre divine, au mieux il pouvait procéder de la
relation. Cette relation que pouvait entretenir l'être humain
avec ce dieu tout puissant. Le bonheur était "accordé" à
ceux qui le méritaient. Par ailleurs, l'humain ne pouvait décider
de ce qu'était le bonheur. Ledit bonheur restait encore
l’apanage du divin supérieur. L'invention de la
modernité consistait donc à donner (ou à rendre)
à l'humain la fixation des caractéristiques du
bonheur, assorties de ses propres variables d’ajustement.
Que souhaitait alors “l’Homme” pour lui-même ? C’est
à ce moment (propice), que l’on a chanté le temps des
cerises, ce temps "plus tard" où le bonheur sociétal sera
là. On travaillait donc pour des lendemains qui chantent.
Oui,
mais voilà, plusieurs décennies plus tard, dans le vingtième
siècle, le monde n'est toujours pas meilleur. Le bonheur
est toujours et encore bien trop loin. La promesse du progrès n'est
pas arrivée. Pire encore, le commun des mortels se rend compte que
la tournure que prend l'évolution sociétale ne nous y conduira pas.
La conscience du bien et du mal, l'intelligence des conséquences de
nos actes, l'analyse rationnelle des tenants et aboutissants de tout
système sociétal, ne font pas prendre les options utiles,
nécessaires, indispensables.
Il
apparaît que les vieux démons humains sont encore et toujours là :
l’âpreté au gain, la recherche de ce même gain facile
et immédiat dirige encore nos actes comme une intention
cachée, implicite, souterraine. La cupidité pour
des biens et revenus à court terme, dirige encore les
actions, et même les notres. La perspective du monde meilleur
disparaît dans les brumes de la pollution, dans les affres des
inégalités, des génocides et des violences en tout genre. Et le
bonheur dans tout ça ?
Quelques-uns
accèdent à des jouissances éphémères, mesquines et exiguës.
Les riches sont malheureux comme les pauvres mais pour d'autres
raisons. L'ivresse s'est substituée au bonheur. Jouir n'est pas un
gros mot mais devient une perspective réelle, fondatrice
de nouveaux liens sociaux, associés à de nouvelles
structures organisationnelles. Aujourd’hui, c’est l'humain qui
est mis au service de l'économie et non l’inverse,
comme de logique. Et l’on commence de surcroît à
imaginer que "ça a toujours été comme cela..." Triste
revirement de l'histoire moderne.
Alors,
dans cette quête d'illusions, le monde “se rajuste” :
désormais, les humains viseront la seule jouissance
immédiate. Voici le retour du “ici et maintenant”, le toujours
plus d'émotion, puisque c'est cela qui donne l'ivresse,
cet ersatz de bonheur. La postmodernité se construit, ou tente
de se construire sur les ruines d’un projet de
société rêvé, promis, sur fond d'idée de “progrès”.
Désormais, ledit progrès sera technologique. Point barre
! Le bonheur n'est pas la jouissance, d'accord, mais celle-ci est
accessible !... On la sent “ prenable”, à
portée de main.
Alors,
droit devant, l'humain fonce dans l'ultra-consommation,
l'étourdissement par les biens, et tout le monde occidental s'y met,
entraînant les pays émergents... C’est alors que
l'humain comprend que cette course à l’échalote n'est qu'une
source de frustrations toujours plus grande. La jouissance est un
tonneau des danaïdes : on ne le comble pas. Plus on l’alimente,
plus on le nourrit et plus il en demande. Dès qu'un
objet est acquis, nous voici déjà partis à la quête
du prochain. Dès que l'émotion forte est atteinte, on tente
désespérément de la reproduire, de la retrouver et ça marche
toujours moins bien. La surenchère ne comble rien. On devient
addict...
C’est
à ce moment que toute un frange de ces humains regarde avec
lucidité le désastre. Tout ça pour ça ! Aurait-on manqué
l'essentiel ?
Mais
c'est quoi, le bonheur ? Ces humains-là commencent à se détourner
de la consommation, de la propriété même. Seul l'usage des objets
est utile. c’est ainsi que des zones d'échanges et de
partages s'ouvrent. On "covoiture", on donne, on troque,
on imagine une nouvelle relation humaine. Et si c'était
l'humain l'essentiel ? L'humanisme pragmatique remonte à la surface.
Et si Proudhon et Fourier avaient raison ? Le sens de
l'oeuvre revient en moteur de l'action. On a le temps. Plus rien ne
presse. Le réseau prend la place des territoires et des zones de
pouvoir, de la hiérarchie et des tribus qui lui ont succédé. Tout
est possible. On se lâche. On est au delà de la raison. Nous
voilà revenus dans un pragmatisme aigu. La pyramide des valeurs
s'inverse. On ne vit plus pour travailler, pas plus que nous ne
travaillons pour vivre. On “fait” parce que faire
est un bonheur. La réalisation de soi, dans celle de
l'oeuvre, arrive au sommet, en phare du vivre, et donc en
modèle directeur. L'aspiration est nouvelle. C’est ainsi que
se réalise le "flow", ce “flow” que
procure l'action aux limites du rêve et de la compétence.
Csikszentmihalyi a bien raison.
Et
puis tout s'accélère. Il faut quitter ce monde post-moderne de
l'ultra consommation. Il est mortifère. Mon ami, il
faut décidément “faire” ! C’est à dire associer
les talents, rêver ses compétences pour en disposer. Cette
nouvelle mise en perspective permet aussi d’imaginer
l'inimaginable, de penser au delà du monde, et, en
révisant nos fondamentaux, courir plus loin encore. Le temps
d'après est là. Nous avons les pieds dedans. On ne pense plus au
bonheur, ni au progrès, ni même au temps des cerises, ni à telles
ou telles finalités lointaines chimériques. On lâche prise.
On fait ! Un point c'est tout !
On
réalise alors, insensiblement d’abord, qu'on est heureux,
sans grand chose, juste en réalisant... Puis, au fur et à
mesure, le phénomène s’amplifie… Tout à côté de soi,
quelques “modernes” continuent la quête du progrès.
D'autres post-modernes celle de la jouissance et de l'avoir.
Tout cela cahote, tant bien que mal... Mais
les contradictions augmentent. Certains acteurs s'épuisent.
D'autres entrent dans des violences extrêmes. D'autres encore, en bons pharisiens, pensent pour tout le monde et tentent de tout contrôler,
de tout réguler. "Il faut que ce chaos cesse !"
disent-ils... Et la vie continue au milieu de ce brouhaha. Les
humains en réseaux éphémères surnagent et poursuivent leur
construction sans hâte de ce temps d'après, sûrement un monde
meilleur qu'ils ne visent pas mais qu'ils font... et qu'ils sont !
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 10 avril 2018
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