Plusieurs de mes collègues
consultants parlent, eux aussi, de management humaniste. L'expression circule dans
les plaquettes et les sites de consultants orientés "innovation".
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Souvent perçu comme une démarche en équilibre
entre la "nécessité de gestion" et le "respect des personnes", ce
vocable recouvre aussi des approches plus singulières, comme bâties sur des
rapports de confiance, ou prétendument capables de répondre à la
complexité des organisations et de leurs projets. Sous le vocable, on trouve
aussi un système de motivation efficace, ou encore une invitation à
"louvoyer" entre les tabous de l'organisation, voire ailleurs, à
parier sur la libération de l'autonomie fertile des acteurs.
Oui, les approches
semblent se ressembler tout en laissant, quelquefois, le goût amer d'une
complexité obscure. Ce qui apparaît comme tronc commun, c'est un pari sur
la personne humaine, et sa prise en compte dans le choix du meilleur chemin
vers l'objectif. Ainsi les caractéristiques émotionnelles, affectives et
culturelles (valeurs, rites, mythes et tabous) sont-ils pris en compte dans la
construction des relations managériales. L'humain n'est pas forcément au centre
de l'organisation, comme dans une conception organique, mais il est en revanche
perçu comme un vecteur important de la réalisation. Il ne me semble pas que
cette variable, pour importante qu'elle soit, suffise à définir le
management humaniste.
Mais quelle est la
finalité réelle de ces managements dits humanistes ? Pour certains managers, il
s'agit de fédérer et faire adhérer les acteurs aux projets et
schémas élaborés en direction générale. Mais d'autres démarches veulent
atteindre les meilleurs résultats organisationnels en pariant sur l'intelligence
collective. Quand la première approche me semble instrumentaliser la confiance
pour que la décision "passe" mieux, la seconde ne décide pas a priori
de la fin à atteindre, mais seulement de comment on va la faire émerger par...
et surtout pour les acteurs impliqués.
Dans la première
hypothèse, les managers tentent de dépasser des résistances. Ils ont alors
tendance à considérer leurs collaborateurs comme des freins, des poids morts,
voire des adversaires. Nous regretterons alors cette vision encore taylorienne
des "gens de l'organisation". Dans la seconde hypothèse, les managers
considèrent leurs collaborateurs comme des porteurs d'une intelligence
complémentaire, sinon supplémentaire. Ils ont là une autre approche, une autre
posture dans l'action, et donc une vision différente de l'organisation, de ses
pratiques, de ses freins. Ils intègrent, en l'espèce, autant d'opportunités, de
compétences utiles ou nécessaires. Considérant les collaborateurs comme des
apporteurs responsables et engagés, ils partent du principe que s'ils ne
l'étaient pas, ils le deviendraient. Ces managers regardent leurs
collaborateurs comme des personnes identiques à eux-mêmes en matière de
valeurs, et complémentaires à eux-mêmes en termes de connaissances et
compétences.
C'est, me semble-t-il, là
le fond de la définition du management humaniste : parier tant sur le fond que
sur la forme, c'est-à-dire sur la richesse humaine présente partout dans
l'organisation. Il s'agira alors de se polariser sur la richesse des personnes
et sur tout ce qui invitera à l'investissement personnel. Corrélativement, il
sera loisible de laisser de côté, tout ce qui est du domaine périphérique, du
contraignant : en cette occurrence, tout ce qui ressort du contrôle et de la
mesure. On se détachera donc, par exemple, de toute la question relative à la
durée du travail (car chacun sait que le temps ne fait rien à l'affaire). C'est
bien l'engagement des gens qui fait la qualité de l'oeuvre, pas la mesure du temps passé, de
l'efficacité ni le contrôle.
Le chiffre, en effet, tue
la personne et pour le moins la déresponsabilise ! Pour ce qui est des
conditions de travail rentables (ou pas), chacun sait que lesdites conditions
sont traitées directement par les gens eux-mêmes : les contraintes, par exemple, sont
systématiquement détournées à son avantage par celui qui "fait",
et c'est ce même contournement qui détourne de l'œuvre à accomplir.
Cette démarche compte donc
sur la montée en engagement et en implication des collaborateurs par un rapport
d'égal à égal, d'adulte à adulte, de personne à personne, dans une intelligence
réciproque. A cet effet, la posture ne saurait jamais être considérée comme
"jugeante", mais bien inscrite dans une droiture d'intention, de
langage et de communication. Il n'y a donc pas de hiérarchie mais une répartition
des rôles et fonctions. Il n'y a pas de règles ni de lois, mais des valeurs et
des principes. Il n'y a pas de procédures ni d'objectifs, mais des manières
efficaces de s'y prendre pour une raison d'être. Etc. Chaque fois que vous
rencontrez une contrainte, traduisez là en émulation et vous tendrez, ainsi, vers ce
management humaniste.
Plusieurs indicateurs vous
diront si vous avez réussi. Ne les visez pas, car ils ne sont que les
symptômes de la guérison, pas ceux de la santé de l'organisation. Vous verrez
alors, les gens se moquer des horaires de travail. Vous verrez les gens
partager, échanger, discuter et s'entraider librement. Vous verrez la
hiérarchie s’effacer jusqu'à disparaître. Vous verrez les décisions se
prendre directement au plus près de l'action. Vous verrez disparaître les
symboles de pouvoir, comme les grands bureaux noirs, les habits très normés,
les grosses voitures et les places de parking réservées. Vous verrez les
machines fonctionner sans panne et les conditions de travail s'améliorer sans que
vous vous en préoccupiez. Les gens vous parleront directement pour vous dire ce
qui va et ce qui ne va pas, et comment ils l'ont réparé. Vous verrez aussi la
qualité de vos produits augmenter, l'adaptation aux besoins des clients se
parfaire, les chiffres d'affaires progresser, etc.
Nous voyons là que c'est
autour du concept, que se trouvent les niveaux de la forme et du fond. Sur la
présence de la forme, on pourra dire que ça y ressemble, que ça en a peut-être
le goût et l'odeur, mais qu'il s'agit d'un ersatz. Car c'est bien en effet le
fond, 'c'est-à-dire la raison d'être de la démarche, la finalité exacte et
profonde de cette démarche, qui en fera un réel management humaniste avec toute
son efficience et sa pertinence.
En conclusion, nous voyons
bien que, si nombreux sont les managers et organisations qui s'en réclament,
tous et toutes ne sont pas réellement dans la démarche d'un management
humaniste, loin s’en faut. Mais, pas d’inquiétude, si les collaborateurs ne
l’ont pas « conceptualisé », ils l’ont tous largement bien compris…
et, si nous ratons la marche, ils vont nous apprendre à apprendre !... Souvenons nous de “l’esprit de l’escalier”. En l’espèce on avance,... marche après marche !
Jean-Marc SAURET
publié le mardi 16 mai 2017
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