Parce que nous pensons quelque part que
l'intelligence est collective, nous avons parfois tendance à déduire (un peut) vite que les décisions, les constructions doivent aussi être collective.
Combien de fois ai-je entendu : « Nous allons voir ensemble ce que
nous allons faire », ou bien « Notre mode de faire, c'est décider
ensemble » et ce avec une certaine délectation morale. Il me semble qu'il s'agit peut être là d'une erreur tenant plus du glissement
sémantique que de la réalité fonctionnelle.
Comme nous avons tendance à confondre la démocratie
avec le vote, lequel est l’arrêt du débat, là justement où se trouve la réalité
de l'action démocratique, nous avons tendance à confondre la richesse du débat
(l'écoute active, l'art de la contribution, l'enrichissement collectif des
idées à la pensée d'autrui) avec l'action, le passage à l'acte, qui restent
individuels et personnels.
Nous avons effectivement, ici, quelque chose qui fait
symptôme : la responsabilité nous apparaît toujours beaucoup plus
personnelle que partageable. N'oublions pas cette fâcheuse tendance que nous
avons à rechercher les coupables, par exemple.
S'il est vrai que l'intelligence naît de la
confrontation au réel et de « con-prendre » (soit prendre avec soi)
l'environnement, les forces en présences, leurs interactions, déduire des
hypothèses, projeter des conséquences et des faisabilités, l'action reste
personnelle et propre au plaisir de faire. Et le plaisir, quelle que soit la façon de tourner le phénomène, reste une affaire personnelle. En aucun cas l'action
collective peut être assimilée à une action de masse. Elle est une convergence
d'actions personnelles qui la multiplient, voire la démultiplient en cette
quintessence « unique ». Ce n'est pas parce que le groupe, la foule, la masse, sont des singuliers que nous pouvons les confondre avec la personne.
Prenons le cas des sports d'équipes : les
entraîneurs et sélectionneurs recrutent pour leurs équipes des « talents
individuels », c'est à dire des gens qui ont des capacités d'action, des
savoir-faire particuliers. Tout l'art est de les inscrire dans une démarche
d'intelligence collective, pas de les soumettre à un mode d'action dirigé, voire
même démocratiquement décidé. Si c'était le cas, qu'adviendrait il ? Le
groupe dysfonctionnerait (oui, c'est parfois le cas) et les talents s'en
iraient (et c'est aussi parfois ce qui arrive). Nous savons combien, paradoxalement, l’obéissance tue le talent.
En revanche, l'art du management de cette équipe (et
c'est ce qui fait la différence entre les entraîneurs de talent et les autres)
consiste bien à créer la synergie entre les individualités qui
« s’encanailleront » à « faire ensemble ». « Le management consiste à rassembler les meilleures conditions » disait Sumantra GHOSHAL. Ainsi, l'action reste
individuelle et personnelle. L'articulation est collective. Pour que l'acteur prenne du plaisir à l'action, il
faut qu'il décide et réussisse. Et s'il prend du plaisir, il devient le
meilleur de lui même. C'est bien là le fondamental.
Il m'est arrivé de rencontrer des organisations qui
avaient confondu l'intelligence collective et l'action. Comment cela se traduisait-il ?
Les managers ou les garants de l'institution, ou de la chapelle, interdisaient
les actions qui n’avaient pas été décidées collectivement, C'est à dire que le
processus de passage à l'acte devenait une démarche intellectuelle collective
et, qui plus est, "procédurée"... Ça ne pouvait effectivement pas marcher puisque
nous savons que le passage à l'acte, chez chaque individu, ne relève pas de la
rationalité mais de l’impulsion émotionnelle ou sensorielle. Par exemple, nous savons que le meilleur
véhicule pour circuler en ville est petit, économique, discret, maniable et
nous achetons la Ferrari parce qu'elle est rouge et mythique... (le propos
reste de l'ordre de la symbolique)
Le passage à l'acte n'est pas l'analyse. Il y a bien
deux temps dans la création et tous les conducteurs de projet le savent :
le premier, de l'analyse et de la compréhension et le second, celui de
l'action. Comme nous voulons tout contrôler, tout sécuriser, nous voulons que
la construction soit aussi « procédurée », rationalisée, normalisée. Si c'était
le cas dans l'exercice sportif, nous n'aurions que des succès mathématique et
plus aucun public dans les tribunes. Ce qui fait l'action c'est l'impulsion
individuelle. C'est là que se trouvent les miracles.
Il me revient que dans mon passé de rugbyman et de
boxeur (totalement amateur, et de modeste niveau), nous passions des heures
tous les jours à travailler des situations pour qu'elles ne nous surprennent
pas, pour que nous ayons dans nos corps un ensemble de « possibles »
à réaliser réactivement. Nous travaillions « 10 » pour produire
« 4 ou 5 ». Nous savions parfaitement que l'action est impulsion, « ré-action », en fonction d’un
contexte et de visions ou représentations personnelles. Il existe à cet effet les interactions fécondes,… et les autres,… qui
le sont moins.
Alors,
pourquoi donc voudrions nous « procédurer » l'action, afin
qu'elle soit soumise à des règles directives, sécurisées ou
démocratiques ? Toutes ces démarches relèvent de la même erreur : la
confusion entre l'intelligence (toujours meilleure quand elle est collective)
et l'action qui est toujours personnelle et impulsive. Ne serait-ce pas notre
peur de l'échec, notre peur de l'autre et notre vision mécaniste du monde qui
nous ferait penser ainsi ? Mais où est, la dedans, l'humain sur le quel
nous comptons tant aujourd'hui ? Nous avons besoins des talents individuels et pourtant ils
nous font peur.
J'ai même vu des décideurs qui ordonnaient des modes de faire et réagissaient impulsivement en un tour de main. Paradoxe !... Alors, en un mot, l’œuvre collective ne se décrète
pas, elle s'accueille et se constate.
Jean-Marc SAURET
Mardi 7 mai 2013
P.S. : On pourrait affirmer aussi que « l’accident » n’est jamais accidentel... Mais c'est là une autre histoire.
Lire aussi : " Aujourd'hui, avons-nous toujours autant besoin de leaders ? "
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