Il me souvient qu'enfant, mes
frères et sœurs et moi-même, savourions l'historiette suivante : un petit
garçon demandait à sa maman ce qu’il allait avoir pour goûter. Elle avait
préparé un gâteau. Comme le petit garçon se montrait pressé de l’entamer, la
maman l’y autorisa tout en l’accompagnant d’une consigne : « Penses à
ta sœur ». Et le petit garçon se précipita sur le gâteau donnant
l’impression qu’il allait l’engloutir tout entier. La maman ré-intervint
alors : « Je crois t’avoir dit de penser à ta sœur… ». Et le
garçonnet de rétorquer : « Mais justement, j’y pense ! »
Cette historiette nous faisait
bien rire car elle renvoie au mélange de deux notions apparemment opposées. La
première, liée à notre éducation, concerne "l’être ensemble", cette
impérieuse nécessité du lien social sur fond de valeur morale structurante, à
savoir "la prise en compte de l’autre", un certain altruisme. L’autre
notion est celle d’un égoïsme, antagoniste certes, mais bien utile à notre
motivation.
Lacan disait que « nous ne
sommes que de l’autre », soit que notre existence est sociale, que notre
réalité s’inscrit dans la reconnaissance et la place que l’on nous accorde. Les
audits sociaux récents dans nos entreprises montrent à quel point ces notions
sont sensibles pour leurs personnels.
Cependant, Freud disait que nous
passons notre temps à transgresser, soit à défaire ce lien social indispensable
au profit d’objectifs personnels. Ainsi, pour synthétiser, nous avons tous
besoin de cette oscillation entre égoïsme et altruisme, ce va et vient
incessant, moteur et régulateur de nos actions. Voilà le décor posé.
Si, dans cette post modernité qui
nous occupe, l’ultra consommation nous a régulièrement invité à privilégier nos
envies et nos désirs personnels, la question du lien social, réduite au partage
des émotions, y est effectivement en déconfiture. En effet, les anciens, dits
« modernes », s’étonnent de la perte du sens du devoir, ce qui permet
d’être bien ensemble. Ils se souviennent de cette règle informelle « Ma
liberté s’arrête là où commence celle des autres ».
La société bancale dans laquelle
nous nous trouvons souffre en effet d’une déperdition profonde du lien social
homogène, d’un certain altruisme, lequel implique "mécaniquement" la
réciprocité : « Je tiens compte de toi et, réciproquement donc,
tu tiens compte de moi ». L’harmonie, indispensable à toute
organisations, retrouve sa place et chacun trouve à exister.
Mais l’ultra consommation tient,
par voie de publicité, un lancinant discours déstructurant :
« Tu as droit à… Prends-le !... La jouissance est à portée de main.
Prends cela ! Il te le faut ! C'est pour toi ! Tu es le centre de ton
monde ». Et se développent des comportements d’enfants de 5 ans,
totalitaires et inconséquents…
Alors, très certainement, faudrait-il
réimpulser du lien social car le monde n’est pas le jardin d’Eden et nous
sommes tous structurellement interdépendants. Nous avons chacun besoin de
l’autre, de son regard sur nous, de sa reconnaissance, mais aussi de ses
talents, de ses appréciations, de son intelligence, de son action.
Nous savons bien que ce ne sera
qu’accordés et en synergie que nous traiterons les résistances du monde, les
difficultés, les changements. Remettre de l’altruisme dans nos actions n’est
donc pas idéologique mais méthodologique. C’est juste pour vaincre l’adversité.
Nous savons bien à quel point,
seuls, nous ne pouvons rien, sinon à soumettre d’autres pour qu’ils fassent
pour nous. Et ça, c’est la société des prédateurs. Elle a ses limites puisque,
en dehors des "loups" (et encore...), personne n'y donnera le meilleur de lui-même,
seulement le minimum suffisant pour ne pas être trop inquiété.
Nous savons combien nous pouvons
tout, dès lors que nous combinons nos idées, nos décisions, nos actions. Et là,
c’est la société coopérative. Elle a ses exigences mais dès lors, chacun, non
seulement peut donner le meilleur de lui-même, mais y trouve tout autant
d’intérêts que de plaisir.
Ainsi donc, l’altruisme n’est pas
une vertu canonique de quelques croyances ou religions, mais une obligation
méthodologique pour au moins survivre et trouver les nouvelles voies d’un monde
acceptable. L’égoïsme n’est pas un péché capital, mais l’expression d’une
aspiration motivante. Ni l’un ni l’autre ne sont ni bien, ni mal. Ils sont
humain et pôles antagoniques d’une dynamique fertile. Je préfère que nous les
gardions en équilibre.
Dans nos organisations, ceci
implique le développement et la prise en compte de l’autonomie fertile de
chacune et chacun. Celle-ci se construit exclusivement sur la confiance.
Ainsi, pour boucler avec notre
historiette d’introduction, voici une petite histoire vraie. Un père relatais
qu'il avait indiqué à son fils : « Voici un gâteau. Tu fais une part
pour ton frère et une part pour toi » et il commentait en conclusion
: « Là, on peut être sûr que les parts seront égales »…
Jean-Marc SAURET
le jeudi
10 octobre 2013
L'altruisme permet à chacun de mieux vivre, l'égoïsme enferme la personne et l'isole. Oui nous avons tous besoin de lien social, mais attention de ne pas confondre le lien social avec faire du social. Bien souvent dès que le mot "social" est utilisé on pense aux aides, "aux cas socs" comme disent certains. Or ce n'est pas cela, le lien social est un lien humain et de cela nous en avons tous besoin. A bientôt Jean-Marc!
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