Dans
la gestion des projets et leur réalisation, il revient souvent dans les propos ordinaires que
ce qui est important est le financement, et l'on dit même qu'il est
le nerf de la guerre (mais on dit tant de choses). On dit alors que la gestion de projets est
bonne quand l'équilibre des dépenses et des recettes est acquise,
quand le montant de l'investissement reste dans l'enveloppe du budget
imparti, quand la dette s'inscrit dans la capacité de financement.
Mais qui parle de l'oeuvre à accomplir, de la qualité du travail à
investir, du niveau de compétences disponibles, de la vision
partagée du résultat et des objectifs ?
Personne ?... Si : le petit personnel
ouvrier et employé sur le terrain sait qu'il s'agit là de
l'essentiel : j’ai toujours en mémoire la parabole du “bâton
de chaise” de Charles Péguy (”Toute
partie, dans la chaise, qui ne se voyait pas, était exactement aussi
bien faite que ce qu'on voyait. C'était le principe même des
cathédrales”).
A cet effet,nombre d'entre eux se préoccupent surtout de “l'oeuvre”,
afin qu’elle soit réussie, et parce qu'il s'agit bien là de leur raison d'être, de leur fierté
! Ceux-ci vont donc s’occuper de la simplification
du travail et de leur propre capacité à le réaliser. Comme disait
un patron à ses ouvriers : "Ce n'est pas moi qui vous paie mais
vous qui me payez car, si vous arrêtez de travailler, le client
n'est plus servi."
Ce sont donc les "faiseurs",
les "œuvreurs", qui s'occupent de la réalité de la
cathédrale, de sa beauté, de son équilibre et de sa solidité.
Heureusement, parce que ce sera elle qui restera, qui servira les
bénéficiaires, qui témoignera de ceux qui l'ont construite, et
fera publicité des compétences possibles à l'avenir.
Qu'admire-t-on devant une belle réalisation ? L'argent investi ?
Celui qu'elle a rapporté ? Non, la pertinence de l'objet et le
talent de ceux qui l'ont fait.
L'argent n'est en fait qu'un des
moyens pour réaliser l'objet, comme le temps, le savoir faire,
le travail et les conditions environnementales. Alors donc pourquoi
cette focalisation sur l'économie, cette fixation sur les
sous nécessaires à la construction de la cathédrale ? Parce que
c'est là "LA" préoccupation centrale de nombre de
"patrons de loin", ceux qui n'ont pas les mains dans
le“faire” et les pieds dans la gadoue, ce qui ne les empêche
pas d'imaginer qu’ils ont les pieds sur terre !... L'argent
est la finalité lointaine et immédiate à la fois. Pour ceux-là,
ce n'est pas la cathédrale qui compte mais ce qu'elle rapporte. Ce
n'est pas le témoignage de la capacité des gens du lieu, comme
cela était objet de rivalité entre les villes italiennes de la
renaissance. Cela n'est juste qu'une vénalité directe. Ce n'est pas
le camp du drap d'or de François premier visant à éblouir Henry
VIII, ni le potlatch d'amérindiens, mais l'apport de revenus qu'ils
nomment "richesses", ou retour sur
investissement.
Le
cœur des réalisations est aujourd'hui entre la dette et
l'investissement. Mais sans le talent des "œuvreurs", il
n'y a aucune cathédrale, aucun bonheur, aucun sens à quoi que ce
soit. C'est comme si, en matière d'art culinaire, le plus important
était "La fourchette" ! Parlez avec un chef cuisinier et
entendez de quoi il vous parle : de produits frais qu'il a identifié
comme ayant la qualité et les caractéristiques qu'il recherche, de
tours de main, de savoir faire, de temps de mijotage, de coloration
du produit, à la beauté appétissante et témoin du
niveau de cuisson visé, etc. Aucun ne vous parle d'argent, mais de
passion, de temps passé, de plaisir de faire, de qualité et de
minutie au travail, de rendu, de plaisir à donner, etc. Le
seul moment où il vous parleront d'argent, c'est
en termes de contraintes, celles qu'impose la
conquête puis le maintien des étoiles acquises. Certains d'ailleurs
lâchent cette course "économique" pour revenir à
l'essentiel : la qualité de ce qui est dans l'assiette, leur seule
véritable préoccupation.
Oui, l'économie n'est que la
fourchette de table : un moyen parmi d'autre de construire la
cathédrale. Alors, revenons à l'essentiel. Il en est grand temps,
car souvent l'accumulation ressemble à l'opulence et ce n'est
peut-être qu’une autre forme du désordre. Il ne
resterait plus alors qu’à revenir au “bon sens oeuvrier”,
celui de ceux qui savent.
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 19 septembre 2017
Lire aussi : " Aimer les gens et le travail bien fait "
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