En
ces temps compliqués, nous voyons que nous avons le temps de penser, d'analyser,
voire de contempler, de chercher du sens, à comprendre les choses.
Alors, certains disent que cette crise est peut-être mal gérée, voire que le
confinement est mal managé. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Voyons de plus prés.
Nous
avons l'habitude d'utiliser indifféremment les deux termes de
gestion et de management dans un même champ, celui
de la dynamique des organisations. Pourtant, si nous avons deux mots
distincts, ce n'est pas pour rien. Effectivement, quoi que nous en
ayons fait, ils ne sous-tendent pas la même réalité. Alors, jetons
un œil sur leurs étymologies respectives.
Tous
les dictionnaires étymologiques s'accordent à dire que le terme de
gestion est issu du mot latin ''gestio'' (gestium, gerere) qui
renvoie à la notion d'exécution. Il a le sens de porter, d'où le
sens de gestation et de toute la chaîne d'actes qui y est associée.
Nous partons, en l’espèce, de la “fabrication”, à
l’expulsion, en d’autres termes, à la naissance.
Cette
même notion concerne aussi toutes les fonctions des... intestins !
Cette même source a aussi donné le mot de ''gester'' (faire,
exécuter), en ancien français. C’est aussi de là que partira
notre terme ''geste'' et ses dérivés.
Gérer
renvoie donc au “faire”, et à l'exécution. De la même façon,
la gestion des affaires (comptabilité, commerces et investissement)
se retrouve dans la mise en œuvre de ressources pour atteindre les
objectifs fixés. Il n'en va pas exactement de même pour le terme de
management. Issu de l'expression latine ''manu agirer'' (faire à la
main), il va porter des développements de sens assez singuliers.
Nous
l'utilisons actuellement dans son acception anglo-saxonne où il
porte le sens de ''se débrouiller'', ou ''faire avec''. Il contient
cette notion de ''bricolage'' et d'adaptation qui correspond bien à
cette culture, surtout dans sa déclinaison américaine.
Il
a donné en italien le mot polysémique ''manegiare'' et les mots
français de ménage et de manège. Les notions d’exécution, de
routines, et de cycles, y sont bien présentes.
Mais
revenons un instant au très intéressant
mot italien. Il y a trois sens particuliers bien éclairants, plus
une particularité linguistique tout à fait originale que nous
allons voir.
Dans
l'expression
''maneggiare la spada'' (manier l’épée) ou ''maneggiare il
coltello'' (jouer du couteau), nous retrouvons le sens premier du
''faire à la main''. Ces éléments renvoient à une expertise, à
une habileté, à un savoir acquis singulier.
Par
ailleurs,
l'expression ''maneggiare una faccenda'' (conduire une affaire) ou
encore ''maneggiare soldi'' (brasser l'argent), renvoie à une
compétence de gestion, et surtout à l'intelligence, qui permet de
le “bien faire”. On y retrouve aussi le sens de ''manipuler'',
comme dans l'expression ''maneggiare il mercato'' (''manipuler'' le
marché).
Reste
l'expression ''manegiare un cavallo'' (conduire, dresser un cheval).
Celle-ci convoque la notion de couple ''manager – managé''. Elle
pose la question d'une relation interactive entre les parties. Nous
voilà insensiblement amenés à l’essentiel : c’est à dire la
connaissance de l'autre. A partir de là, nous voici dans
l’obligation de porter une attention toute particulière, à la
“conscience de la complémentarité”, et plus globalement à
l’altérité.
Le cavalier sait qu'il a besoin de sa monture pour réaliser ce qu'il
veut ou a à faire. Il ne peut en aucun cas le réaliser tout seul.
Par exemple, dans un concours d'obstacles, la situation est claire.
Le
cheval, de son côté, fera (ou pas), une promenade sur la piste sans
autre forme de procès... Mais le couple “cavalier-cheval”, peut
aussi prendre un plaisir réciproque dans la co-construction. Il y a
alors là tout pour atteindre la performence.
Et
puis, il y a cette singularité linguistique : le verbe ''manegiare''
est transitif en italien, et l'expression ''manegiarsi'' signifie
''s'évertuer à''... Intéressant, non ?
Ainsi,
autant le terme de gestion relève d'une conception mécaniste des
choses, autant le mot management relève, lui, d'une conception
organique et vivante de ces mêmes choses. Cette acception est donc
tout à fait proche du concept d'humanisme.
Dans
une approche de ce type, ''l'autre'' est même bien plus qu'un
partenaire. Il est une ''intelligence autonome'', créatrice et
contradictoire, invitée dans le débat pour cela. Cette intelligence
y est invitée justement par ce qu’elle apporte mais également,
pour qu'elle apporte en l’espèce, toute cette richesse
(démultipliée), qui se développe dans l'interaction.
La
gestion s'en moque : elle est simplement comptable. ''L'autre'' n'y
est considéré que comme un outil, un “simple” moyen. Toute
l'intelligence investie dans la réalisation n'est que celle du
''Patron'', sorte de ''sachant'' réputé “supérieur”, mais
sourd et aveugle. Dans ce cas, la gestion se coupe définitivement un
bras. Ce “choix”, fréquent, reste bien handicapant pour
atteindre le meilleur résultat. Le management, par définition est
donc bien un humanisme comme nous l'indiquions en 2014*.
Nous
avions montré alors en quoi l'humanisme était efficace en termes de
management, dans la mesure où, justement, une organisation est faite
d'humains réfléchissants. Dans ces conditions, ce ''partenariat''
dont relève le management ne peut qu’être le bienvenu.
Nous
avons montré en 2017, dans ''Management Humaniste - les raisons de
la métamorphose'', que ce management là était devenu
incontournable avec l'évolution sociétale.
Nous
pouvons voir, à travers tous les articles de ce blog, qu'il est
aussi incontournable dans le développement de soi, et que ce dernier
est tout aussi indispensable à la construction d'un management
efficient.
Alors,
suis-je en train de dire qu'une société efficiente est une
organisation sans chef ? ...où tous et chacun sont à “considérer”
comme des personnes libres et efficientes ? Il semblerait bien...
Alors,
c’est dans ces conditions que chaque individu apportera son
intelligence et ses savoirs au service d'un objectif commun, et ce
dans l'écoute et le respect de chacun. Ce n'est peut-être que ça,
le management, voire tout ça ! Mais la
réponse appartient en pratique à chacun…
Jean-Marc SAURET
Le mardi 31 mars 2020
* Chroniques
pour un management humaniste – Vers l’autonomie fertile.
Collection Logiques Sociales. L’Harmattan, Paris 2014
Lire aussi : "Le management, une question de sens, de sens et de sens"
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