Nous
avons l'habitude d'entendre que "ma liberté s’arrête là où
commence celle des autres". Certes ! Mais si nous prenons
l'adage pour "vrai", cela ne prend pas en
compte l'interdépendance de nos identités (je renvoie à
mon article sur "l'identation", c’est
à dire à une lecture active de l'identité).
L'idée
de liberté, en effet, est fondamentalement liée
à celle que l'on se fait de soi (et de l'être humain en
général). Je m'explique. Si, comme avant le siècle des lumières,
l'être humain était soit sujet (assujetti à un
monarque), soit monarque lui-même, la liberté dépendait
du statut de la personne et/ou de sa position géographique.
Par exemple, dans le sud-ouest de la France, ce que l'on appelle
l'Occitanie, jusqu'au douzième siècle, Juifs, Vaudois et Cathares étaient considérés comme
gens libres, qu'ils soient hommes ou femmes d'ailleurs.
Ainsi
la sphère de nos libertés dépend-elle de la structure
culturelle dans laquelle elle s’exerce, c’est à dire celle
où nous vivons, et de la relation que nous avons à l'autre
(qui en dépend). Le champ de la liberté est donc relatif aux règles
du lien social.
Il
faudra replonger dans l'approche humaniste (Erasme, L’Éloge de la
folie, 1509) et attendre, après le “Siècle des
lumières”, l'esprit de la seconde république de 1848,
pour imaginer une règle possible de liberté universelle pour tout
un chacun (c’est tout le contenu de l'adage
précité).
Ce
que nous comprenons alors est que si les acteurs sont dans des
cultures différentes, il peut y avoir un conflit de valeurs, de
fondements et de repères, voire un conflit physiquement réel.
Il est aisé d’observer, et très concrètement, ce
type de confrontation entre les acteurs coexistants. On
comprend mieux alors, les affrontements entre les protestants
humanistes et les catholiques centralistes. Il nous suffit aussi de
croiser actuellement quelques migrants d'autres cultures
pour comprendre très vite que ce qui est fondamental pour eux, ne
l'est pas pour nous. La réciproque évidemment s’applique ! Émerge
alors le conflit sur ce qu’on appelle le "voile
islamique", et l'application des lois
républicaines, (intégrant l'éducation et les rapports
sociaux femme-homme).
On
comprend très vite que, dans le conflit et ses violences volontaires
et réactives, la liberté d'être et de faire disparaît. C'est
d'ailleurs l'objectif du conflit : réduire la liberté d'être, et
de faire de l'autre un tiers-objet (matériel, moral ou
philosophique). Il s'agit donc parfois de réduire aussi des
“possessions”.
Pour
accorder à autrui la liberté d'être et de faire, il nous faut
accueillir sa différence (cf A. de St-Exupéry), ses références
diverses (cf R. Ghiglione), ses préférences et ses "sacrés"
(Cf. C. Rivière).
Il
est vrai aussi que des cultures sont essentiellement fondées
sur le conflit et la protection du groupe, (ou de la
tribu). Ainsi certains amérindiens du Canada pratiquaient-il le
"Potlatch" (la destruction de ses propres biens) pour
prouver à l'Autre sa propre opulence, son "intouchabilité"
et donc sa supériorité. Pour accueillir dans ses rapports à
l'autre ces différences culturelles fondamentales, il faut, nous
dit-on, user de "tolérance".
Un
article sur ladite tolérance, (cf. un site d’encyclopédie
interactive), débute par ces mots : "En
général, la tolérance, du latin tolerare
(supporter),
désigne la capacité à permettre ce que l'on désapprouve,
c'est-à-dire ce que l'on devrait normalement refuser
".
De fait, nous aurions spontanément et prioritairement
tendance à rejeter les particularités essentielles de l'autre sous
prétexte qu'elle ne sont pas nos fondamentaux... Exact, et c'est
normal ! Car accepter que les fondamentaux de l'autre entrent dans
nos règles de liens sociaux remet en cause nos propres liens
sociaux. Alors commence le conflit pour la défense de nos
fondamentaux, de fait de notre singularité, c'est à dire de notre identité.
De
la même façon, comme l'analysait le psychosociologue Rodolphe
Ghiglione, dans le phénomène de conversation, il
s'y "transacte" nos références, qui sont nos critères à
penser le monde, à propos ou autour d'un tiers objet : le sujet dont on parle. Il ne s'agit donc
pas de "convertir" l'autre en imposant un critérium
à la place du sien, mais de savoir simplement d'où il
parle. Voilà ce que nous indique très simplement
Ghiglione : tolérer n'est pas indispensable s'il s'agit simplement
de comprendre d'où l'autre nous parle, et l'autre de comprendre d'où
nous parlons. Nous pouvons donc laisser tomber nos guerres suprématistes de valeurs.
Il
me souvient de cette conciliation que j'avais eu à accompagner entre
un manager orienté "résultats" et un de ses
collaborateurs orienté "empathie" et qualités
relationnelles. Ma conciliation consista à demander à chacun s'il
pouvait concevoir que l'autre puisse fonctionner ainsi, et que
ce qui lui importait le plus pouvait être ça ou ça. Ils en
convinrent et leur relation s'en trouva apaisée. Des expressions de
type "Oui, c'est comme ça que tu le vois" ou "c'est
vrai que tu penses comme ça" venait alimenter leurs nouveaux
rapports dès lors coopératifs, tout en gardant chacun sa
particularité avec son critérium propre.
La
phrase d'Antoine de Saint-Exupéry "Ta différence, mon frère,
loin de me léser, m'enrichit" prend alors toute sa
dimension. Il ne s'agit donc pas de dominer l'autre en lui imposant
ses valeurs et critères mais, comme nous le faisons dans nos
conversations ordinaire à peu d'enjeux, d'entendre d'où il parle,
de l'accueillir pour inventer un "vivre ensemble"
ressourcé, amélioré.
Alors,
effectivement, la liberté d'autrui, comme la mienne, a besoin
d'avoir la paix en objectif volontaire.
Jean-Marc
SAURET
Publié
le mardi 27 février 2018
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos contributions enrichissent le débat.