Ne nous méprenons pas sur le titre, le féminisme peut être parfois
gênant, oui... d'abord pour la cause qu'il veut défendre et pour bien d'autres encore. Il
a certes apporté des lois sur l'égalité des genres, influençant ainsi la correction
de pratiques. A son actif, on peut aussi retenir la prise de conscience, en terme de différenciation de traitement
des personnes, mettant à jour le sens de certaines conduites. Bref, le bilan n'est, bien sûr, pas totalement négatif. Mais, par
exemple, l'apparition de lois contre les discriminations a eu aussi un effet
pervers peu perçu et surtout farouchement nié par nombre de militants : ainsi, la loi
cristallise la différence. Elle la consacre et, de fait, la renforce !
Qu'est-ce que je veux dire par là ? Je veux indiquer que produire des
procédures pour défendre la discrimination marque aussi, en la renforçant, une
réelle différence entre les genres, d'où la nécessité d'égaliser leur
traitement. Plus vous dites "qu'il faut sauver le soldat Ryan", plus
vous faites exister ledit soldat Ryan en tant que victime...
Je pense par exemple à la discrimination positive qui fustige et
exacerbe la différence qu'il a, ou pourrait y avoir, entre des populations aux
origines diverses. En effet, être homme n'est pas être femmes et, du coup,
un traitement singulier s'imposerait pour égaliser ces différences. On va donc
focaliser le regard sur la singularité (cependant sociale) de l'autre genre. C'est à cette occasion que l'on
va voir donc une réflexion s'ouvrir autour de différences, comme la grossesse
et l’accouchement, autour des règles menstruelles, autour de la force et de la
faiblesse, de la résistance à la douleur. la même perception va s'aiguiser autour de la séduction, autour
du positionnement social de chacune et de chacun, la liste n'est bien sûr pas limitative. Sans s'en rendre vraiment compte, on vient alors de creuser davantage
le fossé identitaire entre les hommes et les femmes pour des caractéristiques
dites singulières.
Certains diront que la grossesse, l'accouchement, les règles sont
bien spécifiques à un genre particulier. Et c'est bien le cas. Mais en
portant le regard sur ces singularités, je les pose comme marques identitaires,
comme marqueurs sociaux. Je fabrique de la norme, et toute personne qui n'entre
pas dans la catégorie est donc exclues du genre. Une enfant est-elle alors du
genre femme ? Une dame ménopausée l'est-elle aussi ? Une autre qui n'a pas
envie de grossesse, également ? Et une femme qui se sent homme ? Alors, de quelle femme
parle-ton ? Ceci est un premier élément un peu gênant dans la lutte des
genres.
Sur un autre plan, les talons aiguilles et les jupes sont-ils des critères
de féminité ? Bien sûr que non, il s'agit là d'éléments culturels et sociaux,
temporels et locaux. Nous en sommes bien d'accord. Alors, qu'est-ce qui fait
"catégorie" de femme ? Oui, nombre de femmes revendiquent leur
féminité et leur singularité. Je les comprends, certes, mais leur identité
s'épuise-t-elle dans le genre ? Sûrement pas ! Et bien de ces personnes le
revendiquent aussi. Il est incongrue de les voir comme de simples objet du
désir, par exemple. Il y a là aussi quelque chose d’insupportable. C'est probablement pour ces motifs que l'on retrouve dans nos regards anti discrimination quelque chose d'ambigu. Il faudrait
reconnaître la catégorie sur la base de caractéristiques singulières mais
que ses caractéristiques singulières n'épuisent pas l'identité. C'est tout à
fait juste : l'enfermement en catégories tue les gens.
Justement, pour cela, il nous faut considérer l'intention, la volonté et le
désir qui sont à l'origine de la démarche de demande de justice égalitaire. Au-delà
de la sempiternelle quête de justice ("pourvu que j'en aie autant que
l'autre" ou "qu'il, ou elle, n'en ait au moins pas plus que moi
!"), il y a très certainement une souffrance de
"mé-reconnaissance", de manque d'existence sociale ! C'est ainsi que le vivent
d'autres personnes parce qu'elles se sentent trop blondes, trop grandes, trop
brunes ou trop petites, trop grosses ou trop maigres... Quand elles se considèrent pas assez diplômées ou
trop même, qu'elles se sentent étrangères ou un peu seules, ou encore trop aperçues, etc. Il y a
des jeunes en banlieues, semble-t-il, qui aimeraient être moins "repérés" et
moins sollicités à présenter leurs papiers, par exemple. On sait que les
phénomènes communautaristes reposent sur des souffrances de cet ordre, et la
quête d'appartenance, en creux ou en opposition, constitue une réponse mécanique à ce
type de souffrance.
Nous savons aussi que le monde de la surconsommation produit de
fortes frustrations chez des acteurs. La promesse de jouissance, par
la propriété et l'usage, d'objets illusoires n'est jamais atteinte pour le
commun des mortels. Alors, les gens tentent par le même biais de donner un
sens à leurs douleurs : "C'est la faute des autres qui ne nous laissent
rien et prennent tout". Cette phrase pourrait être prononcée aussi bien par un
enfant de migrations antérieures, que par un "excluant" des droites
extrêmes. La quête identitaire vient de manques ressentis produisant des
manques de sens. "Si je souffre, si je manque, c'est la faute de l'autre
qui...". On trouve plus de coupables que de solutions... En fait, en voici une ! Si la nature a horreur du vide, la nature humaine a horreur du vide de
sens. Là où elle en manque, elle en met, quel qu'il soit, même n'importe quoi,
pourvu qu'il y ait du sens. Il s'agit de combler un vide, comme la boulimie
vient combler un vide de l'estomac ou un vide existentiel, un vide de sens ou
une peur de manquer, voire une peur du vide.
Il arrive donc que le remède soit aussi néfaste que le mal qu'il
prétend réduire. En effet les lois qui régissent la discrimination rappellent
en continue qu'il y a une différence entre les genres. Et c'est bien cela qui renforce les points
d'appui de la discrimination, ses hypothèses. Autant d'éléments qui renforcent aussi la culture
catégorisante et discriminante qui la porte. La question devient alors :
"Comment résoudre les discriminations sans cristalliser les
différences ?"
Il me souvient de cette longue histoire des cathares dans le
sud-ouest de la France. Pourquoi une religion de type chamanique, la religion
de Manie, a-t-elle traversé l'Europe sans s'installer nulle part, et fleuri
dans le sud-ouest ? Justement parce que, là aussi, il y avait un souci
identitaire. Les populations anciennes, Alamanes, Wisigothes ou Ostrogothes,
étaient de culture matriarcale. Elles avaient été occupées et acculturées au
patriarcat des envahisseurs romains. Ces deux types de cultures sont de même
structure mais le pouvoir (l'autorité) ne se situe pas au même endroit. Les rôles
sociaux de genres étaient distribués ainsi de part et d'autre : les
hommes s'occupaient de l'extérieur, de la guerre, de la survie, de la sécurité
et des acquisitions de richesse, tandis que les femmes s'occupaient de
l’intérieur, de la pérennité, de l'alimentation et de la progéniture.
Certains ethnologues sont allés jusqu'à dire que les fonctions
suivaient la forme du sexe des uns et des autres, à savoir que ceux qui
l'avaient tourné à l'extérieur se tournaient vers ce champ-là, alors que ceux qui
l'avaient tourné vers l'intérieur se tournaient vers cet autre champ....
Seulement, chez les patriarcaux, le pouvoir était aux "responsables"
de la guerre et des armes quand, chez les matriarcaux, il était aux
"responsables" de la maison, du domaine, de la pérennité du groupe.
On dit que cette civilisation gallo-romaine souffrait de cette hésitation
identitaire entre patriarcat et matriarcat : qui dirige ? Où est le pouvoir ?
Où est la sagesse ?
Le catharisme est arrivé en apportant involontairement la
solution. Cette religion proposait, comme toute religion chamanique, que le
monde des esprits était différent et distinct du monde physique.
Particulièrement, le catharisme indiquait que le monde des esprits avait été
créé par Dieu et que le monde physique, là où se trouvent les souffrances de la
faim, du froid, des blessures et des maladies, avait été créé par le diable
pour embêter Dieu. Sur cette différence de valeurs, la destinée était donc de
rejoindre le monde spirituel; Sur cette différence de valeurs, la destinée était donc, de rejoindre le monde spirituel. Du coup la différence de genre devenait une
particularité satanique qui n'existait pas dans le monde divin. A partir de là, on
pouvait s'en moquer. De ce fait, la différence de genres s'effaçait et, en
Occitanie, les femmes, comme les Juifs et les membres de toute autre minorité,
étaient considérés comme des êtres libres. Ils avaient donc droit de vote et de
discours. Ainsi, on raconte que l’immense monastère de Carcassonne était
dirigée par une femme, que les nobles et les puissants s'entouraient, comme
conseillers, de Parfaits et de Parfaites, cette élite philosophique et acétique
cathare. Cette culture avait résolu la question identitaire par une approche
culturelle qui effaçait les différences. Il me semble que c'est là une bonne
façon de faire.
Il m'apparaît de la même façon, que les guerres, les violences et les affrontements,
ne sont pas susceptibles de résoudre les conflits, mais de renforcer les
oppositions. On raconte même que, dans les guerres de vendetta, les gens
s'affrontent et se massacrent sans plus savoir la raison originelle... De la même
manière, les guerres de genres fustigent des différences, cristallisent des
oppositions communautaires sans jamais en résoudre les inconvénients. Elles me
semblent, en effet, d'une part propices à formaliser, alimenter et perpétuer le
problème, le conflit. Elles me semblent d'autre part cristalliser les désirs de
comblement de manques identitaires sur un seul axe, effaçant socialement,
culturellement d'autres discriminations, comme celle vis-à-vis de gens laids ou
mal vêtus, vis-à-vis de gens trop petits mais pas nains, vis-à-vis de gens trop
grands et trop maigres, trop myopes ou trop presbytes, ou trop gros, de gens
"hors les normes", hors des canons sociaux.
Au dix-neuvième siècle, les grands blonds étaient vus comme
intelligents et sérieux alors que les petits bruns étaient considérés de
manière bien plus négative. A Paris, au dix-neuvième siècle, italiens et
auvergnats étaient les "bougnoules" de l'époque, parce qu’immigrés. La culture et le
brassage ont effacé ces différences et nous n'en parlons plus, car nous ne la
voyons plus et les discriminations se sont tues. Les gens venus d’Italie et
d’Espagne dans les années trente, poussés dehors de chez eux par les
totalitarismes violents ou le désir de vivre mieux, étaient vertement fustigés
comme étrangers, porteurs de défaut moraux et de comportement asociaux. Le
temps et l'arrivée d'autres migrants ont fait taire les quolibets.
C'est donc bien la voie culturelle, celle des représentations
sociales, qui résout les discriminations, pas vraiment les combats. Peut-être
même que ceux-ci participent en creux à faire perdurer les différences et les
discriminations qui vont avec. N'enlevons pas, cependant, l'impact positif de
la lutte politique, celui qui consiste, justement, à mettre en lumière une population jusque-là inaperçue.
Dans le même temps, nous percevons aussi des éléments de discrimination issus d'autres raisons
culturelles, attribuées le plus souvent à du sexisme. Je pense aux éléments de rôles et
fonctions sociales, issus de répartitions sociotechniques de traitement des
besoins. Non sans un certain humour cynique, une collègue me fit remarquer, un jour, qu'il n'y avait pas de différence de genre chez les handicapés en fauteuil car, à l'étage, ils n'avaient qu'un seul toilette dédié... Je lui répondais, sur le même ton, que les différences de genre auront disparues quand il n'y aurait plus qu'un seul toilette pour tout le monde...
Eh bien, de fait, les
problèmes culturels sont plus simplement résolus dans des approches
culturelles. D'ailleurs, plus le temps passe, plus la postmodernité et
l'ultra-consommation avancent, plus la répartition des rôles et fonctions
distinctes disparaissent, et plus les écarts de genre s'amenuisent. C'est à ce
moment, qu'aujourd'hui, la discrimination de genre nous devient véritablement
insupporte !
Jean-Marc SAURET
publié le mardi 9 mai 2017
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