Manager n'est pas un
métier, c'est une posture. Ne nous y trompons pas : que l'on manage une équipe, un projet ou simplement
sa propre vie, le principe est exactement le même. Il s'agit de porter une
vision positive et forte du résultat que l'on vise, de laisser disponibles les
chemins et moyens pour y parvenir, d'avoir une conception positive et ouverte
des gens qui peuvent être partenaires, contributeurs, coopérateurs ou supporteurs. Si l'on
voulait résumer, on dirait qu'il convient en toute chose d'être positif et
ouvert, d'avoir une vision claire et enthousiaste du but, de l'objet visé et une
ouverture totale sur les "comment".
Pourquoi
? Souvenons-nous de notre enfance. Qu'est-ce qui nous a motivés et
permis d'apprendre à faire, quoi que ce soit ? Des
modèles exemplaires, comme d'avoir vu son oncle, sa grand-mère,
sa mère ou son père, son grand frère et sa grande sœur, le
voisin, l'amie de la famille, ou tout autre, réaliser quelque chose
qui nous met en admiration. Il me souvient de ce paysan, ami de mon père, qui levait les bottes de foin (plus lourdes que la paille) d'un coup de longue fourche en se basculant en arrière. Et la botte partait dans le ciel pour atterrir au sommet de la cargaison, sur la charrette... Subitement, simplement pour jouer,
nous nous sommes mis en reproduction, en imitation, tout seul ou
accompagné par notre héro(ine).
La culture de la gestion,
nous le savons, a perverti cette posture, en faisant une démarche
"procédurée", soumise à la dictature du chiffre. Nous savons ceci
totalement contre-productif. Alors, dans ces conditions, gardons en tête la dynamique du vivant. C'est toujours
de cela dont il s'agit. Nous savons bien, en effet, que la vision du "quoi" et
du "comment" précède tout travail. Les gestionnaires nous parlent comme à des
machines, comme à des abrutis incultes : "Faites comme ceci et cela !
Untel va vous montrer... c'est dans le fascicule..." etc. Nous savons
qu'ils ne donneront ni l'exemple ni la passion de le faire, et c'est bien cet élément qui
manque à la démarche, celui qui, justement, va s'avérer déterminant. Pour mieux voir, prenons quelques exemples
courants, comme la frappe au clavier, l'apprentissage du vélo ou l'interférence
amicale dans le coaching.
Quand j’étais enfant, il
me souvient de mes grandes sœurs qui découpaient le fond de boites à chaussures
pour s’en faire des « caches clavier ». Elles les glissaient autour du
clavier de la machine à écrire mécanique (propriété de mon père), de manière à
leur obturer la vue de ce que faisaient leurs doigts sur le clavier. Je
trouvais cette pratique barbare, mais elle me fascinait parce que j’en savais
la finalité, l’utilité. Elle obligeait mes sœurs à lâcher prise sur la vision oculaire
et ouvrir celle que procurent les autres sens. Cette image admirable ne m’a jamais
quittée. Elle est même devenue un certain modèle de l’apprentissage et de l’effort.
Que nous dit-elle ? Que la vision guide nos doigts et que sans elle, la
vision prend d’autres voies, comme par exemple, chez les aveugles, celle de la
sensation tactile, de la sensation de l’espace, un substitut, en l’occurrence, très
avantageux.
Il me revient ce souvenir
d’amis d’adolescence aveugles qui venaient à la maison partager avec moi nos après-midi.
Comme nous ne pouvions jouer au rugby ou à d’autres jeux culturels locaux, nous
faisions de la musique autour d’une guitare et d’un piano. Ils m’ont appris
bien des choses et bien des pratiques. Là aussi, j’étais admiratif de leur maîtrise
de l’instrument, juste sans regarder la touche ou le clavier, juste en « sachant »
l’espace dans lequel il s’inscrivait. Si la vision guide mes pas, elle n’a pas
l’obligation d’être celle des seuls yeux, mais bien sûr celle de ma
représentation mentale. La contrainte de ne pas « voir » devenait, dans ces conditions, le
levier d’une connaissance meilleure. Il me fallait donc lâcher prise sur mes
certitudes ordinaires, et m’ouvrir sur ces autres possibles, ceux-là même qui forçaient
mon admiration.
C’est bien parce que j’admirais
ces gens, mes copains, mes sœurs, avec leurs capacité à faire ce que je ne
savais pas, que j’apprenais avec bonheur, admiration et plénitude. Nous avons
tous ce type de souvenir en fonction de notre parcours. Certains parlent de leur instit, d’autre
de leur prof de philo, de leur grand-père ou tante, auxquels ils se sont
quelque peu identifiés, et dont ils ont épousé la voie de leur savoir.
Mais regardons un
apprentissage plus commun, plus universel, celui du vélo. Nous étions envieux
de faire comme ce voisin qui passait tous les jours à bicyclette devant la
maison, ou son parent, ou tel autre qui pratiquait cet équilibre déambulatoire. Nous
nous y sommes essayés, aidés d’un adulte bienveillant. Nous avons, depuis la
veille, rêvé que nous pratiquions aisément. Devant l’objet, nous nous sommes
précipités, partagés entre trouille et excitation, notre regard fixé sur la
roue avant qui n’arrêtait pas de pivoter de droite à gauche. L’accompagnant
nous a alors dit : « Ne regarde pas ta roue mais droit devant, là où
tu veux aller ! ». Il nous fallait donc lâcher prise sur cette
certitude que nous pouvions maîtriser les mouvements désordonnés de cette maudite roue avant… Nous l’avons fait,
confortés dans notre introspection, et c’était nettement mieux. Tous nos sens en éveil,
nous goûtions toutes ces perceptions informatives, corrigeant, adaptant,
refaisant dans la passion d’y arriver : l’objet de notre performance nous
mobilisait à la hauteur des compétences que nous n’avions pas encore. Et c’est
ainsi que nous y sommes arrivés, avec passion, plaisir et admiration. Et nos
accompagnants nous disaient : « Bravo ! », ce qui nous renvoyait à
cette admiration motrice, et, partant, la renvoyait vers nous même…
Copier, recopier et refaire
ce qui nous fascine, imiter ceux que nous admirions, a constitué nos meilleurs
apprentissages. L’imitation est notre meilleure voie de la connaissance. Nous
avons commencé par jouer à ceci ou cela, conscients que nous ne savions pas,
mais passionnés de le faire un jour, comme une visée d’avenir. Et puis nous
nous somme crus capables de le réaliser et nous l’avons fait à force d’essais,
d’imitations, de répétitions et de chutes. Nous avons fait tout cela parce que
nous n’avions aucune certitudes sur les comment faire. Dès que nous en avons
eu, il nous a fallu aussi lâcher prise sur elles pour continuer d’apprendre.
Certains chercheurs
parlent aussi de neurones miroirs. Ils seraient responsables de nos imitations
et apprentissages. Ce que pense et fait l’autre exciterait chez nous certain
neurones qui entreraient alors en résonance. C’est là un adoubement de la
science à cette démarche d’imitation qui nous est si naturelle. Ce que je vois
et crois développe mes capacités utiles. La passion, l’émotion, la sensation
seraient donc les moteurs majeurs, prédominant à l’apprentissage et au
développement. On dit que des leaders admirables emportent les foules…
Mais regardons un autre
exemple, une petite histoire que j’ai vécue aussi et qui m’a interpellé. Un
patron me confie le coaching d’un de ses collaborateurs dont la faille
principale repérée était cette absence de confiance en lui. Celle qui ne lui permettait pas de tenir la fonction qui lui était confiée.
Nous avons travaillé dans ce sens. Il convenait aussi de modifier le regard du
commanditaire sur ce collaborateur. Sa représentation de la méthode de coaching
développait une confiance dans le résultat et les choses se passaient très
bien. Les trois protagonistes évoluaient de concert : le collaborateur
dans la confiance en soi, le patron dans la confiance en son collaborateur et
moi, dans la confiance en leurs changements.
Un jour, le patron
rencontra un vieil ami à lui, dirigeant d’une autre grande entreprise, une
personne que la durée dans la fonction rendait remarquable et référentiel aux
yeux du patron. Ce vieil ami lui dit : « Ton gars n’est pas fait pour
ça et ce n’est pas un coaching qui va le changer. On ne fait pas d’un âne un
cheval de course ». La croyance du patron changea subitement.
Ce n’est pas ce qu’a dit
le dirigeant ami qui fut déterminant, mais la croyance qu’avait le patron en
lui. Il lui aurait fallu lâcher prise sur la certitude de la référence que
représentait son ami pour qu’il continua sa propre démarche apprenante. Sa confiance
dans le résultat déconstruite, le comportement du patron vis-à-vis du collaborateur
se modifia et je m’en rendis compte. Dès lors, le comportement du collaborateur
devint régressif. Mon action ne faisait plus que gonfler une baudruche que le
quotidien de travail dégonflait bien vite. Le programme contractuel terminé, le
patron m’annonça sa décision de prévoir une autre fonction pour son
collaborateur et il accompagna ce changement. J’ai lâché prise…
Nous constatons qu’il y a bien souvent
une distorsion dans la posture, des écarts entre ce qui est demandé (le
changement du collaborateur) et ce qui est observé (la croyance dans son
changement). On appelle cela des injonctions
paradoxales (Double Bind, Gregory Bateson, 1956). Elles
créent de la confusion, du stress, de l’anomie, du dégoût, de la contestation
et donc des blocages. Cet ensemble renforce le principe de la représentation, c'est à dire ce qui se passe dans la capacité à réaliser. Il s’agit alors de lâcher prise
sur nos certitudes pour accueillir la vision d’autres possibles.
Il nous reste à savoir que
la
représentation que nous avons du résultat le détermine. C’est aussi ce que nous
enseigne la démarche constructiviste de Paul Watzlawick. Cette représentation
est faite de passion, de confiance, d’admiration, d’imitation et de résonances.
Ce n’est jamais le seul déroulé de procédures mécanistes qui est efficace. Ce ne sont là qu’apparences.
L’essentiel est bien ailleurs et la carte n'est pas le territoire...
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