L'intelligence
n'est pas dans la capacité à calculer. Les ordinateurs le font bien
mieux que nous. L'intelligence n'est pas non plus la capacité à
diagnostiquer. N'importe qui sait le faire avec une check list à la
main. C'est d'ailleurs ce que nombre de patrons ou de démarches
qualité met en place pour les collaborateurs. L'intelligence n'est
pas non plus la capacité d'application des meilleures solutions
trouvées en laboratoires ou dans quelques articles. Nos enfants
l'ont bien compris et nous l'avons itégré avant eux quand nous
étions à l'école. Avant eux, nous avons inventé la tricherie, et
bien d'autres nous avaient précédé.
L'intelligence
réside peut être dans la capacité à raisonner avec son
environnement, à réagir en fonction de celui-ci à l'aune de nos
préoccupations, à agir en résonance avec ce à quoi nous
appartenons, ce "de quoi" nous participons. L'intelligence
serait alors la capacité d'harmonie entre notre "intérieur"
et les contextes externes, et rien d'autre. Et pourtant, notre
représentation ordinaire de l'intelligence étant toute autre, nous
ne faisons rien de cette harmonie et continuons à prendre
l'intelligence pour l'une ou l'autre de ses applications. Résultat,
nous nous fourvoyions dans des pratiques inutiles, voire contre
productives...
Par
exemple, dans nos organisations, a-t-on vraiment besoin de ces temps
d'évaluation que l'on nomme "audit" ou "Diags" ?
Alors que nous demandons aux employés d'être solidaires et
polyvalents, l'organisation les évalue individuellement. Il y a là
un premier paradoxe. Mais un autre paradoxe est de leur demander de
la responsabilité et de l'autonomie tout en les évaluant, c'est à
dire en leur retirant les conditions même de l'autonomie : "c'est
le patron qui décide si c'est bon ou pas, pas toi..." second
paradoxe et pas des moindres.
Mais
si là encore on chargeait le manager du développement des
compétences de ses collaborateurs et l'on invitait par ailleurs
ledit collaborateur à devenir acteur de sa formation. Là aussi, il
faudrait savoir ce que l'on veut. C'est là un troisième paradoxe.
De fait il semblerait que l'enjeux obscurcisse la considération de
l'autre : "J'y tiens tellement que personne d'autre que moi
n'est en capacité de savoir ce qu'il faut faire". En d'autres
termes : l'autre est un crétin. C'est juste l'opposé de la
conception humaniste pour qui l'intelligence est collective...
Un
des soucis du management actuel des organisations est bien constitué
par le fait qu'il veut le beurre, l'argent du beurre et diriger la
ferme : en l'espèce commander tout, et tout un chacun, en réclamant
simultanément le meilleur de chaque collaborateur. Cela ne marche
pas ainsi et encore moins avec l'explosion des technologies, des
connaissances et leur accès direct sur la toile. Ne perdons pas de
vues non plus, en cette occurrence, "l'indépendance radicale"
que produit l'ultra-consommation. On ne peut plus dire aux gens qu'en
tant que consommateurs, ils peuvent tout demander, qu'ils ont droit
d'accès à tout et, en même temps dans l'organisation, leur
indiquer que ce n'est pas eux qui décident...
L'intelligence
de chacun invite à l'humanisme ; c'est d'ailleurs là sa définition,
sa raison d'être : développer la connaissance à l'aune de toutes
les intelligences des personnes impliquées et concernées, parce que
l'intelligence est aussi plurielle qu'il y a d'acteur dans le
système.
Sommes
nous alors si intelligents que cela en développant autant de
postures paradoxales ? Voilà qui inciterait, au moins, à la
modestie... car nos représentations mentales ne sont certainement
pas à jour. Peut être avons nous perdu le sens réel des choses,
voire même de nos propres intérêts. Il me souvient de ce
comportement paradoxal de staffs d'associations
professionnelles : ils passaient l'essentiel de leurs occupations à
récupérer et élaborer des outils, des processus et des procédures
pour atteindre, ou faire atteindre à leurs clients et adhérents,
l'intelligence collective qu'ils prônaient... Paradoxe ?
Certainement ! Mais un processus, un outils, ça se vend, alors
qu'une dynamique collective, non. Elle est déjà là, il y a juste à
la voir, à la laisser vivre et il n'y a alors plus rien à monnayer.
Posséder des "objets, trucs et astuces" donne l'illusion
d'être propriétaire, dépositaire, de l'objet visé :
l'intelligence collective. Ces staffs font là la preuve d'en
manquer, d'avoir perdu le sens des réalités.
En
effet, la perte de sens vient de l'absence de raison d'être et
cette raison d'être se construit dans le lien social, le collectif,
le sociétal. Elle s'incarne alors dans le leadership. La raison
d'être d'une entreprise, d'une organisation, dit "à quoi elle
sert", "pour quoi elle est faite". La perte de sens
vient donc d'une déconstruction du collectif, de l'être ensemble,
du lien social, des valeurs et des finalités de notre "être
là". Par ailleurs, il y a la raison d'être de chacun qui nous
dit ce que nous apportons au projet et, sans la raison d'être du
projet, nous ne pouvons pas savoir qu'elle est la notre et celle de
chacun des partenaires. Voilà, me semble-t-il, le cœur de la
problématique.
De
ce fait, nous semblons assister (ou avoir assisté impuissants ?) à
une déconstruction sociale de la personne au profit d'un profil de
consommateur. Nous voilà réduits au rôle d'un individu
assujetti dont le comportement (sa raison d'être sociale) serait
définie par sa quête de jouissance et non par son intelligence.
Intelligence qu'il serait loisible de définir comme sa capacité à
organiser son processus vital, à s'inscrire dans son milieu. Et
pourtant nos publicistes, marketeurs et autres gestionnaires
d'entreprise, nous rabâchent qu'être humain en société c'est
s'inscrire dans son milieu social... Oui, mais celui de
consommateur, pas de réalisateur, de contributeur, ni de créateur
responsable.
De
fait, quand, dans nos
représentations, la personne est réduite au rang d'individu, on ne
construit plus du collectif, du lien social orienté et réfléchi,
mais un ensemble d'éléments perpétuant l'individu assujetti.
Il s'agit alors d'une adaptation
individuelle à un cadre donné,
pour le distraire du spectacle du monde.
Et
ceci le coupe de son pouvoir faire, de "la
prise" sur le monde, bref, de l'exercice de son intelligence,
et donc de son intelligence même. Sommes-nous si
intelligents que nous agissions comme des... assujettis. Savons-nous
que nous pouvons réagir en fonction de nos objectifs et de la
connaissance que nous avons de notre environnement ? Cette
approche s’avère particulièrement pertinente, et notamment
dan ce contexte où les "grands commerçant" nous
inscrivent ?
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