"Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute la puissance de notre pensée ! " Après avoir durant des années posté ici réflexions et conseils sur le management des organisations, je livre aujourd'hui une vision de la réalité, au plus profond de soi même sur l'être et l'univers. Profitez ! Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en indiquer chaque fois la source et de ne pas en faire commerce.

Gardons-nous de prendre les indications pour argent comptant

En matière de politique, comme en matière de société, il nous faut développer la pensée critique pour ne plus obéir par habitude ou par ignorance, voire même plus simplement, par paresse intellectuelle,… ce qui revient au même.  Nous lisons beaucoup d'informations qui nous arrivent par la toile et les réseaux sociaux. Des phrases qui apparaissent comme des évidences et qui petit à petit se constituent en pensées toutes faites, toutes simples à utiliser. C’est ce que j'appelle aussi des "pensées courtes". Elles ne sont pas l'apanage des incultes et des imbéciles, mais aussi le nôtre, à notre insu. Cette culture de la pensée courte se développe aussi dans nos organisations. Et, si nous n’y prenons pas garde, elles risquent d’envahir notre quotidien jusqu'à nous détourner de notre propre chemin, et de tout ce à quoi nous tenons. 
Mais je ne vais pas non plus jusqu'à poser l'hypothèse du grand complot, celui qui nous conduirait à notre insu à l’obéissance aveugle. Celle à laquelle,  justement,  Alain Finkielkraut faisait référence dans le Figaro à propos des élections présidentielles, « Il ne s'agit plus, en votant, de choisir, mais d'obéir », comme si une puissance secrète tentait d'éliminer "son" candidat favori au profit d'un autre qui n'était bien sûr, pas le sien... Oui, il y a des événements, et des éléments, qui ne sont pas perçus de la même façon dans toutes les têtes. Sans donc céder à la paranoïa proposée par quelques-uns, restons cependant vigilants et attentifs aux signaux faibles, cachés dans les pages et les discours. Cela suffira bien afin d’éviter les confusions et les pièges.
Mais, pour être plus clair, prenons un exemple. Dans la fonction publique, est apparue en application début 2017, une réforme RH dans le management des agents. Elle s’est bientôt imposée. Il s'agit d'un système indemnitaire visant à une égalisation, ou universalité, des pratiques et que l'on nomme le RIFSEEP. Ce qui signifie "Régime indemnitaire, fonctions, sujétions, expertise, engagement professionnel". A première vue, il s'agit de rémunérer ou de récompenser les comportements autonomes et engagés des agents au service des usagers et des politiques publiques. Il n'y aurait rien à redire si l'un des termes ne venait à frapper notre oreille, par une sorte de contradiction subtile entre les termes. Jean-François Zobrist (FAVI, l'entreprise libérée) nous invite, pour un meilleur management, à être très attentifs aux signaux faibles. Celui-ci en est un. Il s'agit ici du quatrième mot participant à l'acronyme : "sujétion".
Habitué aux politiques managériales, je comprends que le ou les auteurs du projet l'ont substitué au mot habituellement usité dans le management : la suggestion. Il s'agit d'une posture managériale qui invite à l'engagement des acteurs. Toute suggestion venant des agents de terrains est prise en compte comme une contribution pratique à l'intelligence collective. Elle apparaît depuis bien des années dans les énoncés des politiques managériales de la fonction publique. D'ailleurs, dans l'acronyme RIFSEEP, nous retrouvons les termes d'expertise et d'engagement professionnel qui lui sont habituellement associé.
Mais le mot retenu est bien "sujétion". De quoi s'agit-il ? Les dictionnaires nous indiquent qu'il s'agit de l'état de celui qui est "assujetti" à quelqu'un ou à quelque chose, d'un état de dépendance par rapport à un pouvoir (politique, militaire) exercé de façon absolue... Nous sommes là bien loin de l'autonomie fertile des acteurs, celle-là même que recherche le management par l'intelligence collective. Ces mots-ci renvoient à une politique managériale dictatoriale, comme celle que nous connaissons de Taylor et son approche scientifique du travail. Nous retrouvons ici les organisations bureaucratiques dans leurs composantes totalitaires, avec cet assujettissement des personnes au système. Hannah Arendt nous avait pourtant bien prévenus...
Alors, sujétion ou suggestion ?  A cet effet, profitons du développement de notre esprit critique et ne prenons pas les indications pour argent comptant. C’est-à-dire, de nous garder de prendre les choses isolément, au seul premier degré.
Quand sujétion côtoie l'engagement professionnel, j'ai l'impression d'un oxymore. Si l'engagement est une démarche délibérée venant de la volonté de l'acteur, l’assujettissement constitue bien son contraire, son opposé : il est l'absence de volonté personnelle, sinon celle de se soumettre à la volonté de l'autorité d'autrui. Cela n'a évidemment rien à voir avec la soumission volontaire de La Boétie. Cela a au contraire à voir avec la soumission contrainte, c’est-à-dire celle qui est produite par les systèmes totalitaires. L'oxymore ferait dont passer la "sujétion" pour de la "suggestion". Y aurait-il là une supercherie volontaire ? Je ne le pense pas. Je pense plutôt, loin du procès d’intention, à une émergence de la pensée profonde de ceux qui ont écrit le texte de l’acronyme : en l’espèce, une volonté de perpétuer l'autoritarisme d'un état dont ils rêveraient.
Ne rêveraient ils pas aussi, à quelques singularités d'un management public ? Cette bureaucratie dont l'administration ne sait se défaire ?... Mais laissons tomber ces quelques personnes que l'on rendrait responsables de « tout ». Ils ne sont, en cette occurrence, que les membres du système administratif, et des "perpétueurs" de sa logique. Cette logique qui, comme nous l'avons déjà développé, relève d'une représentation mécanique de l'organisation. Il s'agit d'une grande horlogerie dont chaque agent est une pièce, un rouage, un ressort. Voilà qui ressortit bien de la représentation de sujétion : un rouage ne pense pas, il exécute la fonction qui lui est dévolue. Voilà aussi pourquoi le mot "sujétion" côtoie celui d'expertise.
Nous comprenons bien  le caractère insidieux de l'énoncé. Ce cas-là n'est pas isolé. Dans nombre de discours, de notes et d'articles nous retrouvons ce type d'assemblages logiques relevant de représentations singulières. Ne tombons pas dans le piège qui consisterait à les prendre pour argent comptant. Gardons en mémoire et en réactions ordinaires, une attention toute particulière aux signaux faibles, en conservant une pratique continue de la pensée critique.
Mais poussons encore le bouchon un peu plus loin, histoire de consolider notre démarche salutaire. En réagissant une première fois de cette manière à une pensée courte, bizarrement, nous risquons de nous sentir bien seuls à réagir ainsi, bien seuls dans la réflexion critique. Bien des proches et des collègues auront d'ailleurs une certaine tendance à nous reprocher de couper en quatre des poils que nous chercherions sur les œufs. Rappelons-nous seulement - en le leur rappelant le cas échéant - que les innovateurs, ceux auxquels nous faisons justement référence, et dont nous nous souvenons, sont souvent les seconds couteaux du phénomène critique. Un exemple, parmi bien d’autres, à propos de l'affirmation que la terre est ronde : nous nous souvenons davantage de Galilée que de Giordano Bruno, et pourtant, c'est bien lui le premier qui a posé l’idée. Pire, d’ailleurs, il en est mort parce qu'il n'a pas voulu se rétracter...
Dans le même ordre d’idée, "en terme d'innovation, dit Michel Serre, ce ne sont jamais les premiers qui font modèle mais leurs successeurs". Pourquoi cela ? Parce que les successeurs sont plus dans une posture de transmetteurs que d'innovateurs. Ils apparaissent donc plus consistants, plus crédibles, parce-que mieux traducteurs. On peut expliquer le phénomène, dans la mesure où ils ont vu, voire connu, les affres que l'innovateur aura affronté et connu lui-même dans sa démarche,… quelquefois à son corps défendant. Les répétiteurs sont plus des trouveurs que des découvreurs et cela fait moins peur. Quelque part, même, cela rassure... Fabien Tastet, le Président de l'association des administrateurs territoriaux, disait dans une interview qu'il faut marteler les bonnes idées avant qu'elles ne s'installent. "Bis repetita placent" dit la formule latine. Il faut répéter avant que cela plaise.
Alors, courage, mesdames et messieurs, gardons-nous bien, pour le bien de tous, de prendre toutes indications pour argent comptant, et apposons, voire imposons sans relâche nos réflexions critiques, car, même si nous n'avons pas l'impression de faire bouger quoi que ce soit, quelques-uns ont entendu ou vont entendre… Ce sont les mêmes qui, certainement plus tard, reprendront le flambeau et la petite lumière fera son chemin... Fiat lux ?
Jean-Marc SAURET
publié le mardi 6 juin 2017


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