"Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute la puissance de notre pensée ! " Après avoir durant des années posté ici réflexions et conseils sur le management des organisations, je livre aujourd'hui une vision de la réalité, au plus profond de soi même sur l'être et l'univers. Profitez ! Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en indiquer chaque fois la source et de ne pas en faire commerce.

Rationalité et sensationnel

Pendant ce confinement, quand je sors faire quelques courses de provisions, je vois ces rues quasi désertes et je me replonge dans les années soixante où, à cette période de l'année, il n'y avait pas plus de voitures et de passants dans les rues, où la pollution était peu de chose aussi, où les gens "habitaient" chez eux, où seulement la moitié de la population allait au travail, où le domicile était un grand lieu de vie. Ce qui était raisonnable il y a  plus de cinquante ans, est sensationnel aujourd'hui...
Pourtant, ce titre pourrait paraître ambigu si nous ne précisions pas chacun de ces termes, du moins ce que nous en entendons. Si le premier, la rationalité, ne semble pas offrir de marges à son sens profond (le rapport à la raison et son usage comme outil de connaissance), il n'en va pas de même pour le sensationnel. Celui-ci est communément utilisé pour exprimer ce qui nous surprend, ce qui émerveille nos sens par son intensité, sa dimension, sa démesure, son exception. Et pourtant, le mot ne nous donne qu'un élément. Il précise seulement ce par quoi nous "attrapons" les choses : par les sensations. C'est tout, et c'est évidemment essentiel...
En effet, il y a d'une part les choses que nous comprenons et démontrons par notre réflexion. Mais il y a, d'autre part, celles qui nous "attrapent", et littéralement nous saisissent par l'émotion. Nous sommes bien là dans le domaine des "ressentis", et des effets qu'ils  produisent en nous. 
Nous ne saurions pas expliquer la beauté d'un coucher de soleil, mais nous l'admirons. De même, pour certaines choses, nous "manquons de mots" pour en parler. C'est justement cela qui est en question dans l'atteinte d'un "au delà des mots".
Comme je l'ai déjà évoqué, le monde nous apparaît, voire nous marque et se donne à voir, par les deux voies de notre conscience : la raison et l'intuition. D'autres avant nous en ont exprimé l'importance dans nos vies. Ainsi, Albert Einstein disait avoir "vu" les choses avant de les comprendre, les avoir littéralement, "imaginées". Il disait même en avoir eu l'intuition.
Le mathématicien Henri Poincaré avait indiq, sur la base de son expérience, que "c'est par l'intuition que l'on trouve. C'est par la déduction que l'on prouve."
J'ai développé plus avant comment l'intuition nous "révélait" des choses qui, à l'usage, devenaient des connaissances. Nous avons vu précédemment comment la voie de la méditation nous permettait un accès ouvert au monde par l'intuition, et comment la raison nous permet d'en faire la démonstration. Nous savons que l'évolution des sciences a besoin de ces deux jambes pour se faufiler dans le réel.
Les cultures, dans le monde, relèvent plus ou moins de l'une ou de l'autre de ces voies. Nous arrivons à un temps, dans ce monde occidental, où nous avons besoin des deux. Mais pourquoi ?
Parce que notre société est "malade du sens". Nous pouvons en décrire quelques symptômes. Les enseignants se rendent compte de leur relative incapacité à développer et transmettre la pratique du raisonnement comme voie de connaissance. Nous constatons par ailleurs que le quotient intellectuel est en baisse dans nos populations. Nous voyons que nos sociétés, dans leur développement postmoderne de surconsommation, ont lâché la conscience du monde pour se fondre dans sa jouissance. Nous savons bien, à cet effet, que jouir n'est pas le plaisir, mais l'idée que l'on s'en fait au contact d'un objet, d'une situation. Nous avons déjà traité de tout cela.
Le grand besoin, en l'espèce, consiste à retrouver un certain équilibre entre raison et sensations. Le psychiatre et auteur Christophe André répond à la question du "pourquoi la méditation s'est-elle développée ces trente dernières années dans le monde occidental" par cette remarque : "la digitalisation nous prive de ce contact habituel avec le réel. Elle nous met à distance du monde et de nous-même. Il vient un moment où, intuitivement, on s'en rend compte. Nous avons un besoin crucial de nous retrouver avec nous-même". Il cite alors le philosophe et poète du dix-neuvième siècle, Friedrich Hölderlin : "Là où croît le péril, croît aussi ce qui (nous en) sauve."
Et c'est une aubaine que l'on nous cite ce penseur et auteur, parce que justement il est un de ces personnages qui marchent dans le réel sur les deux jambes : la raison, avec une réelle recherche logique, et l'émotion à travers les poèmes qui ont jalonné son œuvre. Hölderlin est repéré pour cette capacité à joindre l'expression sensible à la démonstration logique, et vice-versa (je m'en réfère à l'analyse critique que fit Heidegger de sa posture).
Pour ma part, combien de fois ai-je reçu cette réflexion : "Tu ne devrais pas mélanger le sociologue et le troubadour !" J'avoue m'y être longtemps soumis jusqu'à ce que, ma vie professionnelle terminée, je fus à même de comprendre que cette séparation était non seulement idiote mais en plus contre-productive (quoi que confortable d'un simple point de vu communicationnel dans la profession).
Méditant sur ce clivage, il m'apparut bientôt qu'il était non seulement contre nature, mais aussi contre-productif, sinon délétère. En effet, si le sociologue veut comprendre le monde, le poète troubadour le ressent et veut aussi le raconter à sa manière. Les deux étaient bien les deux jambes dont j'avais besoin pour poursuivre la mission qui s'imposait à moi : développer un regard critique et constructif sur le monde pour contribuer à ce qu'émergent enfin de nouvelles solutions. Ma démarche était bien de même nature auprès des gens qui me demandaient conseil.
Il en va de même, quand j'écoute les chroniques du philosophe et enseignant Clément Victorovitch. Son décryptage de la rhétorique de discours publics, révèle une partition entre la technique (et donc le domaine du rationnel), et la part "artistique", c'est-à-dire émotionnelle et esthétique dans l'argumentation.
Pour convaincre, dit-il, "ce n'est pas de manipuler, faut-il encore être vrai dans son discours. Et ça, ça ne se résout pas dans des techniques ou des équations".
Alors, pour nous-même et notre développement vers la connaissance, soumettons ces éléments à l'épreuve des faits. Car si nous ne pouvons lâcher la raison au risque de n'être pas "crédibles", nous ne lâcherons pas non plus nos sensations…
C'est bien à ce moment là que nous risquons manifestement de "tomber à côté de la plaque", et donc à côté du vrai, du réel.
Alors, je prend mon sac à provision, je me rédige à moi-même une hallucinante autorisation de sortie, je tourne la poignée de la porte d'entrée, devenue porte de sortie. L'émotion me gagne dans un geste devenu exceptionnel et si dérisoire il y a seulement un petit mois devenu si long... Les représentations qui me gagnent sont faite de logique sanitaire et d'anachronisme social, une sorte de contre-ordinaire. Est-il raisonnable de ressentir de telles sensations ? Mon rapport à mon espace ordinaire, ce qu'est mon espace vital, mon rapport aux autres et à moi même, changent par l'évolution radicale d'un contexte, raisonnable et sensationnel à la fois.
Jean-Marc SAURET
Le mardi 7 avril 2020


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