Il
y a quelques années, je me posais la question de savoir si
nous irions vers une société sans chef ni leaders, tellement un
individualisme de consommation avait généré un "homme
nouveau", postmoderne, zappeur, émotionnel, "immédiatiste", inconséquent, localiste, aussi totalitaire et omnipotent qu'un enfant de cinq
ans. Mais le monde change vite et l'évolution sociétale est galopante, surprenante, cyclique. La postmodernité est actuellement dépassée par la prochaine vague, laquelle est déjà là, active, ô combien !. Je m'explique.
L’avenir
entre sans frapper. La vague sociétale d’après, celle qui est déjà bien là, cette "alternation culturelle", que l'on pourrait aussi nommer "l’an-archos". Elle se caractérise par cette absence de pouvoir centralisé, formalisé ou
incarné, qui surgit au milieux de la société postmoderne. C’est
peut être pour cela que le courant alter-consommateur, celui qui justement représente le monde « d’après » la post-modernité, ne
se voit pas encore clairement. Nous aurions tendance à le penser comme un
courant politique. On trouverait alors qu’il en emprunte les oripeaux, le
formalisme.
Eh bien
non, le monde alter consommateur ressemble à l’empire Comanche des
18 et 19° siècles, en l’espèce, un empire sans
empereur ni cour, sans commandement ni armée permanente, sans
administration ou bureaucratie. Oui, l'histoire bégaie, et comme
disait Churchill, elle se répète. Hélène RICHARD aurait donc eu,
elle aussi, raison : la post modernité n’est qu’un temps entre
la modernité et un « après » qui émerge. Un peu à l’instar
de la renaissance qui fermait le moyen âge avant
l’ouverture à la modernité. Est donc en train
de s’installer un "alter-empire", c’est à dire
une somme dynamique d’acteurs portés par un esprit
libertaire. Ledit esprit se trouvant fondé sur les valeurs
que Pierre Joseph Proudhon revendiquait, en le portant haut
et fort. Le 19° siècle européen l’a formulé, puis décrit.
Le 20° siècle l’a qualifié d’utopie. Le 21° siècle le
réalise…
Geek,
créateurs de culture, alter consommateurs, Parti pirate, Anonymus,
Nuits debout, tous sont moralement nés dans (et
de) la post-modernité. Ils ne réclament rien mais
posent un a priori de liberté, d'autonomie et
d’indépendance individuelle. Avec la force de la
reliance1 assortie des
coopérations vers un vivre ensemble mutuellement réinventé, ils pratiquent
la "re-création d’un monde qu’ils réinventent”.
Conséquents,
pragmatiques et spiritualistes, ils déconstruisent les codes et
tissent de nouvelles manière d’être au monde.
Furtifs,
ils gèrent leurs relations, leurs créations, leurs coopérations,
leurs réalisations et les partagent selon leur désir, projet,
imaginaire avec pragmatisme. Ces gens là n’ont besoin ni de chef,
ni de leaders, ni de représentants, ni même de territoires
puisque ceux ci, par essence, sont communs.
Déniant
la société de masse, ils décrochent des idéologies, et
font de la production le fondement des relations sociales et de la consommation un outils de lien social. Ils ne ressentent
aucun intérêt à y succomber. Plutôt peu consommateurs, voire
alter-consommateurs, ils organisent et gèrent leurs rapports aux
objet. « La propriété c’est le vol ! » proclamait Proudhon (il parlait en fait de celle des plus possédants). La
propriété, ils s’en moquent, ils sont dans des logiques d’usage.
Oui,
ces gens là sont des furtifs-pragmatiques, solidaristes et
fédéralistes. Leur système identitaire est déconnecté de
l’objet. L’identité est une activité produisant de
la “sensation d’être” (cf. le
concept "d'identation").
Pas d’affichage, pas de valorisation ou de reliance par l’objet
comme l’a installé en postmodernité, la culture de l’ultra-consommation. Ces gens là louent les objets usuels, les partagent, se les passent, s’associent pour l’usage. L’objet retrouve une place d’outil
pratique. Il ne valorise pas. Il n'a aucune fonction
distinctive ou identitaire.
La
maîtrise d’usage prend, dans ces conditions, une part
centrale dans leur rapport au monde. Ils déploient cette
intelligence pour l’exploration, la création, la production autrement et joyeuse. Après l’enfant de cinq
ans “tout puissant”, celui là même qui faisait peur à
Freud, et qui qualifie le post-moderne, voici l’hybride adulte
de sept ans, explorateur et responsable du monde !
Tribaux,
ils pratiquent le "multi entre soi", se liant,
déliant, ou reliant dans l’élaboration ludique de leurs
projets. Il n’est plus question que le travail fasse souffrir. Ça
se voit déjà et des prêcheurs du management s'en sont emparé. La
réalisation de soi, sommet de la pyramide d’Abraham Maslow, est la
base de leurs projets. Ils ont renversé la pyramide, en
même temps que les tabous... Comme l’étiquette n’est pas
l’identité, les voilà zappant de tribu en tribu, liant des
reliances entre elles, construisant des ponts efficients quoique
éphémères : ils auront le temps de l’utilité.
Nous
ne les voyons pas parce qu’eux même ne se distinguent pas. Ils ne
se sentent pas hors de la société, parce qu’ils ne la considèrent
pas comme un système mais comme un champ. Et, s’il y a système,
ils n’en sont pas. Les “révolutionnaires” se voient
parce qu’ils sont en posture agressive et dans des rôles d’opposition. Pas eux.
Pragmatiques, ils “font avec”, usent des usages qui
s’offrent à eux, se fédèrent, développent les pratiques qui leurs conviennent,
quand elles servent leurs projets. Ils ne sont pas des
consommateurs mais des utilisateurs. Le système n'a pas de prise sur
eux et le système l'a compris. Il tente de les "racoler", de les ramener dans leur champ de consommation par des publicités ciblées. La structure du capitalisme est la consommation quand celle des alternants culturels est la construction, la création, la production.
Regardons
comment fonctionnent les tribus de type Anonymus, Nuits debout ou
Parti Pirate : pas de leader, pas de porte parole, pas d’idéologie
dominante, pas de représentants, juste un débat ouvert où chacun
parle en son nom, porte sa contribution. Ce n’est plus un monde
dirigé mais auto construit, fait de juxtapositions.
Les
modernes qui jugent « intenable », « voué à l’échec », ce
type de “non-structure” (que nous qualifions de «
réellement anarchiste » et de proudhonienne), se réveilleront avec ce monde devant
leur porte, sous leur fenêtres, dans leur salon... Il est là,
toujours plus présent. Il est “l’altère-opportunité”
derrière le monde marchand qui s'essouffle et s’effrite.
Pierre-Joseph Proudhon l’avait prédit : « L’anarchie, c’est
l’ordre sans le pouvoir ».
L'anarchie, bien loin de l'anomie (c'est la caricature que l’on en a fait), est fédéraliste, pacifiste, solidariste, humaniste et constructive. Elle s'oppose radicalement aux pouvoirs de l'argent notamment, mais aussi, à n'importe quel pouvoir, quelle qu’en soit la forme ou la nature dès lors qu'il vient d'ailleurs, d'en haut (démocratie capitaliste), d'en bas (dictature du prolétariat), de l'extérieur (autres invasions). Ces pouvoirs qui, depuis près de deux cents ans, tentent de la faire taire, de la museler, à coup de violences atroces, répétées et inhumaines, produisent un ersatz d'anarchistes idiots et violents à leur tour. C’est par ce passage “obligé”, et la case “indignation”, que nous allons pouvoir, enfin, revenir à l'essentiel...
L'anarchie, bien loin de l'anomie (c'est la caricature que l’on en a fait), est fédéraliste, pacifiste, solidariste, humaniste et constructive. Elle s'oppose radicalement aux pouvoirs de l'argent notamment, mais aussi, à n'importe quel pouvoir, quelle qu’en soit la forme ou la nature dès lors qu'il vient d'ailleurs, d'en haut (démocratie capitaliste), d'en bas (dictature du prolétariat), de l'extérieur (autres invasions). Ces pouvoirs qui, depuis près de deux cents ans, tentent de la faire taire, de la museler, à coup de violences atroces, répétées et inhumaines, produisent un ersatz d'anarchistes idiots et violents à leur tour. C’est par ce passage “obligé”, et la case “indignation”, que nous allons pouvoir, enfin, revenir à l'essentiel...
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 6 mars 2018
Publié le mardi 6 mars 2018
1 Marcel Bolle de Bal, Reliance, déliance, liance : émergence de trois notions sociologiques, In Société, De Boeck Université, 2003/2 no 80, p. 99-131. (DOI : 10.3917/soc.080.0099)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos contributions enrichissent le débat.