Un homme de trente ans, brun ou blond, d'au moins un mètre quatre vingts, en costume, col ouvert, est un homme normal. Une dame de la trentaine, vêtue de ce qu'elle veut, taille quarante maximum, est une dame normale. Un homme de cinquante an avec une cravate est un has been. Une femme avec un foulard sur la tête, un peu comme ces bonnes chrétiennes jusqu'au début des années soixante, est aujourd'hui une prosélyte islamiste. Etc. La liste des clichés pourrait être encore allongée car nous vivons une époque sous la dictature des apparences : "Je te vois, donc tu es ce que je vois", c'est à dire ce que j'imagine que tu es par ce que je projette de sens sur tes apparences, par ce que ton apparence suggère à mon imaginaire...
En psychologie
sociale, nous disons que nous ne voyons que ce qui nous préoccupe. Le reste est
invisible à nos yeux. On prête à l'apôtre Thomas de ne croire
que ce qu'il voit. On devrait préciser que c'est bien l'inverse qui se passe
pour tout un chacun : nous ne voyons que ce que nous croyons ! Voilà
la réalité quotidienne, celle qui développe dans notre culture la propagation
des pensées courtes, et des "prêts à penser".
Pourquoi
pensons nous que tel ou tel hoax ou fake news est une vraie information ? Parce
que cela nous fait plaisir ou peur de le croire. Parce que cela correspond à
une préoccupation du moment, jouissive ou traumatique.
Dans les années
cinquante, une femme qui sortait dans la rue tête nue, les cheveux déliés,
était traitée comme une prostituée. Aujourd'hui, c'est une femme libre et normale... à la condition qu'elle ait la trentaine, qu'elle soit, ce que l'on
appelle à tort, de race blanche et occidentale, et qu'elle ait le look d'une personne plutôt
aisée... Je me trompe ?
Pour éviter les
actes raciste lors de recrutement, certains on cru bon d'inventer le CV anonyme...
Ceux-là supposaient-ils que le ou la candidate ne rencontrerait jamais son
éventuel futur employeur avant que son contrat soit signé ? A
l'entretien, on vient avec son apparence et elle s'avère, le plus souvent, bien plus forte que son propre CV. N'est-ce pas ce qui se passe, vraiment ?
Oui, notre
civilisation de fin de république est une dictature de l'apparence. En l'espèce, nous nous comportons en consommateurs, et c'est bien notre
éducation cathodique qui nous mène. Dans ces conditions, nous achetons
l'emballage avant le produit lui-même. Il en va de même dans nos relations amicales et
professionnelles. Combien ont entendu leur conjoint leur
dire : "Tu ne vas quand même pas sortir comme ça ?",
référence à l'accoutrement jugé peu adapté à la
circonstance, voire à total contre-emploi.
Nous
nous repaissons de vieux dictons comme "L'habit ne fait pas le
moine" ou "Trop poli pour être honnête !". Ces invariants viennent
corroborer nos jugements. Il ne s'agit de fait que d'affirmer plus fort
ce qui nous préoccupe encore. Mais la réalité n'est toujours pas là.
Alors, certains
tentent de faire le calme intérieur pour mieux percevoir les choses. D'autres
apprennent la posture d'assertivité pour une relation plus vraie, plus juste.
D'autres encore, tentent de désapprendre cette culture pressante et prégnante de
l'ultra-consommation afin de tenter de découvrir davantage d'autonomie dans leurs actes et leurs pensées. Je ne
dirai pas qu'un chemin est meilleur que l'autre. A chacun le sien propre. Mais
je peux affirmer que toute démarche de prise de hauteur, de recul, de lâcher prise, est
la bienvenue. Il s'agit de repenser son rapport au monde, de se voir agir et
penser. C’est bien ce qui nous permettra de comprendre si l'on pense soi-même, par soi même, depuis quelle culture ou "cosmogonie"... A moins que l’on ne reproduise une pensée courte, en usant d'un prêt à penser.
Nous savons que
la frontière est faible et que la culture de la consommation fait des
mélanges symboliques propices à de larges confusions. Il nous faudra alors
revoir, réviser ou réinventer l'esprit critique, celui de la libre pensée. Car
penser avec les loups ne fait de nous que des proies, pas des personnes fortes,
autonomes et libres. Pourquoi de tels dérapages ? Parce que nos publicistes ont
bien compris que l'humain est grégaire et qu'il ne pense qu'en tribus, "...car
la culture donne forme à l'esprit", comme l'écrivait le sociologue Jerome
Bruner en 1998... Alors, libres ou fashion victims ? ...parce que nous avons là encore le "libre choix" !
Jean-Marc SAURET
publié le mardi 27 juin 2017
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