Léonard de Vinci, au-delà de ses qualités artistiques et d'ingénierie, est moins connu pour ses approches philosophiques. Il proposait que la sagesse résidât aussi dans la qualité de l'observation naturelle comme le font les enfants, convoquant l'imaginaire avec émerveillement. Il se comportait comme ces mêmes enfants qui voient dans les nuages des animaux et des chimères. La contemplation convoque notre imaginaire au delà du "raisonnable" et provoque l'émerveillement. Dans ces conditions, l'émerveillement ne serait-il pas aussi un outil de sagesse ? Un "outils" qui nous ferait voir l'invisible, nous révélant ainsi le caché. Ce faisant, il permet de faire apparaître l'inconnu, sollicitant ainsi l'intelligence ? Mais regardons de plus prés...
Nombre d'observateurs nous disent que la plupart de nos actions (sinon toutes), seraient des réponses à un vide intérieur, comme de l'ordre de tenter de le combler. Mais pour nombre de quidams, leurs activités répondent davantage à des gourmandises. Et si la gourmandise n'est pas une obligation comme celle qu'aspire le vide, alors faire et déguster relèvent davantage de ladite gourmandise que du comblement du manque. Prenons un exemple : l'enfant est émerveillé par une flamme de bougie, ou autres. Quand il le peut et si les conditions lui garantissent qu'il pourra en jouir sans être dérangé ni empêché, alors il s'y adonne. On peut même dire qu'il s'y abandonne à quelques moments requis. A l'inverse, si les conditions ne sont pas requises, il attendra alors des temps meilleurs.
Est-ce là un besoin de comblement de vide ? Certainement non, car l'enfant attend les bonnes conditions pour en jouir. C'est donc bien là de la gourmandise. Je revois l'enfant qui demandait un carré de chocolat et allait le déguster dans sa cabane. Bien sûr, il n'y touchait pas tant qu'il n'était pas arrivé dans l'environnement idéal. Alors seulement, il pouvait jouir au mieux de son carré de chocolat, sans empressement, sans précipitation, avec délectation. Le comblement provoque plus une attitude boulimique qu'un comportement de gourmet.
D'ailleurs, l'acte de "savourement" et celui de "comblement" ne produisent pas le même résultat. Si le premier apporte jouissance, saveurs et connaissances, le second provoque, en conséquence, de la frustration. En effet, le dernier morceau englouti, le besoin insatiable revient immédiatement, sans autres bénéfices.
Autre différence importante, l'émerveillement apporte un ensemble de sensations qui viennent nourrir l'imaginaire et parfaire la connaissance. En revanche, la frustration issue de la boulimie ne fait qu'accentuer la douleur du manque et appeler le comblement suivant. Si l'un est sensitivement et spirituellement ouvrant, l'autre recroqueville sur la douleur dudit manque. Le comblement, comme le développait le Professeur Schwartzenberg, n'est jamais qu'un répit et tous les addicts avouent que le premier shoot était le meilleur. Tous ceux qui suivent consistent à le rechercher. La quête illusoire amène au mieux à ne retrouver qu'un état "normal", c'est-à-dire seulement soulagés de l'horrible sensation de manque. La spirale descendante reste infernale.
Ainsi, si le comblement est là sur fonds de douleur, l'émerveillement est là sur fonds de découvertes. L'addiction n'est pas systématiquement la suite logique de l'expérience de plaisir. Les addictologues expliquent bien les processus qui interviennent dans ce phénomène douloureux. Ils parlent de phénomènes chimiques, de processus répétitifs ou chroniques et de conditions psychologiques particulières.
Pour bien saisir le phénomène d'émerveillement, il suffit de contempler un enfant devant une gourmandise qui le "touche". Je me souviens tout à fait de cette surprise que m'avait faite ma mère alors que j'étais enfant. Elle m'avait demandé ce que je souhaitais pour mon anniversaire. Excellente cuisinière, je lui demandais, sournoisement, une tarte aux fraises, car je savais bien que les tartes étaient "toujours aux pommes".
A la fin du repas du jour dit, elle sortit de la cuisine avec un plateau dans les mains qu'elle portait à hauteur de son visage. Je voyais bien la lumière des quelques bougies mais je ne pouvais voir l'intérieur de la tarte, ni même la pâte. Arrivée devant moi, tout sourire, elle baissa le plateau à hauteur de mon visage et je vis alors que la tarte était toute rouge de fraises : ma mère venait d'inventer la tarte aux fraises !
Pourquoi ? Mais parce que je savais bien que les tartes sont aux pommes, qu'elle aurait fait bien sûr une tarte aux pommes, et qu'on aurait dit qu'elle était aux fraises. C'est bien ça l'art du jeu où l'imaginaire transforme le réel. En cette occurrence, j'étais émerveillé par la magie que venait d'inventer ma mère, repoussant d'autant les limites du réel.
Ce jour-là je compris que tout était possible. Emerveillé, je soufflais les bougies le cœur illuminé. Cela s'est passé il y a plus de soixante ans et j'en parle encore. La trace est encore là m'indiquant encore que tout est possible, ce qui est bien vrai. Cette croyance constitue un marchepied vers la sagesse. J'en conclus que c'est possible !
Vous voyez, j'y crois encore... L'émerveillement est bien une ouverture, une porte sur d'autres réalités. Elles ne nous sont accessibles que si nous lâchons prise sur des certitudes. Encore faut-il que notre cœur soit disponible. Alors, s'émerveiller comme un enfant se cultive dans ce lâcher-prise, dans "se rendre disponible". C'est justement ce que proposent la méditation et la contemplation,... jusqu'à l'émerveillement. On se rend vite compte qu'on ne sait pas tout... Ce n'est pas la naïveté qui s'oppose à l'orgueil de tout savoir déjà, mais la disponibilité. C'est là une simple posture, un état d'esprit relativement simple à cultiver.
Lire aussi : "Connaître, comprendre et contrôler"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos contributions enrichissent le débat.