On
dit que la France a besoin de se réformer. Il est vrai que sa
culture, historiquement bureaucratique, l’a installée dans des
modes de blocage où le mot même de « résistance »
constitue une valeur forte (et pas que depuis 1945). Elle se trouve
aujourd'hui dans un temps comparable à la période suivant la
révocation de l’Edit de Nantes où les « réformés »
ont quitté le pays, emportant avec eux la dynamique économique. Ils
sont allés la développer en Allemagne, en Hollande et en
Angleterre. Il y a même des sociologues, voire des géographes, pour
penser que c'est là que se trouve la première raison de
l'affaiblissement de la France. C'est là-dessus que se préparait la
révolution de 1789, au-delà même des grands gels et des mauvaises
récoltes successives. L’effondrement économique lent et continu
aurait installé ces conditions majeures, propices à la grande
rupture (il y en a même pour dire que cette période préfigurerait
l'actuelle...). C'est dire !
Ce
qui reste de cette perte culturelle protestante nous habite encore :
on peut le qualifier de désir de permanence et résistance au
changement (nous ne sommes pas des révolutionnaires et si nous
faisons la révolution, ce n’est que par violente résistance, par
frustration de consommateur, ou par défaut). Et comme le passé est
toujours plus sûr que l’aventure de l’avenir, résister devient
un mode de pensée et de vie. Nous savons le développer contre vents
et marées, vent qui gonfle les voiles de nos économies, marées qui
"alluvionnent" nos terres et nos cultures… Aurions nous à
ce point adopté l’adage cathare « Mon frère, il faut
mourir » ?
La
réforme dont nous avons besoin est culturelle. Elle nous viendra
soit par le sud, dans les apports de courage et de volonté trempés,
soit par le monde anglo-saxon dont la culture irrigue l’ensemble de
notre économie et de nos rapports sociaux. Reste à se poser la
question de savoir si l'ensemble de nos rapports ne s’épuiseraient
pas dans l’économie... Le commerce, s’il a été la raison ou le
motif de nombre de nos contacts et relations, sera encore peut être
longtemps le lien de santé avec le reste du monde. Mieux
! Il s’agit bien là de sa santé non
seulement économique et culturelle, mais aussi et peut
être surtout de sa santé en termes de sensation de
progrès. C’est elle que l’on trouve associée à une marche
en avant.
Cependant,
il nous faudrait transformer notre regard sur ces champs là afin de
disposer d'une vision d’un commerce et d’une économie faite pour
l’humain et par l’humain. Trop de caricatures idéologiques nous
servent de paravent confortables.
Comme
l’avaient évalués les sociologues Paul H. RAY et Sherry Ruth
ANDERSON dans les années 90*,
une nouvelle culture est en phase de création depuis plusieurs
années Elle nous offre une alternative à l’ultra consommation,
celle qui justement nous épuise matériellement, écologiquement,
culturellement et humainement. Ces alter-consommateurs, ou
« créateurs de culture », s’engagent, portent leurs
projets et les développent. Ce sont des projets que l'on peut
qualifier d'humaniste, pragmatique, spiritualiste et hédoniste.
Cette population montante a besoin de plus de latitude pour porter
son action tout en tentant d’alléger ses contraintes. Générations
« Y » (comme "Why?") pour les uns,
alter-mondialistes ou hyper-modernes pour d’autres, tous ces
acteurs se définissent comme "alternants culturels", c'est
à dire qu'ils développent une alternance de notre vivre ensemble
dans une évolution culturelle de fond. Dans ces conditions, ces
« acteurs » au plein sens du terme, saisissent toute
opportunité pour créer, organiser, prester, réaliser.
Nous
les trouvons probablement trop zappeurs, ego-centrés,
personnalistes, voire insaisissables ou peu « manageables ».
Ils construisent néanmoins leurs parcours au gré des opportunités,
s’adaptent, cueillent la vie et les rencontres avec un redoutable
pragmatisme. Aujourd'hui dans cette entreprise, demain ailleurs, ils
s'avèrent plus sensibles au plaisir d’être là, de faire "ça"
plutôt que pour gagner plus. Ils développent de surcroît une
mobilité toute guidée par leur goût de la vie, leur plaisir de
faire et leur sens aigu de l’autonomie.
Tout
cela se réalise au gré des opportunités, car ils vivent en réseau,
développent un "multi entre soi" où chaque acteur est un
"hub", un cœur ou tête de réseau, et à la fois
contributeur de bien d'autres. Ils apprennent et s’adaptent
constamment. Ils énervent les managers qui ne savent ni comment les
prendre, ni gérer ou même, plus prosaïquement, répondre à leurs
questions constantes. Celles-ci, multifactorielles, portent d'abord
sur le sens, et engendrent des "comment faire". Comment
répondre à leurs propositions perpétuelles pour un mieux faire
autrement ?... car ils sont engagé dans ce qui a du sens pour eux.
Ils sont tout, peut être, sauf des bureaucrates.
Cette
population énergique et énergétique, force de construction et
d’innovation, n’a même pas besoin de structures, même légères,
pour évoluer. Nombre d'entre eux ont donné aux sociétés d’intérim
une manne temporaire parce qu’ils sont à la recherche de
possibilité pour travailler où et quand ils veulent. Aujourd'hui,
comme ils ont grandi, ces sociétés qu'ils ont traversé en nomades,
ne leurs suffisent plus. C'est ainsi qu'ils préfèrent créer une
entreprise légère, plutôt en grande Bretagne d’ailleurs, ou
zapper d’une boite à l’autre que de s’installer dans des
fonctions pérennes. Ils n'aiment pas es structures lourdes. Ils sont
plus utilisateurs que consommateurs propriétaires. Ce qui leur irait
le mieux serait des revenus suffisants pour vivre (voire le confort
du salariat) avec la liberté d’action du libéral… Ceci existe.
Il s’agit du portage salarial. Il offre tous les avantages de
souplesse et de sûreté qu’ils attendent, confort et liberté au
service de leur créativité hyperactive.
Pour
cette culture montante, cette population grandissante en nombre, en
âge et en compétence, cette forme d’inscription dans l’économie
qu’est le portage salarial est bien le cadre qui leur va bien, peut
être mieux que l'auto-entrepreneuriat. Il y a fort à penser que se
trouve là l’opportunité de ne pas voir partir nos talents, notre
dynamique créatrice vers les pays anglo-saxons ou ailleurs, car
leurs projets et leur imagination ne connaissant pas les frontières.
Ils visent davantage de s'épanouir au boulot que de gagner forcément
plus.
Il
y a quelques années, mon fils, qui appartient à cette nouvelle
population, me dit : « L’anglais, finalement, c’est
bien plus pratique que le français pour s’exprimer… ». Je
restais bouche bée, moi pour qui la langue de Molière est une
richesse, une arme d’expression redoutable. J'avais l'impression
d'avoir raté quelque chose… Depuis, il vit à Londres, à son
compte... Le monde aurait-il changé ? Peut être, mais ce ne peut
être sans nous…
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 5 décembre 2017
* Paul H. RAY & Sherry Ruth ANDERSON, The Cultural Creatives : How 50 Million People Are Changing the World (illustrated ed.). New York: Harmony Books, 2000.
Lire aussi : "Management, une question de sens, de sens et de sens..."
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