Nos rapports sociaux, dans leurs formes les plus ordinaires, relèvent de la plus grande simplicité. On peut même dire que le libertarisme est naturel. Nombre de nos rapports sociaux sont réglés de manière libertaire, c'est à dire sans Etat, sans pouvoir, sans juge ni régulateur, ni même sans argent. Dans la vie amoureuse et en amitié, monnayons-nous les services que l'on se rend ? Quand vous êtes dans une file d'attente devant la boulangerie, avez-vous recours à un juge, un policier, un arbitre pour ce faire ? L'adhésion de tout un chacun à quelques principes et valeurs ordinaires de base suffisent à régler l'affaire.
Quand vous êtes à la maison, que vous faite la vaisselle, le ménage, la cuisine, la réparation du vélo, la réfaction de la chambre, avez-vous recours à la monnaie ou une quelconque autorité externe pour réguler les échanges ? Faites vous des devis et des factures ? Quand vous faites une fête d'amis, avez vous recours à un régulateur, à des juges, à l'état ou à l'argent ? Certainement pas ! Combien d'enfant jouent au foot sans arbitre ni manuel ? L'argent, le commerce, le pouvoir ne sont pas dans nos rapports sociaux ordinaires et quotidiens, et tout se passe là naturellement. Nous n'en avons non seulement pas besoin mais y avoir recours serait même indécent et amoral. Acquérir de l'argent est pourtant bien devenu un objectif en soi. C'est seulement parce qu'il est devenu le "moyen suprême". Mais en avons nous toujours besoin ? Certes non !.
A cet effet, pourquoi notre société aurait elle besoin forcément de régulateurs, de juges et de policiers pour régler et organiser nos rapports sociaux ? L'anarchie ("an-archos", l'absence d'autorité, et non l'anomie qui est l'absence d'ordre, le fichu bazar), c'est effectivement gérer les communs à l'aune du bon sens hors commerce et hors autoritarisme. C'est, comme disait Pierre-Joseph Proudhon ne disait-il pas d'ailleurs que "l'anarchie, c'est l'ordre sans le pouvoir" ? En effet, nous sommes tous et chacun tout à fait capables de pratiquer ce que nous avons intériorisé : le bien être ensemble en coresponsabilité. L'absence d'intériorisation des valeurs du vivre ensemble est ce que d'aucun nomment la "décivilisation".
Dans la démarche communaliste (chère à Murray Bookchin, et que nous rencontrons dans les quartiers les plus pauvres, les plus démunis et les plus populaires du globe), les "communs", comme le l'accès à l'eau, l'usage de l'air ou l'échange de services, ou parfois même la sécurité des plus faibles, relèvent le plus souvent d'une entente entre pairs. Comme je l'ais déjà cité, les pauvres de la ville de Bogota, abandonnés dans leurs favelas, se sont organisés entre eux pour gérer le peu d'eau à laquelle ils avaient accès. Quand la sècheresse est arrivée, les riches n'avaient plus d'eau et les pauvres en avaient encore...
Dans ce système spontané et entre pair, l'objectif est la gestion en coresponsabilité des communs et non le profit ou l'enrichissement, l'appropriation et les conflits d'intérêts. Les échanges se pratiquent donc sur le principe du don et du contre-don, comme cela se fait en famille. Les gens s'entraident dans le premier but de survivance, de bien-être et dans le second d'être plus efficaces, ce qui se révèle évident à plusieurs. Là où les principes de concurrence, de compétition, d'enrichissement et de pouvoir dominent, là se trouvent aussi les problèmes sociaux avec la naissance d'inégalités et d'irrespect, de spoliation et d'asservissement, de duperies et de mensonges. En communalisme, pas de profit sur le dos de ceux qui ont besoin. Rien, en l'espèce ne se vend, et tout se partage.
Quand le partage social n'a d'intérêt que le vivre ensemble, et donc la sauvegarde des biens communs, alors les valeurs de liberté, de solidarité et d'égalité, voire de fraternité, n'ont plus à être placardées sur les frontons des édifices officiels, là où justement beaucoup pensent qu'ils sont trahis. Ces valeurs s'imposent de fait comme une émanation du vivre ensemble. C'est la morale et l'éthique des peuples premiers, des "sauvages", comme l'on dit...
Là où la concurrence, la compétition et l'individualisme sont devenues des pratiques et comportements ordinaires, alors, la nécessité d'un système de régulation s'impose avec sa monnaie pour l'équité des échanges. Ainsi la police, l'Etat, ses juges et ses législateurs, s'imposent-ils comme des éléments de régulation des violences et autres iniquités. Nous avons vu que ce système de prédation, de concurrence et de compétition sont propres à bien des sociétés humaines, et plutôt occidentales. En cette occurrence, nous sommes pourtant et bien loin de faire tâche d'huile dans la nature. Ce sont davantage les systèmes d'interdépendance, de solidarité, d'entraide et de coopération qui fondent les rapports de nature. Savez vous comment coopèrent les loups et les corbeaux, les loups et les ours ? Comment les humains et les loups ont coopéré durant des milliers d'années, comment les loups sont devenus nos chiens, etc... ? La réponse est basée sur ce que nous nommons les principes communs de solidarité et de réciprocité.
Souvenez vous de l'expérience que relatait cet anthropologue dans un village du sahel. Il avait proposé aux enfants une compétition pour leur faire gagner un panier de fruits déposé auprès d'un arbre. Les enfants, au lieu de concourir, se sont donné la main et ont marché ensemble vers le panier dont ils ont partagé le contenu. Les interrogeant sur cette absence de concurrence, l'anthropologue s'est entendu répondre que sans les autres chacun n'est rien, que la solidarité s'imposait parce que chacun dépend de tout les autres, que nous sommes tous interdépendants.
Alors peut être serait-il temps de repenser notre société "comme à la maison" sans argent, sans concurrence ni compétitions. Celles-ci nous font rencontrer la duperie, la veulerie, l'exploitation et l'assujettissement des personnes. Sans l'argent, on éviterait les violences, les escroqueries, les manipulations, le racket, les dettes, les faillites, etc. Comme le disait Pierre Joseph Proudhon : "l'anarchie, c'est l'ordre sans le pouvoir !" On le rappelait tout à l'heure, en citant déjà cet auteur, c'est le "communalisme".
Ce mouvement existe (Il est promu internationalement par des associations comme "MOCICA"). Et ne pensons pas qu'il s'agisse là d'utopie. Cette pratique existe depuis des milliers d'années. Elle résiste dans les contrées occidentalisées ou non. On la retrouve notamment dans quelques communes françaises (lesquelles se sont retrouvées en Moselle pour partager leurs pratiques en janvier 2020), dans la commune de Oaxaca et le Chiapas zapatiste au Mexique, dans l'Etat du Vermont (USA), comme elle l'ait aussi dans le haut Karabakh ou la plaine du Rojava en Kurdistan, mais aussi ponctuellement dans des dites "communes libres" un peu partout dans le monde occidental.
Lire aussi : "Le municipalisme libertaire, une solution déjà en marche"
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