Le
djihadisme est un mouvement de conviction qui déferle sur nos
places, nos plages, nos gares, nos ponts, nos rues, nos petits écrans
avec une violence insupportable. Nous tentons de le réduire par la
même violence et ça ne marche pas. On aurait même l'impression que
ce type de combat le renforcerait, comme si de rentrer dans ce contre
combat les rassurait, les légitimait, leur donnait un rôle dans ce
rapport d'oppositions radicales. Il est vrai, et nous le savons bien
pour l'avoir vécu dans nos résistances à l'envahisseur, que le
martyre génère des vocations. On a donc l'impression que le
combattre le justifierait, que ce serait entrer dans sa logique. Ils
ont pris l'occident moderne en adversaire et s'il se défend il est donc bien cet adversaire. Le combat nourrit le combat. Est-ce bien là la
voie de salut, propre à la résolution du conflit ? Alors, pourquoi, dans ces conditions, ne pas prendre comme référence, une méthode pragmatique à la Bapu Gandhi ?
De
quoi s'agit-il ? Gandhi a eu pour son projet ce questionnement
pragmatique :
-
Que voulons nous ? L'indépendance !
-
Qui la détient ? L'anglais !
-
Si je le combas, qui est le plus fort ? L'anglais !
-
Donc l'anglais n'est pas un ennemi, mais notre partenaire vers notre
succès d'indépendance !
Il
y a vingt cinq ans, Jacques SEGOT, alors responsable de la qualité
dans le groupe la Poste et enseignant en management à l'école
militaire de Paris, me dit : "Sais-tu pourquoi nous avons gagné
la guerre du golfe (la première, donc) ?"... "Parce
que nous avons utilisé notre méthode militaire de management, à
savoir ne pas répondre à un ordre mais d'abord comprendre depuis
quel environnement quelque chose nous est demandé, depuis quelle
vision d'intérêt. Il ne convient pas, en l’espèce, de “ donner un ordre mais, de voir dans quel contexte local il sera reçu”, et à partir de là, “ alors parler et agir en fonction"
...Et
donc ? demandais-je.
-
Il faut d'abord comprendre comment l'autre nous voit et à quoi il
s'attend. Nous agissons ensuite en fonction. Les irakiens pensaient
que nous allions faire un débarquement. Quand nous l'avons compris,
nous avons installé des navires montrant bien que c'était bien cela que nous allions faire, renforçant ainsi leurs représentation et
croyance sur la situation. Il ont donc construit un rempart
imprenable face à la mer... et nous sommes arrivés par la terre,
transversalement sur leurs lignes de défense.
Pour
se défendre de comportements de quelques-uns, il nous faut bien les
comprendre, comprendre ce qui est important pour eux, leur
fondamental, leurs fondements, leur "sacré".
Comment
les djihadistes voient-ils le monde ? Ils sont les purs, les vrais,
ceux qui sont dans la sainte droiture de la vérité et nous sommes
des agresseurs qui depuis les croisades les méprisent, les
violentent, les insultent, tentant de les réduire à rien. Ils en
sont convaincus. C'est leur croyance, leur fondement, leur sacré.
Pouvons nous leur faire entendre raison ? Cela ne sert à rien.
Imaginez les repas de familles quand le sujet politique ou religieux
arrive entre la poire et le fromage, souvent avec les digestifs...
Personne n'écoute personne, lâchant des assertions et
invectives dans le désordre et le chaos, dans l'agacement général
à la limite de l'insupportable. Cela ne sert à rien. Bref,
convaincre pouvant s'écrire en deux mots (con-vaincre), il y a des
débats d'où ne surgie pas la lumière.
Alors,
le tonton Georges mets tout le monde d'accord en annonçant qu'il
fêtera son anniversaire de mariage avec son aimée l'an
prochain à pareille date, que tout le monde est invité. Les
discussions cessent brutalement, les applaudissements arrivent et les
demandes d'informations complémentaires fusent avec des propositions
de tous ordres pour l'organisation et l’hébergement, le cadeau
commun ou la cagnotte...
Que
se passe-t-il ? Autour d'un intérêt commun, les gens ajustent leurs
visions de l'événement et cela se fait dans la perspective d'un
moment heureux. Chacun alors met ses préoccupations, ses priorités
et ceci se passe dans une excitation de bonne humeur. Pourtant, on
vient de se rendre compte que les intérêts et préoccupations
étaient touts différents, voire contradictoires, mais l'envie de
passer un moment futur heureux a ouvert le dialogue et égalisé les
divergences.
C'est
bien tout cela qui est en cause dans la déconstruction d'un
comportement djihadiste, lequel ne convient à personne. Nous savons que
répondre à la violence par la violence ne fait qu'installer
davantage le conflit en l'enracinant. Il nous devient urgent de connaître le sacré
de ces gens-là, et de le poser sur la table, d'en faire quelque
chose. Alors, quel est-il ? Pour ceux ayant grandi chez nous, probablement, et notamment, leurs “déceptions”, et le mot est faible, dans un monde où ils ne sont pas gagnants fait creuset.
L'histoire djihadiste qu'ils invoquent est un réceptacle de
rancœurs et de frustrations et ce sont ces dernières qui constituent les
véritables raisons de leurs combats. Voilà pourquoi se retrouvent
parmi les terroristes, des voyous, des malfrats et autres trafiquants.
Ce qui, en 2005, faisait l'expression de cet état
rebelle étaient les violences urbaines avec leurs concours
de voitures brûlées.
Actuellement,
ce qui met en forme l'expression de leurs désirs de revanche, c'est le mythe de
raison d'être qui vient occuper leur imaginaire : le djihad ! Il
prend toute la place du sens, efface toutes réflexions de raison.
Toute une mythologie paradisiaque vient décorer et alimenter le
fantasme, répondre à toutes les questions de sens, à tous les
doutes. Ainsi donc, la question de fond qui est à déconstruire
et reconstruire, revient à cette question fondamentale et de spiritualité
: "Que faisons nous là dans le monde et pour quoi faire ?"
C'est
là toute notre raison d'être, d'agir, d'exister, de se regarder
dans une glace, de se rassembler ou pas, de vivre ensemble, etc... On
ne dé-radicalise pas, ni rien ni personne dans la contrainte et le
raisonnement. Ce me semble du même ordre que les camps de
rééducation et autres goulags des systèmes communistes. Pour mieux
faire, on accueille une situation dont la vacuité de sens a été
comblée par une représentation sociale d'un groupe marginal. On a
donc à déconstruire et reconstruire (proposer) un sens à notre
"être là", à notre vivre ensemble... et comme nous en
sommes fort dépourvus, nous ne savons pas quoi faire. Comment
imaginer donner quelque chose que l'on n'a pas ? Alors nous
réagissons de façon épidermique comme dans nos repas de
famille.
Mais
la question de fond reste : "Pourquoi sommes nous là et pour y
faire quoi ?". Nos réponses sociétales sont défaillantes,
désastreuses, désobligeantes, frustrantes, inopérantes. Combattre
le djihadisme passe par répondre à ce manque de sens comblé par
une idéologie sectaire. Nous n'avons pas à débattre du pourquoi ni
du comment nous en sommes arrivés là mais à donner à voir ce sens
d'être là, pour y faire quoi... Certains personnages ont ce sens
chevillé au corps. Ils sont devenus des héros et je pense à nombre
de grands leaders comme Nelson Mandela, l'abbé Pierre, Martin Luther
King, Mère Térésa ou Gandhi. Dans des circonstances singulières,
pour des objectifs et sous des contraintes particulières, d'autres
ont donné par les mots et l'exemple un sens à l'action, comme
Charles De Gaulle, Jean Moulin, François Villon, Boris Vian et bien
d'autres. Ils ont fait office de leaders emblématiques, de porteurs
de sens. Mais ils ne font pas la réponse aujourd'hui. C'est bien à nous
de la donner.
Dé-radicaliser
commence donc par se soigner soi-même, préciser le sens de notre
raison d'être, de celle de notre civilisation, de notre sens à la
vie, de la société à laquelle nous participons. Le djihadisme
s'est installé dans une vacuité propre à notre société d'ultra
consommation, fabricante de fausses étoiles polaires et de
frustrations. J'en ai déjà longuement disserté. Le djihadisme des
saoudiens ou autres qataris n'est pas celui né dans nos villes,
nos campagnes et nos cités. Ce dernier est né dans le mensonge de
promesses de bonheur par la consommation, une promesse inaccessible
comme si la jouissance était facilement à portée de main, juste là
pour faire dépenser trois sous et même beaucoup plus.
Alors
travaillons ensemble, tous ensemble, à construire cette raison
d'être là, cette finalité de notre société. Que voulons nous,
pour nous et nos enfants ? Que voulons-nous être ? Quels sont nos
fondamentaux du bonheur et du vivre ensemble ? Vers où nous mène
notre société ? Le dix-neuvième siècle inventait la religions
scientifique du progrès, un saint-simonisme qui nous promettait le
temps des cerises. Le vingtième siècle nous a promis l’avènement
de la liberté et de l'égalité républicaine. Où est la
célébration fraternelle et universelle des droits de l'homme
formalisée à l'aube du vingt et unième siècle ? Systèmes
politiques ou organisationnels, en entreprise ou dans la vie
courante, ne nous y invitent pas. Saurons-nous avoir ce pragmatisme d'avoir où aller, de le prendre en charge et, pour le partager, de le dire et haut et fort et enfin de pouvoir en être fiers ? Alors, prenons la main ! Il en va
de notre survie, de notre paix, de notre bonheur et de celui de nos
enfants.
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 22 août 2017
Excellent article, mon cher Jean-Marc, qui fait chaud au coeur. Le navire France est à l'abandon sur les eaux des marchés qui sont censés faire loi. Une civilisation à l'américaine ne comble pas nos aspirations sociales et encore moins celles de notre coeur. Le matérialisme apatride auquel on veut nous convertir à tout prix tue notre âme. Nous ne nous relèverons qu'à la condition de retrouver notre authenticité. Et celle-ci ouvrira la porte que tu nous montres.
RépondreSupprimerBien vu, l'ami !
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