J'entendais
dans une émission radiophonique deux journalistes féminines
commenter les difficultés professionnelles que rencontraient les
femmes dans les entreprises. Et je me rendis compte, à cette
occasion, que ce qu'elles évoquaient constituaient autant
d’injustices, que de méfaits généraux dans le management.
Ces pratiques se trouvaient liées à une culture de la
prédation, pas particulièrement "genrée", mais
assurément courantes, presque "ordinaires", dans bien des
organisations.
L'une relatait un
événement recueilli lors d'un entretien. Une responsable
d’entreprise racontait ainsi, comment son patron ne
lui donnait pas la possibilité de succéder à son n+1 en
partance. Elle précisait comment les femmes
participent à leur malheur en ne se révoltant pas. Elle indiquait,
par ailleurs, que le rabaissement, l'effacement des femmes était
de l'ordre du quotidien.
Dans mon
parcours professionnel de collaborateur, de responsable et de
consultant, j’ai bien des fois rencontré ce type de
cas, et il ne concernait bien entendu pas que des femmes, mais
tout un chacun dans l'organisation. J'ai vu des patrons déqualifier,
dégrader, certains de leurs collaborateurs qu'ils jugeaient
"menaçants" pour leur propre parcours (sic). Les
arguments, confinant à l’argutie, semblaient toujours les mêmes,
et de même nature.
En
l’espèce, on trouvait des prétextes sur la
qualité de leurs compétences ou leur profil de personnalité, voire profil professionnel, voire encore les avis et
observations qu'ils portaient ou défendaient. Bien sûr, il y avait
bien des hommes concernés par ces discriminations ... parfois
aussi conduites par des femmes.
Il
me souvient de ce cas où une dirigeante se vit reprocher par un de
ses proches collaborateurs de manager "à la séduction".
Il lui avait confié dans un aparté privé : "On ne
manage pas en faisant crisser les bas nylons". L'assertion était
effectivement radicale et osée de la part d'un
collaborateur. Mais elle méritait aussi la
considération due à la franchise et à l’honnêteté. Cette
remarque directe se voulait, selon le dire dudit collaborateur,
efficiente, participative et constructive. Le malheureux s'était mis à parler "d'égal à égal" et en subit
les effets, en l’occurrence, une guerre ouverte,
comme une vengeance. C’est alors qu’il se vit attribuer la
responsabilité de dysfonctionnements divers et fut mis au placard.
L'affaire remonta jusqu'au directeur général qui prononça la
sanction, non sur les mots prononcés, mais sur ladite responsabilité de dysfonctionnements.
Par
chance, plusieurs
jours après, le collaborateur quittait l'entreprise pour une
institution de recherche et d'enseignement avec une fonction plus
prestigieuse et enrichissante que celles qu'il
avait eues précédemment. Le directeur général l'en
félicita même...
Cette
situation est loin d'être singulière, elle est même emblématique
d'un mode de fonctionnement, et d'un type que l'on
qualifiera de "prédateur". Celui (ou celle) qui
a le pouvoir a tendance à développer un ensemble de stratégies de
conservation et de sécurisation de son propre pouvoir, de sa propre
place, et donc de sa situation. Il aura même tendance à
faire feu de tout bois, susceptible de servir son
développement de carrière, en s'attribuant les succès
et en se dédouanant des échecs. Il m'a été donné de
voir que leurs auteurs n'étaient pas que des hommes, loin de là, et
que les victimes n'étaient pas non plus systématiquement des
femmes,... loin de là aussi.
Ce
que j'ai
pu constater, en revanche, c'est que la discrimination ne
reposait pas sur des caractéristiques d'appartenance à l'une ou
l'autre minorité. Elle mettait plutôt en présence
des profils de personnalité, des orientations
professionnelles, des “modes d'être” au travail
particuliers. Effectivement les prédateurs se comportaient bien
comme tels. Ils en avaient le profil psychologique et la posture
sociale. L'objectif qu'ils
semblaient poursuivre n'était ni la qualité du travail produit, ni
l'oeuvre à construire, mais leur propre intérêt de carrière, leur
propre ascension professionnelle. S'ils promouvaient et soutenaient
tel ou tel projet, ce
n'était que dans la mesure où il servait leur propre
ascension. On pouvait voir aussi la façon qu’ils avaient
de développer des réseaux de pouvoir, tisser des liens de
personnes, politiques et stratégiques, des liens de réseaux
corporatistes ou simplement utiles. Ceci fait effectivement symptôme.
Parmi
les "victimes",
j'ai rencontré effectivement des imprudents peu impliqués, hommes
ou
femmes, des carriéristes maladroits, mais aussi un bon nombre
de personnes orientées projet, tournées vers
l'oeuvre à construire, vers le service à rendre, vers le produit
efficient. Ceux et celles qui n'avaient pas la tournure
d'esprit de la prédation, n'avaient pas non plus la préoccupation et le comportement pour "voir
venir" les coups, pour anticiper les risques liés aux conflits
d'intérêts et se trouvaient au moins dans la ligne de mire… Car
leur attention était orientée, portée, dirigée par leur
souci d'efficience, cette préoccupation liée à
l'efficacité de leur propre travail. Ils constituaient techniquement des proies ou cibles idéales.
Leur
préoccupation ne leur permettait pas de "saisir" des
opportunités pour leur propre avancement professionnels, comme si
celui-ci découlait obligatoirement de la qualité de leur travail.
C'est là une caractéristique bien développée chez ces "victimes".
J'ai pu voir aussi, que ce n'était pas propre aux hommes ou
aux femmes, mais plutôt à un profil sociologique de personnalité.
La grande majorité d'entre eux étaient, comme on le dit, "issus
du sérail". Ils et elles ne sortaient pas de grandes écoles.
Elles et ils étaient arrivés à leur place "au mérite",
"per gradus débitos".
Ce
que j'ai
pu constater à propos de leur personnalité, c'est aussi
une propension à se sentir responsables tant de la production de
l'organisation, que de ce qui leur arrivait. Effectivement, la
culture du mérite produit cela.
En
conséquence, ce ne sont pas des gens qui demandent, mais des gens pour qui il est logique que les bénéfices de leurs travaux
leur incombe, la qualité des résultats faisant preuve de compétences, et les compétences faisant le parcours. Ce serait cela la normalité.
Quand
un de leurs dirigeant(e)s,
ou autre chef(fe), s'attribue la propriété de leurs
propres travaux, ou bien “captent” en la
confisquant, la cause première du résultat obtenu, ils et
elles se sentent bien légitimement volés, et spoliés. Eh
bien l'une des réactions courantes n'est pas seulement de la
colère, mais aussi le questionnement sur soi : "Qu'est-ce
que j'ai fait pour que ça m'arrive ?". La culpabilité suit
généralement. Ceci fait que ces gens là ne se battent pas pour
rétablir l'ordre des choses. Ils font plutôt confiance à une sorte
"d'ordre juste immanent". Comme si la justice allait
rétablir leur droit. Les "petites gens", victimes
solidaires, ont tendance à se conforter, à se réconforter
entre eux, dans cette représentation : "Il-elle ne l'emportera
pas au paradis !"
Par
ce phénomène,
les victimes deviennent contributrices involontaires de leur propre
malheur. Et ce ne sont pas majoritairement des femmes ou
majoritairement des hommes. Ce sont majoritairement des gens simples.
Bien
sûr, ce n'est là qu'un regard
sur un premier type d’événements. Et les femmes seraient les
perdantes selon certains discours, comme celui de ces journalistes
évoqué plus haut. Ce n'est effectivement pas un cas général, mais
l'apanage d'une certaine culture. Celle là même qui met en avant un
certain mouvement populaire qui tendrait à le croire,
le légitimer et à le “faire croire”. Il
est aussi vrai que si l'on refait la cotation en prenant d'autres
critères (les petits et les grands, les chauves et les chevelus, les
blonds, les roux et les bruns, les beaux et les laids, les
banlieusards, les provinciaux et les parisiens, ceux qui portent
des lunettes et ceux qui n'en portent pas, etc...) on obtient aussi
un résultat équivalent. Celui là même que la croyance
en la pertinence des variables rendra patent ou non...
Il
me souvient, pour illustrer
cela, un autre événement caractéristique (et peut être
un autre encore). Un collaborateur éminemment bien placé (chef de
cabinet) se trouve, par le jeu de chaises musicales politiques, viré
de son poste. La chaîne hiérarchique au service du nouveau
politique se charge de recaser le malheureux à une place où il ne
généra pas. Il est par ailleurs ostracisé. Ainsi, personne ne
vient plus le voir, ni ne déjeune avec lui.
Certains de ses collègues et autres relations professionnelles le
soutiennent et lui proposent leur aide. Ils le conseillent, mais
aussi agissent "dans les couloirs" pour qu'il ne soit pas
"laissé au placard". Ce qui arriva.
Il retrouva ainsi une
fonction importante, quoiqu’elle ne soit pas fondée sur
sa réelle compétence.
Dès lors,
comme pour s’intégrer au nouveau pouvoir (pour s'occuper de sa
propre carrière, pense-t-on), on va bientôt le retrouver en
train de "descendre" les amis qui venaient de
l'aider, les discriminant, les accusant de dysfonctionnements,
de responsabilités malheureuses diverses. Triste
conclusion !
Ultime événement :
celui d'un collaborateur, accueillant son dirigeant dans
une de ses réunions de travail et d'information. C’est ce dernier
qui lui avait demandé de les mettre en place. Le dirigeant
avait d’ailleurs assuré qu'il n'était là que comme un
participant lambda : un simple observateur avisé.
Sa présence était censée donner du crédit à ce type
d'atelier. Lors d'un de ces ateliers, le dirigeant fut pris
à partie, non pas personnellement, mais à propos de la
politique sociale conduite par la maison. Le dirigeant se sentant
visé, déstabilisé, va prendre la parole près d'une demi-heure,
sortant du sujet de l'atelier, justifiant ses choix, sa stratégie,
et déconstruisant les suppositions qu'il croit entendre dans les
interventions critiques.
Les
participants s'agitent, n'écoutent plus le dirigeants hors sujet,
bavardent entre eux et s'impatientent de
retrouver le fil de l'atelier. Le collaborateur animateur tente de
sauver la situation et profite au bout d'une demi-heure de
monologue, d'un léger temps de pause pour reprendre la main
sur l'animation de l’atelier et revenir au sujet traité. Le
dirigeant quitte précipitamment la salle, accusant l'animateur, qui
venait de lui sauver la mise, de ne pas le soutenir. Il le convoquera
dans la foulée, l'accusant ouvertement de lui faire de l'ombre. Il
lui demanda alors instamment de partir, de se trouver un emploi
ailleurs, lui interdisant la poursuite de toute son activité au sein
de la maison et lui indiquant, en attendant, la porte de son
désormais placard.
Voilà
le schéma d'une dynamique discriminante majoritaire dans les
organisations. La question du genre n'y est nullement en jeu. Ce sont
d'autres dynamiques qui se jouent, et pourtant ces
journalistes en avaient fait une des caractéristiques de la
discrimination des femmes. J'ai donc envie de leur demander aussi
quel type de combat il faudrait mener contre les
discriminations faites aux chauves, aux vieux, aux laids, aux très
myopes, aux trop hypermétropes, aux trop petits, aux trop grands,
aux jugés trop gros ou trop maigres, trop blonds ou aux trop bruns,
trop ceci ou pas assez cela... Peut être que la stigmatisation nous
fait-elle perdre de vue d'autres réalités. Peut être que nos
préoccupations occultent-elles la réalité même, à
l'instar de ce que Platon décrit dans le mythe de la caverne. Mais
le plus dangereux serait que ces préoccupations deviennent le "juge
de paix" dans notre vivre ensemble. Alors, peut être, nous
ne serions plus très loin de la dictature...
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 24 avril 2018
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