On a souvent comparé le fonctionnement des organisations à celui
du corps humain. Ainsi le mot "chef", qui voulait dire tête au moyen
age, indique-t-il depuis l'époque moderne celui qui commande. Nous utilisons
d'ailleurs aujourd'hui le mot "tête" pour désigner le groupe des
dirigeants d'une organisation. Dans nombre d'approches la comparaison se
décline. Ainsi, avons nous lu ou entendu que tel groupe d'acteurs était le bras
armé ou le bras séculier d'un régime ou d'une entité. Combien de fois avons
nous entendu la comparaison "la tête et les jambes" qui dans les
années soixante dix avait même fait l'objet du nom d'une émission divertissante
à la télévision ?
Mais poussons la comparaison plus loin. Cœur, foie, rate, poumons, seraient les fonctions support de notre organisation corporelle, et les systèmes immunitaires, sa sécurité, etc.
Où je veux en venir ? Eh bien, dans toutes ces fonctions de l'organisation corporelle, combien sont elles dirigées volontairement ? Si nous arrivons par l'entraînement à "contrôler" notre respiration, notre volonté intervient-elle sur le système immunitaire, sur la production des globules rouges, sur le travail de nettoiement et de régulation des reins, du foie, de la rate ?... Certes non et si nous avions à le faire ce serait bien ennuyeux. Il me souvient de cette maladie rare que l'on nomme le syndrome d'Ondine où la personne arrête de respirer quand elle s’endort. L'appareillage devient alors indispensable.
Alors, si le corps est notre modèle organisationnel, s'il est la référence de nos fonctionnements, pourquoi voulons nous tout contrôler, tout réguler, tout vérifier dans nos organisations ? Du coup, cette prétention reflète quelque chose de paranoïaque. Pourquoi ne laisserions nous pas nombre de nos services faire comme ils l’entendent ? …leur laissant aussi un lien direct avec leurs "clients", les bénéficiaires de leurs productions et services ?
La société FAVI, société de production de pièces de fonderie pour l'automobile et l’industrie, sous l'égide de son patron Jean-François ZOBRIST, a déconcentré la décision, écrasé la pyramide, rendu à chaque opérateur de penser sa méthode, de produire et de contrôler ses pièces. Dans le même esprit que ce que Ricardo SELMER a fait dans sa société SEMCO, au Brésil, dans les années quatre vingt, il déconstruit la pyramide en redonnant la totale autonomie responsable à ses opérateurs. Jean-François ZOBRIST, ne parle d'ailleurs pas d'ouvrier et de cadres dans sa société, mais bien d'opérateurs et de leaders. « Si vous mettez tout sous clé, vous vous faites voler, dit Jean-François ZOBRIST. Si vous laissez tout ouvert, les gens ne touchent à rien. »
Alors, à l’instar du corps humain, comme la personne ne s’occupe pas de réguler l’activité de ses viscères (et cependant le corps vit, et vit bien même), pourquoi voudrions nous que l’entreprise marche mieux sous contrôle ? L’expérience nous indique le contraire. La confiance semble être le cœur du système : « La preuve que desserrer l'étau étouffant les ouvriers en supprimant les échelons hiérarchiques et en leur faisant confiance est efficace ? Il n'y a jamais de retard de commande chez FAVI, jamais...»
Comme Luc BOLTANSKI, dans l’élaboration de la sociologie pragmatique, prône la valeur comme structurante de la vie de l’organisation, Jean-François ZOBRIST parie sur deux principes qu'il met au cœur de son entreprise : « L’homme est bon » et « l’amour du client ». Il pense ces deux valeurs comme la seule chose limitant la liberté de chacun, ou plutôt l’encadrant. A partir de là, tout est possible et personne n’a plus besoin d’indication. Ça marche ! Confiance et lâcher prise…
Jean-Marc SAURET
Vendredi 15 février 2013
Lire aussi : "Management, un nécessaire retour du gestionnaire à la "Clinique" "
Il est évident que les personnes réalisant les actions et activités sont bien placées pour indiquer des problèmes et des solutions : elles connaissent le produit ou le service, le contexte, le client. Je pense que leurs idées, combinées à celles des "penseurs" (cadres, ingénieurs, bureaux d'études,...) ne peuvent que faire progresser l'organisation.
RépondreSupprimerCependant, de mon point de vue, la "vérité" ne se trouve pas seulement sur le terrain, mais aussi parfois dans des bureaux d'études. La dichotomie entre "faiseux" et "penseux" n'a pas sa place. Mais là, pour faire travailler tout ce monde ensemble, on rentre parfois dans de beaux challenges !
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RépondreSupprimerEffectivement, le corps sans tête meurt. S'il n'y a pas le "patron" pour donner du sens à l'action et de la fierté à travailler sur le projet, les choses ne se passent pas. C'est aussi une théorie de Soumantra Ghoshal (London Busines School).
RépondreSupprimerCe que dit Jean-François Zobrist sur les bureaux d'étude est assez radical : une perte de temps et d'énergie. Il n'y a pas mieux que l'opérateur pour concevoir et réaliser le produit pour le client. C'est aussi une référence à la proposition que faisait Herbert Marcuse sur l'organisation du travail : que toutes les cinq phases soient dans les mains de l'ouvrier (concevoir le produit, concevoir comment le réaliser, le réaliser, le contempler et l'amender, le socialiser) et les choses vont pour le mieux pour tout le monde, patrons, clients, ouvriers
Au delà des théories, force est de reconnaître que le "modèle Zobrist" fonctionne et qu'il est même performant. Quant aux fonctions support, il ne faut pas confondre utilité spécifique, contrôle et pouvoir hiérarchique. Les armées mexicaines remportent quelques batailles mais rarement les guerres.
RépondreSupprimerComment trouver meilleure comparaison que le corps humain qui vit 8 heures de sommeil sans aucune intervention de son propriétaire et de sa tête. Et dans la journée, seules les fonctions motrices qui exigent un but - où je vais, où je mets ce que j'ai pris, où je regarde; à quoi le pense... - demandent l'intervention de la tête, comme en management : c'est au "chef" de définir où on va et pourquoi on y va...et de laisser les fonctions vitales prendre le relais.
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