Lors
de la dernière nuit blanche parisienne, Michel MAFFESOLI a donné
conférence autour du concept de l'évènement, accompagné de deux
jeunes auteurs et journalistes de l'art qui lui ont rendu la
conversation. A l'écoute des quelques concepts qu'il a évoqué et
articulé ce soir là, m'est alors venu de voir autrement la
dynamique collective de nos organisations, de la
repenser. Hors de toute tentative inutile d'exhaustivité, cet
incontournable sociologue de l'actuel et du quotidien m'est apparu
très justement éclairant dans la situation de réviser une
philosophie du management. Sans racler profond, car la pensée de
Michel MAFFESOLI n'est pas une doctrine, mais un élargissement du
regard dans un questionnement permanent, à partir de seulement trois
remarques, voici juste trois touches posées sur la toile du
management.
La
première idée, et qui dirige sa pensée, est que ce sont dans les
interstices de la réalité, de l’être ensemble, le non regardé,
le mal aperçu, le presque indiqué que se trouvent les symptômes du
réel de notre « être au monde », de notre culture
profonde. Ainsi, dans le management des organisations, ce n’est pas
ce qui est à la lumière, ce qui brille et se démarque qui fait le
sens de l’organisation, le brillant, le net et le lumineux mais le
sombre, le discret, le mobile, l’interstitiel. Ainsi, les
organigrammes ne nous indiquent rien, les chartes affichées non
plus. Les discours, les tracts, tout ce qui fait affichage officiel
n’a de vocation qu'à nous indiquer que l’organisation qui se
donne à voir se déclare ou se pense "normale", "normée"
ou "ça". Elle dit là seulement son intention de
similitude avec sa cible.
C’est
donc dans les courts rituels locaux de salutation, les rites du café
matin, du déjeuner, des transgressions simples des procédures, des
pontages hiérarchiques, des désobéissances et squisages
décisionnels, le masquage des résultats, etc., que nous verrons
réellement ce que vit une organisation, ce qui la fonde, l'arrange
ou la dérange, comment elle le vit, s’en accommode, ce
qu'elle en fait. Ce n’est pas dans la bibliothèque qui trône
derrière le bureau du patron, que se trouve l’idéologie de la
boite mais dans ses corbeilles à papier. Avis donc aux consultants
internes, c’est dans les zones de chaos que se niche l’essentiel :
les symptômes sont sur les marges.
Ce
6 octobre là, Michel MAFFESOLI nous indiquait aussi que, à l’instar
d’une certaine pensée orientale, le mal ne lui apparaît pas comme
un « défaut » à éradiquer, la scorie de
trop, l’empêcheur mais quelque chose d’inhérent au
réel. Ainsi, je me faisais cette réflexion que le bon pour
l’organisation n’est pas forcément celui affiché
institutionnellement. Les transgressions, les coulages et autres
dites « mauvaises pratiques » ne le sont qu'en regard
d’affichages officiels d’objectifs, de procédures et de
déontologie. Ces mauvaises choses sont du fonctionnement de
l’organisation et n’ont d’écart qu'avec le conforme et pas
forcément avec les nécessités réelles de l’organisation. Ce qui
est à regarder est l’utilité de ces « scories » dans
la vie, la dynamique de celle-ci.
Ainsi,
on peut se demander si ces transgressions ne participent pas à
l'homéopathisation de l’horrible de l’organisation. Car nous
posons aussi le postula qu'une organisation sans horrible n’existe
pas… Ainsi, harcèlement, violences morales ou physiques peuvent
trouver un édulcorant, un dérivatif, une expiation dans la
transgression, homéopatisant la vengeance, structurant un rapport
déviant, le socialisant… Une organisation qui n'homéopatiserait
pas son horrible pourrait fort bien le voir surgir de manière
exacerbée, terrible, radicale.
Ainsi,
la transplantation de la lutte de classe entre ouvriers et patrons
vers l’intervalle aujourd'hui "entreprise créatrice
/ investissement boursier", porte de l’horrible, de
l’insoutenable de l’ordre du sacré : la croissance
monétaire par dessus toute dimension humaine. Sans cette
homéopathisation régulatrice, un mouvement d’indignés serait
peut être une révolution arabe...
Aujourd'hui
le monde est fractal, nous indique le sociologue de la post
modernité, éclaté en tribus et communautés et nous continuons de
penser l'organisation monolithiques. Ainsi, je me demande
si, à trop policer nos organisations, à trop vouloir les réguler,
les réglementer, les blanchir, nous ne courrions pas le risque d’une
explosion violente définitive. N’y aurait-il pas une voie du
milieux à contempler l’entreprise comme une agora ordinaire, un
échantillon du système sociétal, comme un creuset des forces
en fusion et peut être alors comme un laboratoire expérimental dans
la cure et le faire avec nos maux ?
L’entreprise
en aucun cas ne peut être ce joli jardin à la française avec ses
lignes pures et ses courbes pleines. C’est bien dans ses herbes
folles en marge des parterres que se lit son avenir, sa météo, son
climat réel.
A
suivre…
Jean-Marc SAURET
Le vendredi 12 octobre 2012
P.S. : « Je saurai grès à
Michel MAFFESOLI d'avoir construit une sociologie qui dit, entre autres, le
sens et l'importance du confus, du banal, de l'émotion, du lieu commun »
(André DEDET, Doc es
Lettres, Univ Poitiers, « Lieux communs », in « Dérive autour de
l’œuvre de Michel Maffesoli », CEAQ, L'Harmattan)
Lire aussi : "Management + Post-Modernité = Complexité"
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