Il me revient cette
réflexion d’un dirigeant intermédiaire à propos de choix stratégiques du
directeur général : « Il a décidé. C’est le patron. Il a donc
raison. ». Il me revient aussi que cette formulation n’est pas particulière.
Nous l’avons sûrement bien des fois entendue, voire peut être prononcée.
Cette remarque me semble
faire symptôme de deux réalités dans nos organisations. La première est que
l’organisation attend que le dirigeant ait la sagesse de ses choix. La seconde,
par le fait même que ce responsable interjette, pose en creux l’hypothèse que
le patron n’ait pas forcément cette sagesse bien utile.
Mais, dans sa forme, la phrase de ce
dirigeant nous indique aussi que sa culture organisationnelle pose que, faute de mieux, le pouvoir ferait sagesse : ce que pense le
patron est la sagesse de l’organisation. Il introduit donc cette autre réalité
connexe, celle d’une pensée unique dans l’organisation avec toutes les
conséquences qui en découlent (centration, adoubement, expulsions, etc.). Si
l’on pense particulièrement répandue la phrase du dirigeant, on peut penser
parallèlement tout aussi répandu le principe de la pensée unique, peut être même inique dans son "avancée" erratique.
Sagesse et management,
voilà un couple dynamique dont notre monde occidental n’a pas l’habitude. Et
pourtant, combien de projets stratégiques finissent dans les fonds de tiroir de
l’histoire locale ? Combien de fois avons-nous entendu des salariés
lâcher : « Encore une usine à gaz qui ne sert à rien ! »
comme si l’esprit de sagesse avait soigneusement évité les hauts
dirigeants ?
Il n’est pas ici dans mon
intention de décrier les compétences de nos hauts dirigeants. Loin de là ma
pensée, l’expérience m’indique, globalement, plutôt le contraire. Mais, j’ose déduire que le
système bureaucratique, celui là même qui habite traditionnellement nos
organisations à la française, est porteur de cette représentation. De là à ce
que nous glissions de la représentation à la problématique est un Rubico que
j’ose franchir.
Ce paradoxe triangulaire
« pouvoir – sagesse – absence de sagesse » semble habiter
inconsciemment les représentations ordinaires, quelque peu claudicantes, dans nos populations au travail.
Il me revient à la mémoire, en dynamique, cet échange dans la pièce « Douze hommes en
colère » de Reginald ROSE, entre le huitième juré, celui qui conduit la réflexion
de doute, et le sixième juré, un peintre en bâtiment. Je le rapporte de mémoire.
Il n’est certainement pas parfaitement fidèle à l’écriture de la pièce :
-
Supposez que ce garçon
n’ait pas tué son père ? demande le huitième juré.
-
Ho ! Je ne
suis pas là pour supposer. C’est mon patron qui suppose. Mais je veux bien
jouer le jeu. Je vous retourne la question : supposez qu'il l’ait tué…
Cette réflexion emporte
en creux l’idée que, justement, dans la culture ouvriériste, la sagesse n’est
pas liée au pouvoir ou au commandement, bien que les acteurs feignent d’en avoir
adopté le principe.
Même si les acteurs font
semblant, personne n’est dupe sur les postures. Même si une culture gouvernante
ou bourgeoise, comme l’indiquait Bourdieu, fait l’hypothèse que les sommets des
pyramides sont occupés d’intelligences supérieures, l’hypothèse n’est plus globalement
partagée aujourd'hui. Cependant si l’idée que le niveau de sagesse n’est pas
égal au niveau de pouvoir, la nécessité de leur conjonction s’impose.
Ainsi donc, si la sagesse
est répartie sur l’ensemble du corps social, le pouvoir de la décision devrait peut
être l’être tout autant... Vous avez dit... Démocratie ?
Jean-Marc SAURET
Le jeudi 28 février 2013
Si on ne peut pas enlever aux dirigeants une "sagesse décisionnelle" supérieure à la moyenne des employés - sagesse qu'il tient de ses capacités (celles pour lesquelles on l'a mis à ce poste), de sa vision plus haute, de son intuition, de son écoute, de son expérience ...il n'en reste pas moins que cette sagesse ne s'applique pas partout. Pas quand il s'agit de décider pour les employés et sans les employés à ce qui touche leur travail quotidien. Et c'est là que le bât blesse, que les erreurs se multiplient, que les employés rient sous cape ou rient jaune. Quelle prétention de penser qu'on sait mieux que celui qui fait ! De la sagesse ça ? JC Fauvet dit bien que le chef c'est celui qui a le ballon.
RépondreSupprimerLe principe de subsidiarité préconise de laisser le pouvoir de décision au plus bas niveau possible. Par quoi est-il défini ce niveau ? Par la vision du patron sur ses employés (collaborateurs ou abrutis ?)et par la montée en compétence qu'il leur assure pour qu'ils puissent disposer des moyens de prendre des décisions à leur niveau. Ça s'appelle l'auto-organisation et ça demande de ne pas confondre sagesse et pouvoir. Notre époque a encore beaucoup de choses à apprendre dans ce domaine....