Lors d'une émission politique,
mi-juin, un journaliste de la chaîne parlementaire avait invité
Jean-Pierre Chevènement, en tant que briscard de la
politique, afin qu'il apportât ce regard averti
sur les jeux d'acteurs au gouvernement. Ce dernier conclut sa
participation en posant aux journalistes cette question :
"Qu'avez-vous à faire ? Agiter des opinions ou rapporter la
vérité ?". L'animateur, dans un large sourire, le remercia
pour sa question et ne répondit pas... Peut être parce que cela lui
paraissait évident, mais pour le spectateur attentif, habitué à
entendre et voir réagir les participants aux émissions, cet
événement ressemblait à un évitement qui pouvait signifier :
"Nous mettons les gens sur la sellette, mais nous n'avons pas à
être remis en question. N'inversons pas les rôles..." C'est là
une posture habituelle qui tourne dans la profession”. De là à
imaginer que le métier de journaliste, ainsi exécuté, soit
vécu comme étant de l'ordre du sacré, il n'y a qu'un pas que
d'aucun franchissentallègrement.
Dans ce court moment d'émission,
un élément essentiel venait opportunément d'être posé
: l'usage des pensées courtes. Le comportement postmoderne de
consommation est bien d'attribuer des étiquettes aux autres et au
monde. C’est ce qui permet de leur prêter des postures, des
intentions et des rôles, en fonction de présupposés, de
préjugés : ce que j'appelle des "pensées courtes".
Ceci se fait sans jamais approfondir ni remettre l'angle de son
regard en question.
Oui, dans notre société
d'ultra-consommation, les médias font modèles à nos comportements.
Ils propagent postures, attitudes, façons d'être et de faire dans
la population. Ils font pédagogie, consciemment ou non,
volontairement ou non...
Nous avons vu monter ce type de
"comportements jugeurs" depuis les années soixante-dix,
progressivement, inéluctablement. Quand Roger Giquel, animateur
d'informations au vingt-heure de TF1, débute son journal en février
76 par ces mots : "La France a peur", il ouvre une
nouvelle manière de donner l'information : “l'émotionalisation”.
Il met le spectateur au cœur sensible au centre de
ce dont on lui parle. Parce que ceci se passe sur le média alors
majeur, la télévision, ceci devient "le" comportement
légitime, ordinaire, "normal" (c'est à dire qu'il en
donne la norme). Ainsi, se couper la parole, interjeter en cours
de propos, affirmer dans des questions fermées ("Ne pensez-vous
pas que..."), devient l’ordinaire, le normal. L'affrontement
de certitudes remplace les débats coopératifs, le concours des
intelligences.
Conjointement, la publicité
"émotionalise" ses flashs, ces histoires courtes et
pédagogiques, qui notamment suivent le vingt-heure et
précèdent le film de la soirée. L'émotion devient donc l'axe
central, la raison même des comportements sociaux, en lieu et place
de la raison,toute puissante dans la modernité. Les deux sociétés,
moderne et post-moderne, ne s'évacuent pas. Elles coexistent.
Les deux postures (rationnelle
moderne, et émotionnelle post-moderne) cohabitent et
interfèrent. Les valeurs de l'une sont utilisées pour comprendre
l'autre. Les modernes cherchent les raisons de tels nouveaux
comportements quand les postmodernes interpellent les modernes sur
l'émotion que produit tel ou tel événement. Le monde ne se clive
pas, il se désorganise, devient brouillon... Cedit brouillon vient
à être réfuté par une nouvelle vague de quidams,
pragmatiques intuitifs. Ceux-là possèdent un sens aigu de
la personne, "réseauteurs" intemporels : ils
constituent les « alternants culturels », et
fondent déjà la société alternative de demain. Ils préfèrent
le lien social à la consommation, l'usage à la propriété, le
faire et le vivre plutôt que le consommer, etc...
Mais, aujourd'hui, si ce nouveau monde
monte en puissance et en résonance, les comportements
d'hyper-consommateurs, alimentés par les marchés, continuent de
prédominer, de se diffuser avec leur lot de frustrations
et de dépendances orgueilleuses. C'est le "J'ai droit à..."
ou le "Et si j'ai envie !", doublé de la certitude d'avoir
un accès direct au réel, au résonnable, à l'évident. On le
retrouve dans cette certitude de "savoir le vrai", alors
qu'il est collecté sur les réseaux sociaux et autres médias.
Le pire, c’est que cette posture fait d'eux des suiveurs immodérés,
sans sens critique, que l'on pourrait à juste titre appeler
aussi "de la pâte à fascisme"...
Seulement voilà, à l'instar du monde
cathare qui posait en a priori : " Il faut mourir, mon
frère", les post-modernes portent en eux les causes de leur
disparition : ils consomment et ne "font" rien. Pas de
construction, pas d'élaboration, pas d'organisation, pas de
création, les post-modernes consomment. Mécaniquement, ils épuisent
le monde dans lequel ils vivent. Il est leur jardin et ils cueillent,
recueillent, gâchent et abusent. Ils sont boulimiques et leurs
maladies sont celles de la dévoration (obésité, anorexie et
cancers). Voilà comment ils portent leur propre fin dans leur
posture. Ils sont les premières victimes de leurs propres
comportements.
Y aurait-il un soubresaut salvateur ?
Je ne le pense pas. La salvation viendra, le cas échéant du
lâcher prise, de l'abandon (par écœurement) de leur propre
consommation… Avec le passage à une alternation
culturelle, en sursaut salvateur attendu (?), voilà qui
pourrait constituer lenouveau monde de demain. En
attendant, “ils” sont en train de se dévorer eux-même,
physiquement et relationnellement, dans des postures dévolues à
juger du monde entier,sans jamais remettre en cause leur
propre attitude. C'est pourtant celle-ci qu'ils ont à changer
pour survivre heureux, en d’autres termes : faire, vraiment,
mais dans un défi à la limite maximale de ses
compétences*. Mais ceci est un autre sujet… Cette
mutation de posture est pourtant là la réponse que le temps d'après
apporte déjà à ce véritable challenge, et dont dépend la
survie... et notre espérance !...
* Mihaly CSIKSZENTMIHALYI, Vivre, la psychologie du bonheur, Pocket, Paris, 2016
Je suis totalement d'accord avec toi sur ta conclusion que je formulerai différemment : les journalistes ont depuis longtemps commencer à scier la branche sur laquelle ils sont assis, et les télévisions broadcast d'info continue suivront dans leur chute. Ce processus est en train de s'accélérer avec le tsunami de la vidéo live (Facebook live, YouTube live et Periscope (Twitter) comme le décrivent si bien les auteurs du livre "Go Live" à propos du phénomène de la diffusion en direct participative... qui présentent de nouveaux défis, j'en suis bien conscient, comme le débordement d'informations parasites, quand ce ne sont pas des fakenews.
RépondreSupprimerT'es pensées agitent les miennes mon cher Jean-Marc.
RépondreSupprimerLe résonnable, le perçu, prendrai donc le pas sur le raisonnable, le mesuré ?
Sur un autres plans, on constate effectivement que depuis plusieurs années ce n'est plus l'improductif qui estis au ban de la société mais le non-consommateur. On peut être sans emploi mais continuer à avoir une existence sociale si on continue à être consommateur. Celui qui ne consomme plus n'est plus rien...