J'eus préféré laisser passer la vague médiatique avant de revenir sur
l'affaire Weinstein et dérivées. Mais tant pis. Peut être faut-il battre le fer tant qu'il est chaud. Cette affaire présente les symptômes d'un principe
simple : je ne vois et n'entend que ce qui me préoccupe et ce qui me
préoccupe écrase tout le reste. Dès lors, je crois tenir une
vérité et , dans ces conditions, plus rien n'est aussi important que cela. Mieux, ou pire, plus rien n'a
d’existence, s'il n'y contribue ou n'y participe pas...
Qu'avons
nous vu et entendu lors de cette vague ? Une collection de
dénonciations et de témoignages de femmes ayant vécu des
agressions sexuelles, sexistes et machistes de la part d'hommes dès
lors nommés "porcs". Aucun autre propos n'avait de place.
Et durant quelques jours, les radios, les sites d'informations, les
blogs journalistiques et les réseaux sociaux, ont diffusé des messages en continue, plus outrés et irrités les uns que les autres.
Bien
sûr, il y avait là matière à décrier, à s'indigner, à se rassembler devant l'horrible, à se réconforter si cela était possible. D'accord ! Pendant ce temps plus rien
d'autre n'existait et, malgré la gravité du sujet (cet irrespect de
gens et la violence aux personnes), je m'inquiétais de la tournure
que prenait la vague publique. J'imaginais que le sujet fut autre et
je revenais sur les événements avec un œil pointé sur la dynamique sociale. A quoi assistions nous ?
Je remarquais d'abord qu'aucune réalité autre que le sujet ne pouvait exister. Je
remarquais aussi une forte vague de participation, sûrement due à la fin
d'un long silence coupable. Elle laissait à penser un besoin de
participation, un besoin "d'en être", bientôt un besoin et une nécessité de contribution. En
d'autres lieux et sujet, nous aurions nommé cela "hurler avec
les loups". Je n'ai pu m’empêcher de revoir, en toile de fond, une période horrible, celle de la seconde guerre mondiale en France
avec l'arrestation des juifs, et celle qui a suivi en quarante-cinq avec
l'arrestation des "collabos". Il y avait alors cette fièvre
de la délation, laquelle devenait le rite d'une célébration
commune. Sans rien retirer à la légitimité du sujet de harcèlement
et de violences sur des personnes, la délation s'habillait d'un
dogme mono orienté : les femmes sont victimes des coupables
agressions des hommes (si la démarche eut été volontaire et délibérée, nous l'aurions sûrement qualifiée de campagne d'ostracisme). Bien sûr, pas tous les hommes, mais toutes
les femmes parce qu'elles sont femmes. Voici les conditions réunies pour qu'une "liturgie politique" qui se mettait en place.
Qu'y-a-t-il donc de coupable à cela ? Rien, je crains juste le phénomène de masse et un effet de halo. Mais il y a autre chose qui l’alimente. Il me souvient de cette responsable
professionnelle sous les ordres de qui je travaillais un temps. Elle
jouait ostensiblement de sa séduction, "bisant" certains de ses
collaborateurs "méritants", massant ou caressant les
épaules de ceux qu'elle considérait comme les meilleurs. Il n'y avait certainement pas de mal à cela, quoi que... Mais le management de cette personne était centré exclusivement sur ces
rituels, indiquant qui était dans les clous et méritait ses
faveurs, et qui n'y était pas encore et était ainsi appelé à s'y
mettre. Un jours que nous étions en entretien et que ses jambes, sur la chaise en face de moi, ne
cessaient de se croiser et de se décroiser, je lâchais, quelque peu
agacé : "On ne manage pas en faisant crisser les bas nylons !"
Le visage de ma responsable se figeât. Sa posture devint bien moins
chaloupée et je payais rapidement et chèrement mon
"arrogance" par une mise en quarantaine générale sagement
organisée. Heureusement, un appel à de nouvelles fonction interrompit net
la pantomime et me sortit du placard.
Qu'il
s'agisse d'hommes ou de femmes n'est pas le font du sujet. Ce dont il
s'agit, c'est de la violence, de la manipulation, du mépris et de
l'irrespect adressé aux personnes. Il y a un effet de dogme dangereux. La réduction à un seul type de
relation efface les violences faites à d'autres catégories de
personnes, ou à d'autres personnes plus simplement. Le silence de
l'habitude, celui de l'absence de catégorisation de la victime,
celui de l'inaperçu dans le flou continu de la vie, font que l'on
n'en parle pas parce qu'on ne les voit pas. De ce fait, on ne les dénonce pas, on les laisse se
faire, en étant soit même inconscient du phénomène.
C'est ainsi que je pense au mépris
involontaire des personnes en fauteuil roulant quand, les croisant,
nous nous adressons à la personne qui pousse le fauteuil. Je pense à
ces anciens que l'on dépasse sans retenue pour entrer plus vite dans
le magasin, le bus, le métro. Je pense à cette poignée de main
quand son auteur regarde ailleurs. Je pense à cet oublie de payer,
remercier, signaler, l'auteur du travail fait. Je pense à ce reproche
cassant fait à la personne qui arrive avec une ou deux minutes de
retard. Je pense à toutes ces personnes que l'on a considéré occasionnellement comme "objet", et que l'on a laissé sur l'étagère de l’indifférence. Je pense qu'on ne voit que ce qui nous préoccupe et nombre
de nos actes inconscients et irrespectueux, voire violents, restent
dans l'ombre du silence.
Je
pense aussi aux gens que la nature n'a pas doté de beauté, mais
d'un physique ingrat ou insignifiant, victimes d'oubli, de mépris
involontaires, comme celui d'oublier de les saluer, de leur parler,
de les inclure dans la conversation, de les voir seulement. J'ai
remarqué qu'en société, dans la rue, dans les maisons comme au
travail, l'humour d'un beau est toujours supérieur à celui d'un
laid, que l'intelligence d'un grand blond de trente ans est bien
supérieure à celle d'un petit brun à lourdes lunettes.
Je
pense à tous ces actes de ségrégation involontaire et inconsciente
vis à vis de gens pauvres, moches, salles, maghrébins, arabes ou
juifs, gays ou infirmes, ou qui ressemblent seulement à leurs caricatures. Je pense au mépris et aux violences faites aux gens qui
ne sont "pas de chez nous", qui ne pensent pas comme nous, qui ne sont
pas sorti dans la rue dénoncer les violences faites aux femmes, ou
qui ne se sont pas joints à la meute aboyante, voire même pas excusés parce qu'ils sont des hommes... Tout cela
ressemble parfois à une curée.
Mais
le système républicain est bien fait et ses référents, que sont ici en l’occurrence les avocats et les magistrats, nous ont alors
rappelé à une réalité judiciaire, laquelle fait cadre à la
réalité sociale quelque peu bousculée. Ils nous ont rappelé ce qu'est la
dénonciation calomnieuse et la dénonciation mensongère. Ce rappel
a eut l'heureux effet de taire pour partie l'effervescence populaire,
le diktact de la préoccupation momentanée globalisante, pour ne garder que les
faits réels dans une vision plus large et apaisée. Je dois l'avouer, je n'aime pas les mouvements de foule. Ils nous éloignent du bon sens...
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 31 octobre 2017
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