Nous
avons compris qu'un activiste radical n'est certainement ni un
demeuré ni un malade. Nous savons que la question du sens est
maltraitée dans notre culture occidentale actuelle, et nous savons
aussi combien le sens nous est nécessaire pour nous orienter et
agir. Nous savons que nous ne sommes pas d'un côté un corps bestial
et instinctif, et de l'autre un esprit rationnel et réfléchi.
Non,
nous sommes bien une entité totale et globale, à l'intelligence
symbolique et au fonctionnement émotionnel. Nous avons compris
que les représentations sont déterminantes : "La vision
guide nos pas".
Nous
savons aussi que l'autre n'est ni boite ni objet, mais le partenaire
vivant et autonome de ce que nous vivons et voulons. Nous savons
encore que l'apprentissage et les transformations ne se font pas
contre les gens mais en étroite collaboration avec eux. Les forcer
et les contraindre ne sert à rien. Nous avons bien compris que
l'être humain est vivant et ses convictions parties prenantes à sa
construction. Ainsi, l'accompagnement constitue-t-il une démarche
pédagogique qui comprend du relationnel, du sens et de
l'expérimentation. Je crois avoir tout dit...
Alors
quelle est cette voie qui permet d'accompagner la transformation de
l'autre ? La question du sens est fondamentale et un "sens"
déjà installé sur une réalité est plus difficile à désinstaller
et à reconstruire qu'une absence de sens (cf S. Moscovici). Ce sera
donc l'aboutissement d'un long processus de
déconstruction-reconstruction, fait d'ancrages et d'objectisations.
Ce processus complexe repose sur le partage de représentations, sur
la quête de sens et sur l'expérimentation.
C'est
bien de ces trois axes que sera fait notre accompagnement à la
transformation de l'autre (nous n'en sortirons pas indemne nous
même). Il est bien probable que ce soit cela qui ait manqué aux
accompagnements de dé-radicalisation.
S'il
y a accompagnement, il y a donc au moins deux personnes en présence.
L'autre n'est donc pas le seul sujet-acteur de la transformation.
Nous en sommes tout autant acteurs impliqués et donc
co-responsables. La première chose que nous aurons à soigner est la
qualité de notre relation à l'autre, une relation faite de son
respect, de sa considération bienveillante dans une relation
équitable et égalitaire. Nous avons donc à soigner tout d'abord la
qualité de notre posture.
Au
delà voici une présentation simplifiée du traitement des trois
variables essentielles, totalement imbriquées et interdépendantes :
partager des représentations, mettre du sens et accompagner
l'expérimentation.
Partager
des représentations commence dans la conversation dans une
écoute active. Je pense aux conseils et préconisations du
psychologue Carl Rogers. Je pense aussi à nourrir nos échanges de
variables émotionnelles et symboliques : en n'omettant jamais de
"sensorialiser" nos présentations, comme celles que
l'autre nous confie. Il s'agit de convoquer nos cinq sens, de mettre
de la couleur, des formes, du son, des odeurs et des sensations dans
nos propos.
Il
nous faut aussi contextualiser ce que l'on raconte, c'est à dire
user de paraboles et d'exemples qui donnent à l'autre de quoi
"toucher" notre propos. Nous ferons de même avec ce
qu'il nous apporte ou nous rétorque...
Il
nous faudra aussi convoquer la symbolique de l'autre. Chacun à son
critérium, écrivait Schopenhauer. Ghiglione nous disait que c'est
ce qui se "transacte" dans la conversation : notre
"critérium". On sait alors d'ou l'autre pense et parle. Et
l'on met en commun nos critères sans pour autant, d'ailleurs, les
partager. Nous userons alors de citations, de références et de
modèles. C'est bien ce que l'on fait quand nous racontons un
événement. C'est bien ce que nous faisons quand nous faisons
visiter une région, une maison, un espace, un lieu que nous
chargeons d'histoire. Si la conversation donne ainsi du sens
elle n'est rien sans un ancrage "dans la chair".
Mettre
du sens c'est dans les trois acceptions du mot : donner de
l'orientation (de la direction), mais aussi expliquer, et encore
donner des sensations. Ici aussi, les choses se feront en co-action.
Ceci se fera par le canal d'une interaction féconde, en échanges
constants, en "clinique", c'est à dire "au chevet"
de l'autre. Mettre du sens sera plus une préoccupation constante,
une posture, plutôt qu'une action spécifique ou singulière. C'est
dans l'action et l'expérimentation que les commentaires, comme dans
la conversation ordinaire, viendront étayer l'action partagée, les
faits constatés. D'ailleurs, les faits qui n'ont pas de sens
n'existent pas longtemps dans nos mémoires.
Accompagner
l'expérimentation renvoie à l'idée que l'on se fait d'un
entrainement sportif. Il faut "faire et toucher", pour
comprendre et apprécier. On n'apprend pas la pratique d'un sport en
le regardant sur un petit écran.
Alors,
on gardera toujours en tête quelques principes éducatifs : un
nouveau geste devient "naturel" au bout de trois semaines
de pratiques et d'exécutions. Un geste non pratiqué s'oublie en
trois semaines. On ne dit pas la solidarité, on la vit et on la
pratique dans des règles de jeux. Celui de rugby est une excellente
école de la vie. Chaque valeur que l'on veut transmettre, et rendre
porteuse de sens, a besoin d'être expérimentée, pratiquée. On
comprend l'engouement pour les stages de survie où les participants
touchent de près des modes de faire dans un environnement hostile,
avec ses "pourquoi" donnant sens aux "comment".
A
partir de ces quelques principes et orientations, chaque éducateur
ou formateur façonnera sa voie pédagogique, car il s'agit aussi de
sa personnalité investissant ses propres pratiques et connaissances
expérimentales. Nous avons à transformer en nous transformant et
vice versa. C'est là l'ordre du vivant...
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 20 février 2018
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos contributions enrichissent le débat.