"Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute la puissance de notre pensée ! " Après avoir durant des années posté ici réflexions et conseils sur le management des organisations, je livre aujourd'hui une vision de la réalité, au plus profond de soi même sur l'être et l'univers. Profitez ! Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en indiquer chaque fois la source et de ne pas en faire commerce.

Et si l'esprit du blues contaminait avantageusement le management de nos organisations...

On trouve dans la petite histoire des bluesmen une collection d’événements qui me semblent illustrer précisément ce qu’est l’esprit du blues et qui pourrait nous être bien utile en management. La première petite histoire qui me vient à l’esprit est celle-ci. Elle se passe à la fin des années quatre-vingt, dans un petit studio d’enregistrement du Middle West. Peter Guralnick et Scott Billington, producteurs d’enregistrements, sont sur les dents. De l’autre coté de la vitre, Johnny Shines, le compagnon de route de Robert Johnson (une icone du blues), et Robert Lockwood Jr., d’Helena en Arkansas et gendre du même Robert J., sont en train d’enregistrer quelques morceaux en prise directe, comme les bluesmen ont l’habitude de le faire. 
Du coté de la technique, ça va pas fort. Cet "enfoiré" d’ingénieur du son vient d’effacer une bonne partie du premier morceau, tout le début en fait… Plus que gêné, Peter va voir les bluesmen et leur annonce la catastrophe : « On a perdu le début du premier morceaux… ». « Et alors, demande Johnny Shine, la fin ne te convient pas ? »… silence lourd pour Peter. Robert semble s’en foutre, plus préoccupé à retendre ses cordes tout en frottant sa barbe blanche. « On n’a plus le début. Il faudrait réenregistrer ce morceaux…» propose Peter. « Bon, si tu y tiens vraiment, reprend doucement Johnny Shine, OK !… Heu ! Tu peux me chanter comment ça faisait ?…. ». De fait, ces bluesmen sont dans la création continue, et il semble que ceci participe à la prégnance de leurs œuvres.
Quand je suis arrivé à Paris en 1975, je jouais du blues au saxophone dans quelques cabarets de la rive gauche et autres bouges. Grace à quelques réelles amitiés personnelles, je traînais dans le milieux des musicien d’afro-jazz, du moins appelait-on ce style comme ça à l’époque. En fait c’était là le mot un peu pompeux et racoleur pour dire qu’ils jouaient vraiment bien leur musique populaire traditionnelle de manière enlevée et dynamique. Je m’était alors donné comme « professeur » l’adorable Joseph Maka, dit « Jo », guinéen de son état et aujourd'hui décédé à la suite d’un long et douloureux crabe. Je l’entend encore me dire « Si on fait des gammes dans tous les sens et à tire larigot, c’est pour que ce qui passe par la tête sorte directement par le bout des doigts… » Paradoxalement, il n'en faisait pas tant que ça. Il ajoutait : « Joues ce que tu veux jouer et laisse "passer" la musique ! C’est ça, travailler. »
Un jour, Delenco, suave et feu batteur montalbanais, chanteur-guitariste hobo avec qui je partageais un bout de chemin, me rapportait que Karl Perkins affirmait dans un interview à Rolling Stone n’avoir jamais étudié et d’avoir passé son temps à jouer ses chansons. Delenko en avait fait sa philosophie. Plus récemment, Angelo Debarre, guitariste virtuose de jazz manouche, affirmait dans une autre entrevue être son seul et de plus très mauvais élève : « Je joue. Je ne travaille jamais ». C'est la pratique de leur passion qui semble, pour eux, faire office de maîtresse...
Il y a une quarantaine d’années, quand je me suis mis à jouer de la basse, j’avais très temporairement choisi comme professeur l’excellent bassiste, ami et aussi montalbanais Tony Ballester pour qui le jazz et son harmonie n’a pas de secret. Il me disait alors : « Quand tu travailles, tout seul chez toi dans ton coin, tu t’intéresses à ce que tu fais : quelles sont les notes, dans quelle tonalité, dans quel mode, avec quel type d’accord, etc… et tu recommences mille fois pour l’avoir en réflexe. Mais quand tu joues, tu joues. Tu oublies la théorie. Tu oublies même que tu joues. Tu es là dans ce qui se passe, un point c’est tout ! ». Quel fabuleux modèle de vie pour nos organisations !... 
J’ai donc longtemps joué avec les musiciens d’afro-jazz. Cette musique va de Fela Ramson Kuti à Ali et Vieux Farka Touré en passant par Marc Bonan et bien d'autres. On sait aussi le lien direct et essentiel qu’elle a avec le blues. Je rencontrais là dans les sphères d’Edja Kungali d’Adolphe Winkler et l’International Free Danse Music Orchestra de François Tusque, des gens qui étaient d’abord des griots, des conteurs, ou des chefs charismatiques, puis des "restitueurs". 
Leur point commun est qu'ils étaient tous "traversés" par la musique. Elle semble donc être autant un acte social quand ils produisaient, qu’un champ d’humanité dans lequel ils vivaient et puisaient. Quand je voulais travailler avec eux, on jouait. Quand on voulait répéter un morceau, l’un le jouait et tout le monde jouait avec lui. Quand je demandais « Montres-moi !  Explique moi ! », ils jouaient. Si je demandais un conseil, ils me répondaient : « Joues ! » et on jouait ensemble. Pour eux, travailler, montrer, expliquer, c’était jouer. Non pas qu'ils en fussent incapables, ce serait leur faire insulte, mais parce que la pratique est la mère de toutes les transmissions.
A cette époque, je me suis retrouvé de passage à l’école d’Alan Sylva, dans le Marais. Ce contrebassiste de jazz et chef d'orchestre distribuait les rôles à chacun des musiciens-élèves avec des images. Il me dit, en me voyant avec ma basse électrique, une vielle demie caisse à la forme d’une 335, « Tu es un bugle, OK ? Tu joues comme un bugle. » et c’était là toute la consigne. On faisait avec cette image. L'enseignement, la demande passait par la convocation de l'imaginaire de l'autre, de ce que nous pourrions avoir en commun, de sensible, de vécu.
Ce que je crois avoir compris de ces histoires et de ces rencontres, c’est que pour chacun de ces acteurs de la musique, elle vient de l’intérieur, comme dit la chanson. Tu te laisses traverser par elle. Dans son fabuleux DVD « Sessions for Robert J. » Eric Clapton se déclare n’être qu’un passeur de la musique. Pour lui tout musicien n’est qu’un passeur, un transmetteur qui est traversé par la musique. Je me sens bien à cette place. 
Et si dans nos organisations, le management consistait à faire appel aux valeurs du travail, à la passion du métier, et abandonnait les contrôles (inutiles et mortifères) au profit de laisser passer le sens de l'oeuvre, du travail bien fait, du service rendu, de la raison d'être du métier ?... Il se trouve très avantageusement que ceci est le propre de bien des employés, que contrôles et commandements vont détruire. On retrouve alors les gens, les mains au fond des poches, attendant la fin de la journée, et de plus on le leur reproche... Paradoxal, non ?
Il m’a semblé comprendre que, pour tous ces musiciens-là, la musique est un moment, pas un morceau. Celui-ci n’est qu’un prétexte. L’important c’est ce qui se passe là quand elle se joue… et parfois, elle se joue de toi, elle t’échappe et tu rentres à la maison faire le Robert J. au crossroad : tu bûches alors et te réconcilie avec ton instrument. Il en va de même pour la taille de pierre et la réalisation de l'oeuvre.
Il me semble avoir compris qu’il y a une différence profonde entre la variété, aussi belle et noble soit-elle, et le blues. En variété, on écrit un morceaux. Dans le Blues, on le joue. Pour l’une, c’est le morceaux qui compte et on le reproduit le plus fidèlement possible en concert. Car le concert consiste, justement, à rendre la création donnée dans l’enregistrement. Pour le second, c’est l’événement qui est premier : et c'est bien ce qui se produit à l’occasion du morceau, dans un lieu "lamda", avec des gens de ce moment là. En management, on appelle aussi cela l'intelligence collective et la créativité, l'innovation. Si l'on s'intéresse au plaisir de faire, les résultats dépasseront l'attendu, ceux qui justement sont visés.
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 30 janvier 2018

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