Le psychosociologue
Serge Moscovici avait écrit "Les lois de la nature sont celles que la
culture lui trouve". Et en effet, notre culture voit deux types
d'organisations dans la nature, celui de la prédation et celui des
collaborations.
Le premier, sur le modèle du prédateur et de sa proie, nous
raconte l'histoire des conquêtes guerrières vivant sur l'épuisement des stocks.
Le second, sur le modèle du Yucca et du papillon, du requin et du poisson
pilote, de l'anémone et du poisson clown, nous présente les interdépendances
constructives, des modes de co-développement. Ces modes constituent des réponses (ou
réactions) adaptées, des solutions intelligentes, et des richesses
par l'association. Il est loisible d’y ajouter, dans ce
contexte qui est le nôtre, qu’en termes de conséquence cela se traduit par zéro déchet.
Ultime conséquence et, peut-être
plus importante encore : il n’existe en l’espèce, pas
de perdant...
Le premier est l'histoire du monde occidental où l'homme,
"finalité de l’univers", se sert dans son jardin (le monde) et
l'épuise. Le second est l'histoire des populations dites, par le premier, primitives : les populations de culture animiste ou
chamanique. Elles ont développé une pensée systémique depuis des millénaires,
parce qu'elles ont le sens de l'interdépendance des choses, le sens de la
relation, de la "reliance" (comme la nomme Marcel Bolle de Bal*), et
de la coexistence. Il est vrai que c'est un mode de pensée qui arrive
maintenant en occident et que nous semblons découvrir comme une nouvelle intelligence.
Mais regardons encore de plus près. Effectivement, le premier
mode est issu des religions du livre où un dieu, universel et unique, crée l'homme à son image, en le considérant comme
l’apogée, le summum, de ce monde qui l'entoure.
Ledit monde, en cette occurrence devient donc son jardin. L'homme se pense à l'image de ce
dieu. Il n'a donc plus qu'à cueillir, récolter, ici et là, les fruits et les
animaux "mis à son service". Il est le prédateur ultime de ce monde.
Quand un humain de ce
monde voit une plante, il arrive qu'il s'exclame : "Oh !
Quel beau
Triticum Aestivum !". Il est en fait devant... un
brin de blé.
Il s'agit pour lui de
nommer le brin de manière à ce qu'il soit dans une espèce, une famille, une
catégorie. Il voit le monde en collection d'objets.
Le second type
d'organisation est celui des religions chamaniques ou animistes. Ce mode
religieux, ou plutôt philosophique, est le plus ancien et le plus répandu sur
la planète, du Nenet de Sibérie au Yaki du Mexique, en passant par le Bushman
de Namibie. Ce mode relève du principe suivant : tout ce qui existe fait partie du "nœud
de nature", ainsi,
tout est donc relié.
Ce lien entre chaque chose se
fait dans le monde invisible des esprits. D'où la nécessité de recourir au
chamane qui, lui, sait aller dans ce monde spirituel ou mystique, sait
communiquer avec lui et en rapporter les enseignements utiles et nécessaires.
L'humain fait donc partie intégrante de “ce
tout de nature”, de cette complexité systémique.
Quand un humain animiste voit un brin de végétation, il se
dit donc plutôt : "Tiens ! Il y a de l'eau à trois ou quatre coudées là
dessous", ou bien encore "Tiens, un phacochère est passé là, il y a
moins d'une heure...". Le
bushman de Namibie voit là davantage la
relation entre les choses plutôt qu'un objet à classer. Il a culturellement
une vision et conception systémique du monde.
Dans ces conditions, quelles
sont alors les conséquences sociétales
et organisationnelles de ces approches de la réalité ? Si, dans le premier mode,
l'humain se voit comme l'aboutissement du monde, il se sert du monde, l'épuise
et se comporte comme un prédateur final et ultime. Ce qui n'est pas humain est
"chose". Nous avons ainsi un
monde de la prédation où chacun peut être à son tour proie et prédateur,
agresseur ou victime. C'est le monde de la violence brute.
Si dans le second
mode, l'humain fait partie intégrante de la nature, et
participe de sa complexité, il tente alors de
comprendre les relations et les interdépendances.
Naturellement, il intègre le système-monde pour s'y couler, s'y
inscrire et, sans déranger, s'en arranger. C'est là un monde de l'intelligence
et des coopérations, voire peut être celui
d'une autre sagesse.
Aujourd'hui, nous
arrivons à la fin mécanique de ce monde de la prédation, au moment même où les
ressources s'épuisent,... quand
elles ne le sont pas déjà. C’est ainsi que nous
assistons à deux postures antagonistes. La première tente de nier l'épuisement
des richesses et cherche, à
l’infini (?), de
nouvelles sources d'énergie et de consommables. La seconde tente de comprendre,
de regarder autrement, fait simultanément l’hypothèse
d'autres voies. Elle tente ainsi de
s'adapter et de se réinscrire dans le nœud de nature, avec
sa cohorte d’intelligence
collective, associée à des cycles de production sans déchets (voir
Gunter PAULI**).
Le constat me
semble alors assez clair et il
“explique” pourquoi nous rejetons l'étranger, le
migrant, le différent, pourquoi nous jouons de l'exclusion et de l'anathème :
il y a ce qui est de l'humain (et gare à ne pas sortir de la définition) et ce
qui n'en est pas, ceux qui n'en sont pas. La définition de ce que nous sommes,
de ce qu'est l'humain ("notre" humain), prend alors, dans
cette cosmogonie une force dévastatrice. Nous comprenons ainsi, la
mécanique des xénophobies, tout
en nous donnant, en même temps, cette capacité à les
défaire, à nous en débarrasser.
En changeant de
paradigme, nous changeons donc aussi de définition de soi. Cette
perspective se développe tous les jours, et à
chaque pas. Voilà pourquoi, selon moi,
être juif, musulman, chrétien ou athée, est du même ordre qu'être amateur de bière trappiste,
de rugby, du silence ou d'art contemporain : voilà qui reste une
affaire très personnelle, du
domaine de l’intime, pour organiser et savourer sa
vie.
Alors, sans attendre,
un peu à l'instar de la pensée latérale d'Edward de Bono, nous avons à changer
notre regard sur nous-même, mais aussi sur le
monde et peut être, alors
pourrons nous découvrir
ou inventer la troisième voie… elle reste (encore)... ouverte !
* "Voyage au cœur des sciences humaines. La reliance", Marcel Bolle de Bal, L'Harmattan, Paris, 2000)
** "L'économie bleue" Gunter PAULI, Caillade, 2012
- voir aussi : "Les nouveaux entrepreneurs du Développement durable", Gunter PAULI, Caillade, 2013
(Voir aussi l'article dans Libération : http://www.liberation.fr/futurs/2012/12/16/gunter-pauli-suivre-la-sagesse-de-la-nature_868007)
Jean-Marc SAURET
Publié
le mardi 4 juillet 2017
Lire aussi : " Développer la pensée active "
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