"Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute la puissance de notre pensée ! " Après avoir durant des années posté ici réflexions et conseils sur le management des organisations, je livre aujourd'hui une vision de la réalité, au plus profond de soi même sur l'être et l'univers. Profitez ! Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en indiquer chaque fois la source et de ne pas en faire commerce.

Pourquoi nombre d’entreprises se retaylorisent ?

Dans cet environnement dit post-moderne, fait d'émotions et de temps courts, de tribus de consommation et d'identités par l'objet, de "local" et d'immédiateté, nombre de dirigeants ont une tendance forte à tout mettre sous contrôle. Les mêmes, dans les organisations, les  entreprises, ou autres institutions, disposent de cette même propension à tout compter, mesurer et "procédurer". En d’autres termes, leur nouveau “Graal” consiste à “retayloriser” le management de leur activité. Comme si “On” redécouvrait l’Amérique ! Et ce mode de “gestion” génère des tensions tant internes qu'externes et certains de ces dirigeants en "jouissent".

Les mêmes, ou autres consultants tentent l’explication sous le couvert de la complexité économique. Celle ci serait due, selon eux, à la réduction des moyens et des marchés. Mais cette approche verbeuse, ne saurait indiquer la condition "sine qua non" de cette forte pression. Il apparaît à la réflexion que l’évolution culturelle post moderne agit en interne et en externe avec des effets importants, éloignant  les organisations des buts visés par leurs propres fondateurs et décideurs. Nous sommes là en présence de cercles particulièrement vicieux. Mais de quoi s'agit-il ? Regardons de plus près.

Influences internes 

Dans un environnement complexe et difficile, la capacité d’innovation apparaît comme une bouée de sauvetage. Cependant, dans nombre d’organisations, l’innovation en interne est en panne. Sous la pression et la confiscation des décisions, l'injonction "Innovez !" est paradoxale, une "double bind" selon Gregory BATESON. A vrai dire, partout où l'innovation est en panne, nous comprenons que, pour être là, elle a besoin d’abord de représentations collectives plaçant a priori l’acteur en capacité d’autonomie. De fait, l’innovation ne saurait être issue de techniques et de procédures comme la culture bureaucratique l’imagine dans ses conceptions structurelles.
Comme le disait si justement Michel CROZIER, cette société là est bloquée. Elle a évacué l’acteur-sujet, "le tuant pour mieux l’utiliser", comme dirait Jacques LACAN. On pourrait reprendre alors l’archaïque adage que l’on prêtait au Général CUSTER :
« Un bon employé est un employé mort ! ». Ainsi, comme en témoignait un directeur des PTT dans les années 80 « Cette institution est mortifère et pourtant ce sont les postiers qui l’ont faite ».  
Il renvoyait là, d’une part, à l’histoire de cette administration où les outils et les méthodes de travail ont tous été créés par les postiers eux-même et, d’autre part, à la gestion managériale bureaucratique. De fait, ce type de management ne considère que des fonctions et des procédures, et aucunement “les gens”. L’effet s’avère rapidement délétère, et déshumanise l’ensemble du système. CQFD. A partir de là, il est loisible d’affirmer que l'organisation bureaucratique “colle” à la culture française.
Or, les acteurs post modernes ou alter consommateurs n’y trouvent ni leur place, ni leur compte. Le post moderne, dans son agitation émotionnelle rapide, sa gesticulation identitaire, sa dévoration de jouissances, se trouve très à l’étroit dans des territoires clos. Il décide, et se décide, à partir de quelques éléments émouvants piochés dans la masse d’information. Il ne décide pas sur l’observation et l’analyse. Ici, le goût tient lieu de réflexion. Son immédiateté nerveuse, son désir d’identité, en font un zappeur inconséquent. L’ultra consommation dans laquelle il s’inscrit en fait un dépendant du système économique, voire une victime, une proie.
L’alter consommateur, ou « alternant culturel », autonome et responsable par essence, ne se trouve pas d’articulation dans un système très fortement “procéduré”. Créateur d’une culture en croissance, il se relie dans des "entre-soi" multiples et en réseaux, avec un pragmatisme et un engagement déterminés par son sens de la conséquence : « Faire est efficient. Ce que tu veux, ce dont tu penses avoir besoin, tu le fais. Do It Yourself ! ». C'est ça sa philosophie.
S’il fallait caricaturer les représentations sociales de ces différentes populations, nous dirions que le moderne pense le monde unique et vérifiable ; le post-moderne le pense incertain, fait de collections d’objets en mouvement ; et l’alternant culturel comme une pluralité, une complexité, comme un champ à apprendre, à comprendre et à agir. Pour les premiers la réalité est une vérité unique. Pour les deuxièmes, la réalité est floue et incertaine, sujette à émotions. Pour les troisièmes, les réalités dépendent des approches personnelles de chacun et chacune. Il y a autant de vérités que de personnes. Elles sont donc, pour eux, toutes "vraies".

Les post modernes, dont ces générations dites « Y », zappeuses et hédonistes, sont des acteurs autocentrée, insaisissables pour le management des organisations. Les alternants culturels, "résoteurs", intemporels, tournés vers l'oeuvre et l'engagement, traversent ces organisations comme des aires de jeux. Tous ceux-ci apparaissent donc ingérables et affolent les managers. Ils participent ainsi au climat d’incertitude interne des organisations que les managers tentent compulsivement de réduire en obéissance. Peine perdue... et, du même coup, leurs “talents” aussi deviennent caducs !

Influences externes

Les marchés fortement volatiles, les projets particulièrement court-termistes, les modes de production en perpétuelles adaptations, l’évolution technologique en accélération, l’ultra disponibilité des informations, font de ce monde où se mélange le privé et le public, un environnement glauque, incertain, voire menaçant. La réaction ordinaire dans les cultures bureaucratiques gestionnaires consiste à mettre ce monde sous contrôle. Serge Moscovici disait à ce propos qu'une tendance universelle des humains est d’abord de rendre le monde prédictible. Dont acte...
Les acteurs des nouvelles générations se caractérisent par des postures d’autonomie. Or, les systèmes tayloriens, dans leurs soucis de maîtrise absolue,notamment dans l’approche scientifique du travail, tentent de rationaliser les processus et les démarches sous la sacro-sainte pensée unique : financement, gestion, procédures et ratios de rendement. Il s'agit alors de prendre le pouvoir sur les individus "sources d'erreurs", de canaliser leurs occupations, de contraindre leurs actions et réduire leurs latitudes décisionnelles, parce que, justement pour ceux-là l'erreur est humaine. Ils pensent fermement que l'erreur n'est jamais comptable "puisque le chiffre est juste"... 
Ces deux postures s’avèrent décidément incompatibles. Cette nécessité d'autonomie structurante des nouveaux acteurs fait peur aux bureaucrates, et, comme elle leur échappe, elle ajoute à la crainte, de l’incertitude. Décider c'est être indépendant, chose insupportable en bureaucratie où il n'y a que le décideur qui décide.
Dans ces conditions, les décideurs redoublent de contrôle, d'éditions de procédures, de gestions tous calibres et de mises sous tutelle. Plus ils rigidifient leur gestion, plus les nouvelles générations zappent et leur échappent. C’est ce que l’on pourrait nommer le « phénomène du noyau d’olive » : plus on le presse, plus glisse vite, fort et loin. Or, ce ne sont pas seulement les jeunes générations qui se comportent ainsi, mais l’évolution sociétale tend à colorer toute les populations de ce vert-bleu-gris.

Conclusion...

Nous sommes en présence d’un monde douloureux qui n’a jamais été aussi moralement violent. On pourrait le caractériser par ces résistances à l'enfermement, résistances organisationnelles, fuites, zapping, besoins de reconnaissance, etc. Dès lors, les guerres de territoire sont ouvertes. “La lutte des places”, comme l'a écrit Vincent de Gauléjac, succède à la lutte des classes. Les surcharges de travail s’accélèrent. Les fonctionnaires de base “sur-travaillent”  pour faire "tourner la boutique" comme jamais cela n’a été.
L’agitation est un mode d’existence post-moderne. Il croise les stratégies de guerres de territoires et les luttes de places : l’important, c’est d’être là, dans les couloirs de la DG après 20h, au moment où se prennent les décisions. D'autres pratiquent l'évitement salutaire : ils ne jouent plus.
Il y a le clan des adoubés et celui des exclus dont le pourtour change très vite. Les territoires clos ont des accents de prés carrés. A l’instar des trous noir de l’univers, ils ne laissent même pas sortir la lumière. La suspicion que des activités internes vous échappent appelle le surdéveloppement du contrôle. La suspicion est aussi sur les collaborateurs, et les théories de complots fleurissent. Les guerres des nerfs se développent.
L’art de déjouer les contrôles devient dans ces conditions, un sport national (tout à l’opposé des anglo-saxons, les français se courbent devant l’autorité mais enfreignent les lois). Effet de cercle vicieux, l’évitement pratiqué justifie l'augmentation des contrôles. Trous noirs et polices font que, aux quatre coins de l’organisation, la même action, le même chantier est traité plusieurs fois isolément, et de façons bien sur différentes. L’organisation surchauffe, s’épuise, produit moins, plus cher et moins bien. Le système, à force de surchauffer, se bloque.
Comment arrêter le cycle infernal, en sortir et enfin changer ? La réponse est dans le lâcher prise et la confiance. Et si nous replacions l’humain au centre de la dynamique ?... Or, c’est là une posture qui ne se décrète pas mais se travaille. Il me souvient de cet échange entre économistes, sur une chaîne de télévision, où Alain COTTA disait : "Les décideurs foncent droit dans le mur..." et Jean-Paul FITOUSSI de lui répondre :"...et ils klaxonnent au cas où le mur voudrait bien se pousser !"  Il va falloir faire mieux...
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 3 avril 2018
 avril

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