"Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute la puissance de notre pensée ! " Après avoir durant des années posté ici réflexions et conseils sur le management des organisations, je livre aujourd'hui une vision de la réalité, au plus profond de soi même sur l'être et l'univers. Profitez ! Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en indiquer chaque fois la source et de ne pas en faire commerce.

Notre bienveillance coloniale... (08 12)

On dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions. On ne croit pas si bien dire. Je regardais récemment un reportage sur le développement d'écoles dans le Ladakh, un haut plateau, dit "le petit Tibet de l'Inde". La culture bouddhiste tibétaine y est très présente. Une touriste bavaroise, qui était tombée sous le charme de ce haut plateau et de ses habitants, eut la pressante envie de leur venir en aide. C'est là que le dérapage commence...

En effet, pleine de bonnes intentions, cette touriste usa de ses relations pour collecter des fonds, afin de développer sur ce territoire magnifique et hautement culturel (ce qu'elle n'avait pas saisi) une école où les jeunes filles pourraient aller alimenter leurs connaissances et élargir ainsi leur formation. Elle pensait leur donner ainsi la chance d'accéder aux moyens d'une vie meilleure. 

Elle parvint à installer cette école et exprimait fort légitimement la fierté d'y être parvenue. Elle avait peut-être fait l'œuvre de sa vie mais elle avait contribué sans le savoir, ni s'en rendre compte, à la détérioration du savoir vivre si particulier dans cette partie singulière de l'Himalaya. Vivre là nécessite une adaptation singulière à l'écologie particulière du haut plateau, qu'une culture ancestrale avait développée, tout au long de ces siècles de présence.

Effectivement, les jeunes filles du Ladakh, dans cette école, apprirent à lire et parler l'anglais, ainsi que les mathématiques. Elles purent intégrer la culture occidentale propice à vivre en grande ville, et ainsi prétendre accéder à une "bonne profession", comme celle de médecin, de professeur ou d'avocat.

Que disaient leurs homologues restées vivre sur le haut plateau ? Que ces jeunes filles ne savaient plus parler la langue Ladakhi, qu'elles avaient perdu les valeurs de compassion, de solidarité, d'amour, c'est-à-dire le vivre ensemble si utile, voire indispensable, au bien-être social local. 

Elles disaient aussi que ces jeunes filles parties à l'école ne savaient plus s'occuper des cultures ni des animaux, ni même cuisiner convenablement, ni fabriquer ou réparer les outils nécessaires à tout cela. Elles avaient perdu les gestes et les valeurs sociétales du Ladakh au profit de celles citadines de "savoir être", de concurrence et d'individualisme occidental dont la finalité était de trouver de l'argent, beaucoup d'argent, plutôt que le bien-être.

De plus, ces écolières se rendirent compte un peu trop tard que seulement 10% d'entre elles avaient accès au rêve occidental, faute de places. Elles réalisaient que les quatre-vingt-dix pour cent restantes pouvaient au mieux espérer monter une boutique de bijoux ou d'accessoires dans le bidonville de Delhi, soit vivre dans une extrême solitude et pauvreté. 

Elles se retrouvaient totalement inadaptées à vivre dans leur région d'origine. De plus, ceci provoquait aussi un certain éclatement des familles avec la souffrance et le manque qui l'accompagnent.

Je réalisais par la suite que toute l'éducation coloniale de par le monde ressemblait à cette bien triste histoire. Au lieu de développer les compétences à bien vivre chez soi, ces écoles produisaient des dépendants au système économique occidental. Au mieux il rendait les écoliers capables d'en être les “esclaves pauvres”. Le mot est certes fort, mais montre bien le processus développé.

Pire encore, peut-être, je compris qu'en même temps ce processus tendait à faire disparaitre les connaissances et compétences propres à ces sociétés si bien adaptées localement. Elles perdaient simultanément leurs savoirs “efficaces”, construits pragmatiquement dans le temps, dans le vécu de l'expérience.

C'est pourtant cette capacité d'adaptation de l'être humain, à comprendre les complexités topiques locales, qui lui a permis d'occuper toutes les régions du globe, des plus froides aux plus chaudes, des plus arides aux plus luxuriantes, avec tous leurs dangers que la vie végétale et animale y présentait.

Les "autochtones" font partie intégrante de ces écosystèmes où ils ont développé toute l'intelligence pratique utile. Or, la bienveillante éducation coloniale condescendante les détruisait comme si ces réelles connaissances n'existaient pas, ou, au mieux, comme si elles ne représentaient qu'un archaïsme sans valeur ni pertinence. En fait, comme si elles ne représentaient rien aux yeux des colons occidentaux.

Mon ami Bruno Nkenko, qui est né et a habité au Congo, y a vécu le même phénomène. Il me disait l'importance majeure des missionnaires catholiques dans ce processus. Ils ont ouvert, par leur posture, la voie à un “bienveillant mépris”, en toute condescendance. 

Nous échangeâmes sur le fait. A l’issue de moult recoupements, nous arrivâmes à la conclusion suivante, en l’espèce, que le néolibéralisme et la posture haute et dominante de la civilisation occidentale, pourraient bien trouver leurs racines dans les religions du livres. celles-là même qui font de leurs croyants des peuples, ou civilisations, élus. On retrouve cette même posture dans le colonialisme économique et culturel.

Cependant, depuis, des touristes, las de ce totalitarisme consumériste et matérialiste, séduits par les charmes de ces sociétés premières, font des voyages culturels à leur rencontre. Ils nourrissent l'espoir d'y trouver la voie d'une vie authentique, et peut-être meilleure, et nourrissant par la même occasion un nouveau marché occidental.

Que viennent chercher ces touristes ? La sérénité de l'authenticité, de l'essentiel partagé, un fondamental du bien-vivre, un chemin de spiritualité ? Ils peuvent aussi venir a la rencontre d’une certaine pureté de comportement, de la transcendance et de la magie humaine qu'ils nomment parfois un "retour à l'essentiel"... Paradoxe profond ! Des enfants de l'Occident, formatés pour et par la vie citadine occidentale, se découvrent “si peu heureux”, qu'ils se tournent désormais vers ces personnes qui ne “valaient rien”, aux yeux de leurs prédécesseurs, ces colons qui les avaient "découvertes"...

Paradoxe civilisationnel, les enfants de l'Occident viennent chercher la sérénité et l'authenticité auprès de personnes appartenant à des civilisations qui “n'existaient pas”, il y a peu, aux yeux de l'Occident. Ces personnes étaient considérées, au mieux comme des sauvages en retard, sur le “réputé” logique du progrès. C’est un peu comme si l'humanité tendait obligatoirement vers l'état de progrès décadent de l'Occident, … comme s'il existait une flèche de civilisation tendant vers cet occident si riche, si développé, si avancé. Tellement qu'il en avait perdu les valeurs d'humanité et de solidarité qui ont fait l'espèce humaine (lesquelles sont encore bien vivantes dans nombre de nos campagnes...). 

Ce sont ces valeurs même à la recherche desquelles courent les enfants perdus du néolibéralisme : spiritualité, quête du vrai et du fondamental, sagesse, identité profonde, sens de la personne humaine, du groupe et de l'autre, entraide et solidarité, osmose avec le nœud de nature, accueil et reconnaissance, inscription dans la biodiversité et les écosystèmes, vie simplement authentique, chaleur humaine et bienveillance, etc.

Sans aller au delà de nos frontières, ces "émergents pour un monde meilleurs" s'intéressent à une écologie pragmatique avec la permaculture, les maisons autonomes, les méthodes nomades, le renouvellement des ressources, un néo-chamanisme ou druidisme. Ce sont là les éléments d'une nouvelle "reliance" interpersonnelle autour de valeurs d'humanité, de solidarité, de reconnaissance, de démocratie directe, de partage sans commerce, d'émotions vécues ensemble, en fait, on retrouve ici tout ce dont le néolibéralisme nous a privé... et dont il est en train de mourir.

Quand poserons-nous un regard lucide sur les humanités de la terre, sur les personnes du monde ? Quand nous rendrons nous compte que l'Occident n'est qu'une posture parmi tant d'autres pour répondre à des contraintes locales, pour vivre là sereinement, pleinement ? Quand réaliserons-nous que le mode de vie à l'occidentale est loin d'être une panacée ? 

Quand prendrons nous conscience que le "fric" n'est pas une finalité, mais l'un des modestes moyens de “faire”, dans un contexte restreint, en l'espèce, celui de la société occidentale qui se meurt ? Quand nous mettrons-nous à l'écoute et au partage avec toutes les personnes et sociétés du globe ? 

Quand regarderons-nous chaque humain comme un "autre soi-même" ? Quand réaliserons-nous que la richesse est celle de la sérénité dans le vivre ensemble, dans la solidarité retrouvée parce qu'elle nous rend forts et efficaces ?

Quand comprendrons-nous enfin que la richesse est celle des connaissances, des sagesses, des consciences ? Quand réaliserons-nous que la finalité de l'humanité est le développement personnel et collectif dans la qualité du vivre ensemble ?

Quand réaliserons-nous que nos regards sont biaisés, corrompus, handicapés ? Quand deviendrons-nous sages ?... voire simplement des adultes responsables et heureux par nous-mêmes ? Quand ?... Quand nous aurons enfin compris ce qu'est notre humanité et son ancrage dans l'univers !

Jean-Marc SAURET

Le mardi 8 décembre 2020



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