Bien des managers, et même des gens qui ne managent
pas, disent, à propos du management, toute la crainte qu'ils en
ont ! Un peu comme si son exercice apportait en
l’espèce, complexité et soucis importants. Bien des gens parlent de la
solitude du manager, de la forte responsabilité attachée à
la fonction. Fréquemment, les mêmes (ou d’autres), font état des angoisses
de la page blanche face à des problématiques nouvelles, quand il ne s’agit pas de formes innovantes, perçues obscures parce qu’inconnues ou ignorées. J'avais,
à ce sujet, écrit dans l'introduction de mon livre "Le management
post-moderne, comprendre, concevoir, communiquer" (Col. Dynamiques
d'entreprises, L'Harmattan, 2003) qu'il s'agissait là de trois contraintes
du métier et je les avais mises en scène.
J'évoquais la solitude du coureur de fond (chère à Montherlant) car aucuns de ses
collaborateurs n'indiquera au manager ce qu'il est sensé voir par lui-même, ce
qu'il est sensé connaître a priori puisqu'il est le "patron".
J'évoquais aussi l'impérieuse nécessité de résultat du boxeur, lequel ne monte
pas sur le ring pour "faire au moins second". Toute la suite de sa
carrière est conditionnée par le résultat. J'évoquais aussi l'angoisse de la page blanche du
créateur, de l'écrivain qui, le matin, se retrouve seul avec lui-même, se
demandant par quoi il allait commencer... Voilà autant d'angoisses qui se
nourrissent d'elles-mêmes.
Pourtant, ce n'est pas de cela qu'évoquent les ouvrages sur le
management, préférant mettre en avant, et de préférence, la gestion des organisations, comme si la
gestion des moyens allait résoudre toutes les difficultés. Les managers le
savent bien et rechignent à écouter les gourous. Avec plusieurs intervenants et
patrons, dans le cadre d'associations et de colloques, nous nous sommes accordés à
dire que le management est une science (humaine) dont la mise en œuvre est un
art. Quelles sont les champs-sources de la recherche en management ? Ce sont
les sciences humaines et les sciences de gestion. J'avais eu la curieuse
sensation, quand j'ai commencé à enseigner en université et grandes écoles, que
ces deux champs là, malgré une méfiance mutuelle, avaient abouti à dire la même
chose : celle justement que nous disions là.
J'ai croisé de vieux briscards du management, des anciens qui me "donnaient la leçon" avec une tranquillité et une clairvoyance étonnante. L'un
d'eux me disait que quand il arrivait à la tête d'un de ces grands centres de
tri démesurés que l'on connaissait dans les années quatre-vingt, il regardait
en premier lieu les plaques d'immatriculation sur le parking du centre. Si
elles étaient toutes du département, il savait qu'il pouvait entamer des
changements organisationnels nécessaires. En revanche, si elles témoignaient
d'origines plus lointaines, alors les gens s'étaient arrangées avec un mode de
vie d'équilibriste, et que, dans ces conditions, tout changement poserait rapidement problème.
Que m'indiquaient ces managers ? C'est qu'on ne fait pas sans les gens.
Que l'organisation n'est pas mathématique. Que l'environnement personnel de
chaque employé pèse sur l'organisation. Que chaque employé est doté d'une
rationalité non pas limitée, comme l'ont pu dire certains penseurs du
management, mais d'une rationalité (ou "raison") bien singulière et réelle, nourrie à l'aune des
préoccupations de chacun.
J'ai entendu des dirigeants exprimer que les affaires personnelles
n'ont rien à faire dans l'entreprise, que leurs employés devaient les laisser à
la porte de l'entreprise. Je leur demandais alors ce que faisaient leurs
épouses, leurs enfants, où en étaient leurs parents, quel était leur propre
hobby et sa place dans leur vie. Ils avaient tous à raconter quelque chose dont
ils tenaient compte dans l'organisation de leur vie au travail...
J'ai rencontré des dirigeants que je n'ai pas conseillé et pour
cause : ils affichaient une certitude de jugement qui les conduisaient à
décider seul et de tout, dans leur bureau. Certains de penser juste et vrai,
toutes leurs difficultés résidaient dans la mise en place de leur magnifique
projet, de leur magnifique organisation. Je dis un jour à l'un d'eux, qui me
demandais ce que j'en pensais, que "Les décisions prises en laboratoire
vaccinent les collaborateurs".
J’entendis l'un de ces dirigeants m'indiquer que le problème
venait du fait que les collaborateurs n'étaient pas impliqués dans
l'entreprise, qu'ils avaient tous "un pied dehors", qu'ils ne
s'engageaient pas. Je lui demandais alors ce qu'il faisait pour qu'ils se sentent
chez eux, pour qu'ils soient fiers de bosser avec lui. "On ne va pas les
dorloter !" me répondit-il un peu agacé.
Je demandais à l'un de ces "managers-certains" si ses
collaborateurs, ses employés, ses fournisseurs, savaient ce qu'ils servaient en
bossant pour lui. Il n'a pas eu l'air de bien comprendre ma question.
J'ai rencontré aussi des managers à l'écoute de "leurs
gens" (hommes ou femmes) et que je qualifierait d'humanistes et
pragmatiques. Ceux-là savaient pertinemment qu'on ne raisonne pas les gens
mais qu'on les rencontre. Ils savaient que l'organisation est une
assemblée de gens partagés entre un but commun et des intérêts personnels,
bousculés par des contraintes vécues différemment pas les uns et par les
autres, et pour lesquelles chacun avait des solutions, des réponses différentes
et, la plus part du temps, fort pertinentes.
Il savaient que l'intelligence était "sur le terrain",
que les intérêts se traitaient et "s'arrangeaient" à ce niveaux, que
le but commun était totalement de leur propre ressort de dirigeant, qu'ils
étaient les garants de la philosophie de l'organisation. Ils témoignaient peu
ou prou de la vision de leur entreprise, ou organisation, comme d'une sorte
d'immense famille pleine d'émotions, d'affections, de haines et de violences,
de douceurs et surtout d'intelligences pratiques. Ils la savaient être un
"organisme" vivant. Ils savaient que l'harmonie de l'ensemble faisait
dynamique pour l'organisation, et que c'était là le cœur de leur job.
Ceux-là m'ont donné la leçon et je l'ai prise et apprise avec intérêt. Le
management est un art bien simple, dès lors que l'on aime les gens et le
travail bien fait. Dès lors, tout le reste va de soi. Ce ne sont pas les
sphères personnelles qu'il faut laisser à la porte de l'entreprise, mais les
ego de dirigeants et les parlottes de "sachants". Cela parait, a priori, plus facile à dire qu'à faire, et pourtant il ne s'agit que de faire évoluer son regard sur soi, son organisation et sur ceux qui la vivent et la font vivre. Simple, non ?...
Jean-Marc SAURET
publié le mardi 4 avril 2017
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