Les
concepts d'humanisme, d'empathie et de bienveillance font, depuis une
vingtaine d'année une percée dans nos quotidiens, dans nos
relations et, tout particulièrement, dans nos discours sur notre
"vivre ensemble". Nous devrions nous en réjouir... et
pourtant je ne peux m'y résigner.
Pourquoi
? En voilà sommairement résumées les raisons. Quand, dans les
années quatre-vingt-dix, j'ai fait l'étude du management dans les
centres de tri des PTT et de la Poste, je me suis aperçu de
l'émergence forte du concept de service public, avec les années
quatre-vingt-dix. Et simultanément, au moment même où survenait
cette apparition massive du mot dans les discours, dans les tract et
publications, c'est le principe lui-même qui s'est trouvé mis en
danger par ses dirigeants.
C'est
donc dans ces conditions que risquait, paradoxalement, de disparaître
la mission de ce grand établissement de lien social. Il faut
remarquer que la valeur forte et structurante de la culture de
postiers, avant les premiers soubresauts de la tentation
gestionnaire de 93, est "solidarité". On comprend alors
que c'est quand une valeurs structurante est en train de
disparaître qu'elle devient culturellement essentielle. Avant,
elle est d'une telle évidence, elle va tellement de soi, que l'on
n'a pas besoin d'en parler. Dès lors qu'elle est en péril, on se
mets alors à la brandir, à la dire, à l'invoquer, à la convoquer
dans nos discours sur le comment et le pourquoi de nos raisons
d'être.
Alors,
aujourd'hui, devant nos valeurs remontantes, que se passe-t-il
vraiment ? Peut être, parce que le monde est devenu ultra
gestionnaire, où le moyen (l'économie) devient l'objectif, que la
rentabilité se substitue à l'efficience, que la déshumanisation
des organisations s'opère au profit d'une approche mécaniste, que
la majorité de la population se rend compte qu'elle y perd son âme,
qu'alors ces valeurs constitutives de notre essence humaine, de notre
vivre ensemble fondamental et incontournable, émergent comme un "Au
secours, nous sommes là !"
Où
en sommes nous à présent ? Le début des années deux mile est
marqué par une crise économique dont le politique s'empare car,
pour le commun des mortels, le confort est en danger. Après une
période de vingt ans marquée par le constat que le monde change, il
est donc évident que les organisations changent aussi dans le même
"mode de vivre".
Les
projets de plus en plus courts et rapides se succèdent. Pour y avoir
répondu par l'installation d'une culture de la conduite du
changement, nous voici dans l'attente de garantie(s)... destinées à
nous convaincre que le confort reviendra. Alors, fermant les yeux sur
la mutation irréversible de société, nous parlons de crise,
comme s'il était possible de revenir à l'état précédent,
initial, référent et "normal".
Ce
n'est effectivement pas possible car ce n'est pas une crise, mais une
mutation et nous le savons tous à présent. Que nous reste-t-il ? La
gestion de la précarité ? C'est du moins le fantôme que nous
voudrions éviter. Comme ce qui nous manque, c'est le confort, voilà
que sa gestion matérielle polarise les attentions politiques et
sociales. Bien sûr, les pensées alternatives sur le bonheur
apparaissent comme un lots de réponses pratiques à la situation de
perte.
"Gérer"
devient "la" réponse au risque de précarité. Ainsi,
administrations et entreprises "managent" elles à l'aune
de cette arcane : la bonne gestion, comme si elle était la panacée.
Nous rentrons alors dans une dictature du chiffre et du contrôle.
Pendant ce temps, qui fait le travail ? Qui s'occupe de résoudre les
problèmes essentiel de bien être, de mieux vivre ensemble ? Je
me le demande encore... Le moyen est devenu l'objectif, l'outil à
pris la place du résultat, l'efficience se mesure à l'aune des
montant économisés. Oui, nous vivons une situation de crise alors
que nous avons changé de monde, de paradigme, de société.
Ainsi,
c'est l'essentiel qui nous échappe : ce que nous sommes et ce qui
nous importe au dessus de tout, essentiellement, notre bien vivre
ensemble. Les populations viennent y répondre sans attendre sans
plus attendre, passant par dessus les lois et les états. Les
communautés Emmaüs et les Restos du Cœur ne se sont
jamais aussi bien portés, malheureusement. Ceux là s'occupent des
gens quand le politique s'occupe de sauver les revenus qui restent.
Alors,
oui, voilà le moment de mettre à l'honneur ces valeurs qui nous
fondent : l'humanisme, l'empathie et la bienveillance, celle qui,
comme dans la société des loups, font que nous avons traversé les
âges, que nous sommes encore là... Encore que l'état dans lequel
nous avons mis la planète ces dernières années ne devrait pas
nous rassurer. Peut-être sommes nous pourtant en train d'assister à
ce sursaut d'énergie, où le commun des mortels se réinstalle à la
place qu'il ressent comme étant la sienne : un être humain
interdépendant, donc solidaire et social, dans un environnement
certes complexe, mais avec une grosse envie de bonheur, de vivre
ensemble et de bonnes sensations. Esclaves et pantins redeviennent
des gens libres. Pinocchio ne sera plus jamais une marionnette en
bois.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos contributions enrichissent le débat.