Je
suis arrivé de ma province occitane montalbanaise à Paris en
février 75. Comme tout bon francilien, j'ai pris les transports en
commun. J'avoue qu'il me semble qu'à cette époque là il y avait
moins de véhicules dans les rues, un peu moins de circulation et que les
usagers du métro étaient moins bousculés. Tous les matins, en entrant dans
le métro, je lançais un habituel et normal :"Bonjour,
messieurs-dames..." qui n'obtenait en réponse que quelques
regards suspicieux. J'en étais quelque peu choqué, trop habitué que j'étais à ce rituel de reconnaissance ordinaire dans ma terre d'origine.
Un jour, je vis, qui marchaient devant moi dans le couloir d'accès aux portillons, quatre jeunes hommes en costume et attachés-cases. De loin je les voyais tenter en vain de faire fonctionner ces maudits tourniquets à coup de billets réguliers. Peut être lassés par ces tentatives infructueuses, je les vis rire et sauter allègrement par dessus. Je me dis alors que les parisiens n'étaient pas tous râleurs invétérés, que certains avaient aussi ce détachement utile, cette distance qui rend les aspérités de la vie moins difficiles. Le fait est qu'arrivé dans le compartiment du métro, ils étaient là, tout sourire en train de blaguer doucement. Il me sembla que leur accent n'était pas bien parisien. Je leur demandais alors : "Vous êtes d'où ?". ils me dirent "...de Montauban". J'en retirai une certaine jubilation, voire une certaine fierté. Et nous avons blagué ensemble le temps de couvrir quelques stations.
Un jour, je vis, qui marchaient devant moi dans le couloir d'accès aux portillons, quatre jeunes hommes en costume et attachés-cases. De loin je les voyais tenter en vain de faire fonctionner ces maudits tourniquets à coup de billets réguliers. Peut être lassés par ces tentatives infructueuses, je les vis rire et sauter allègrement par dessus. Je me dis alors que les parisiens n'étaient pas tous râleurs invétérés, que certains avaient aussi ce détachement utile, cette distance qui rend les aspérités de la vie moins difficiles. Le fait est qu'arrivé dans le compartiment du métro, ils étaient là, tout sourire en train de blaguer doucement. Il me sembla que leur accent n'était pas bien parisien. Je leur demandais alors : "Vous êtes d'où ?". ils me dirent "...de Montauban". J'en retirai une certaine jubilation, voire une certaine fierté. Et nous avons blagué ensemble le temps de couvrir quelques stations.
Ce
silence "mortel" qui enveloppe le voyageur du métro me
surprend toujours. Oui, le silence tue. Il me prend encore de tenter d'échanger quelques
sourires... J'avoue la tâche aussi osée qu'infructueuse. Les
premiers temps, habitué à m'orienter dans ma campagne à l'aide des
points cardinaux, la première chose que je demandai à la première
personne à ma portée, en sortant du métro, cette
"lessiveuse-à-sens-de-l'orientation", était : "Pardon,
s'il vous plait, le nord, c'est où ?". Je reconnais que je ne
voyais pas dans le regard de ces passants une réelle incrédulité,
mais quelque chose de l'interrogation suspecte.
Bien
sûr, je n'ai pas ici l'intention de faire un portrait critique du
parisien type, je n'y parviendrai pas, ou alors, à force de tricheries
incertaines qui ne m’appartiennent pas. Je voudrais juste, à
l'aune de cette différence culturelle que j'avais vécue à
l'époque, marquer combien notre socialité est particulière. Alors
que "l'être ensemble" se fonde sur le rapport de rencontres, je
croisais des gens "seuls ensemble", une assemblée de
solitudes, d'isolements volontaires... Alors que le lien social
appelle à la rencontre, à l'accueil et à la reconnaissance
mutuelle, on constate que le cœur de ce lien social est de garantir
à chacun sa possible solitude (Sébastian Roché*). On se rend
compte que ce qui est prisé et garanti dans ce lien social si
singulier c'est l'espace, le territoire.
Après
une journée de travail où la personne défend son espace de
travail, elle va rejoindre son espace d'intimité privé, son
"chez soi", en passant par des espaces de déplacement ou
de voyage dans le métro et le RER. Ce que la personne défend, c'est
que quiconque n'y vienne bousculer ou réduire son intégralité spatiale, la déranger, déranger sa solitude
comme si son intégrité personnelle en dépendait. Ceci me fait
penser à une sorte de guerre de chacun contre tous, où chacun est
menacé de la présence de quelconques autres.
Je
serais plus enclin à penser que le lien social est l'association des "quiconques", leur rencontre vertueuse et productive, si non
reproductive...
Il
y a de la barbarie dans ce mode d'être ensemble et le combat de
chacun pour détruire l'Autre. L'Autre qui gène parce qu'il est là,
seulement là. Il n'y a, à vrai dire, plus de lien social mais du
combat, de la guerre totale et globale. Combattre l'incivilité
revient alors à combattre la barbarie, et dans le mot "barbare"
il y a cette notion d'absence de civilisation, de "hors
société", "d'associalité".
Ma
fille m’interroge : "Et s'il ne s'agissait que d'un trop de
présence, que d'un trop de discordance de regard, un pluriel qui agace, qui énerve par saturation ?" Les cailloux du chemin ne présentent aucune
autonomie individuelle, de pensée ni d'action. Ils n'opposent donc
rien de bouillonnant, d'exalté, de frénétique ou d'ardent. Mais
autant de gens, pourtant sensés penser de manière autonome et singulière,
c'est sûr que ça bouscule, même hypothétiquement, le Landerneau
des pensées communes. Trop d'effervescence donne le tournis, le
vertige. C'est vrai...
Alors
si le désir d'étonnement, d'émerveillement, de surprises m'habite,
ils peuvent être aussi nombreux qu'ils veulent, ces personnages
effervescents. Si c'est la constante stabilité des aperçus, le
repos des émotions, la quiétude cérébrale d'un étang au petit
matin qui habitent mes intentions, mes attendus, alors un seul autre
me dérange comme un petit caillou dans l'étang, provoquant des rides
circulaires jusqu'au bord le plus lointain.
Et
pourtant la sagesse grecque nous a enseigné au travers de discours
de ses sages philosophes que du débat naît la lumière. Le
lisse, le constant ne donne rien. Le rugueux, le freinant,
l'effervescent produit les étincelles de l'intelligence. C'est de la
confrontation qu'elle nait, s'éveille et se développe. Nous prétendons
tous avoir notre lot parmi les meilleurs, et pourtant, nous sommes
toujours l'idiot d'un autre, parfois l'invité surprise à dîner...
Si
le lien social n'est que cette vacuité stérile, l'humanité aura
disparu avant que la planète ne soit chaude. Il n'y a pas plus vide
qu'un espace et c'est de cette vacuité qu'il existe. Alors la guerre
totale de chacun contre tous et de tous contre chacun habite(ra)
notre dynamique sociale.
Mais
si le lien social est la somme des rencontres fertiles, des accueils
de différences émerveillantes et bousculantes, alors, au lieu de
voir se propager les comportements d’indifférences tristes et
peureuses, nous verrons se développer de la bienveillance savoureuse
comme des bonbons d'humanité. Cette bienveillance repose sur l'idée
qu'au lieu d'être tous contre tous, nous sommes tous avec tous.
Ainsi, quand j'entre dans le métro et que je propose un "Bonjour,
Monsieur-Dames", j'aimerais tant alors entendre ce "Bonjour"
simple, ce retour qui confirme que l'on est visible et que l'on s'est vus...
Il
se trouve qu'alors la bienveillance devient une valeur sociale, une
éthique de comportements, une condition indispensable du marché fructueux de l'être ensemble. A repenser vivement.
Jean-Marc
SAURET
Publié
le 20 octobre 2015
* Sébastian ROCHE, La théorie de "La Vitre Cassée" en France, incivilités et désordre en public, Revue Française de science politique, N° 3, 2000, p.387 - 412
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