L'idée
que le meilleur gagne forcément est une illusion dont il faudra se défaire
si l'on veut vivre normalement, tranquilles et en paix. "Que le
meilleur gagne !" nous dit l'adage en forme d'injonction à la
loyauté, au fair-play. C'est pourtant cette idée, que l'on retrouve en toile de
fond des parties de jeux, et qui fait le "charme" de nombres de
matchs sportifs. Les participants s'affrontent et se ré-affrontent au fils
des mois et des ans, cherchant à chaque fois, non pas à vérifier s'ils sont les
meilleurs, mais à tenter le diable pour gagner, et savourer la victoire. Après,
ils décorent leur propre couronne de cette illusion qu'ils sont les meilleurs,
ce que les enchaînements de victoires prouveraient.
L'illusion sert de
garantie au bon déroulement du jeu, avec ce cadre réputé rigoureux. Car ce qui
est avant tout "hors-jeu" (et la règle existe dans tous les jeux)
c'est la tricherie qui permettrait "au moins fort" de gagner
tout de même. Mais il n'y a pas que la tricherie pour gagner contre le cours
des choses, contre le cours du jeu. C'est aussi cela qui rend la partie
incertaine, haletante, palpitante. C'est d’ailleurs ce qui fait le piment
de certaines compétitions, comme la coupe de France de foot, où, sur un
match, tous peuvent l'emporter et atteindre le tour suivant.
Ainsi se présente en
filigrane le fait que le meilleur ne gagne pas forcément. C'est dans ces
conditions que la logique s'inverse : c'est celui qui gagnera qui sera donc...
le meilleur... Et pourtant !...
De ce fait, qu'il s'agisse
de concours, d'examens ou de compétitions, tous les participants, et leurs
arbitres, semblent convaincus que celui ou celle qui gagnera sera le ou la
meilleure. Ils sont tous d'ailleurs bien persuadés que le concours servirait
expressément à cela : révéler le meilleur. Pourtant, dans toutes ces
compétitions sportives ou professionnelles, nous pouvons voir des résultats
surprenants, comme invalidant la croyance. Alors le doute s'installe...
Entrez dans les
entreprises, dans les organisations et regardez qui dirige, qui monte en
promotion, à qui l'on confie les responsabilités, les chantiers sensibles, les
projets d'avenir. Sont-ce les meilleurs ? La logique le voudrait, et la culture
le proclame. En réalité, et de fait, les logiques de corps, de réseaux,
d'affinités, prennent le pas et priment, en "faisant" la décision.
Anciens de grandes écoles, disciples de tel ou tel dirigeant, colorés
politiquement ou pas, syndicalement ou pas, membres de clubs sportifs ou
autres, sont dans un entre soi qui participe, voire constitue des réseaux
forts. Ils sont les couloirs du pouvoir. Une affiliation sera bénéfique ici, et
rédhibitoire ailleurs. Une allégeance, un apport d'intérêt, une relation
tierce, peuvent faire office d'adoubement et, le jour des choix, la personne se
retrouve "sous le robinet". Pendant ce temps-là, le commun des
mortels pense que la qualité de son travail l’amènera immanquablement vers
des sommets prometteurs. Douce illusion... La valeur du travail est tout à fait
secondaire dans les échelles de pouvoir. Cela ne sert qu'à l'exécution des
tâches.
De quoi s'agit-il ? Comme
dans toute partie de jeux, l'arbitre et ses enjeux (être impartial et
incorruptible ou être du bon côté des retombées) remplissent leurs offices.
mais d'autres facteurs sont aussi à considérer : le temps, le climat, le charme
et la séduction, l'environnement, le regard que chaque joueur porte sur la
partie, sur les enjeux. On y ajoutera la vision des coachs, la logique du
public, tous ces éléments, et bien d'autres variables s'invitent encore dans
l'issue de la partie. C'est dire le caractère multifactoriel du processus...
Une partie comporte
tellement d'aléas, et "d'incertitudes", qu'il devient totalement
aléatoire, sinon illusoire, d'affirmer que le meilleur gagne. Cela ne doit pas
nous inciter à gémir ! Il faut juste savoir que "c'est comme ça", que
le fantasme de l'intégrité du jeu est bon pour la vitrine, mais que ce n'est
pas lui que l'on retrouve dans la réalité profonde de la partie.
Je ne dis pas non plus que
le travail et la rigueur ne servent à rien. Je dis seulement qu'ils ne sont pas
décisifs. Je ne dis pas non plus que la tricherie et le dopage pèsent
définitivement, car sans le travail et d'autres variables aléatoires, ils
s’avéreraient totalement insuffisants. Je dis juste que le meilleur ne gagne
pas forcément et cette seule qualité n'emporte pas la décision, loin de là.
Ici, comme dans tout, il n'y a pas de logique mono-causale. C'est toujours et à
chaque fois un faisceau de cause qui fait la décision, et dans ce
faisceau, il y a vraiment de tout...
Mais poussons le bouchon
un peu plus loin. Qu'est-ce qu'être le meilleur ? Est-ce seulement obtenir le
meilleur résultat ?... ou est-ce faire preuve des meilleures qualités pour
réussir à "ce" moment ?...ou seulement disposer des meilleures qualités
? Tout le monde à ce souvenir du propos de Jacques Chirac à l'encontre d'Alain
Juppé à l'occasion des candidatures à la présidence de l'UMP : "Il
est le meilleur d'entre nous !". On se souvient du tollé qu'avait
soulevé cette phrase dans le milieu de sa classe d'âge.
Que voulait-il dire et
qu'avons-nous compris ? Pourquoi cette effervescence ? Parce qu'il y
avait, dans cette assertion, le poids du "réel". Le dire, c'est
affirmer que, quoi qu'il se passe et quoi que l'on fasse, les vertus et qualités
du candidat resteront définitivement supérieures à celles des autres
personnes en jeu. C'est l'affirmation qui fait le symptôme et le symptôme qui
fait la réalité. Voilà le fond de la réalité, toujours "temporelle".
Dans cette affirmation là,
ce n'est pas que la comparaison qui est en jeu mais l'affirmation définitive de
la supériorité "essentielle" (par essence) des qualités et potentiels
de la personne. C'est la désignation et l'affirmation définitive de
qualités intrinsèque. C'est le fait que ces qualités soient vécues et lues
comme parties intégrantes, faisant corps avec le sujet, qui rend définitive
l'affirmation. Il s'agit donc bien une lecture sociale du réel, d'une
représentation sociale liée à l'idée que l'on se fait de la personne humaine en
général, et de celle qui est en jeu en particulier : la personne est ici,
vécue socialement comme un réceptacle de compétences et de qualités portant un
potentiel de performances, de succès, de résultats... L'être humain est, dans
ces conditions, limité à un rôle de contenant, une "boite". Voilà le
fond du système.
C'est donc bien
"l'idée de meilleur" qui se confirme comme une illusion sociale.
Rien ne l'installe dans la réalité, sinon sa propre représentation, comme nous
venons le vérifier (ou le contester) dans des parties de jeux. "Le
meilleur" n'est que la couronne de lauriers posée sur la tête des
vainqueurs. Elle est cet indicateur éphémère d'un état social à un instant
"T". Nous confondons ainsi l'état et l'être, l'image de l'occasionnel
avec l'être permanent, voire transcendant, le sujet. Ce "meilleur"
intrinsèque n'existe donc pas. Il n'est qu'une représentation sociale,
l'attribution permanente à quelqu'un d'un instantané, une attribution qui
marche...
A ce propos, il me
souvient l'image d'adversaires du boxeur Mike Tyson, réputé, à l'époque, le
meilleur de sa catégorie, et de loin. Ceux-là devenaient livides à la vue du
"meilleur" montant à son tour sur le ring. L'idée qu'ils se faisaient
de lui prenait le pas sur le réel. Aujourd'hui, dans le coaching sportif, la sophrologie
vient déconstruire ces a priori paralysants. Les coachs sont bien conscients
que ces représentations sont bien et uniquement dans la tête des participants,
que l'illusion est totale mais que c'est bien elle qui s'avère déterminante.
Alors, par le travail de déconstruction, on se défait de ces représentations
handicapantes.
Et nous avons bien raison,
car elles sont bien des porteuses d'illusions, qu'elles soient positives ou
négatives. "Tout est dans la tête", affirment bien des coachs.
"Tout est dans les représentations", enchérissent les
psychosociologues. Et on se souvient de cette phrase célèbre de
l'écrivain Mark Twain : "They didn't
know it was impossible so they did it" ("ils ne
savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait !").
Nous savons donc
maintenant que ce n'est jamais "le meilleur" qui gagne parce que cet
attribut n'est qu'une illusion, un "éphémère". Pour ne plus être
victime de cette illusion, nous ferions mieux de la lâcher. Et pour être
"maîtres du monde", nous aurions avantage à travailler nos
représentations de nous-même et du monde, comme le propose, par exemple, la
sophrologie, ou le coaching issu de la psychosociologie clinique : la
posturologie*.
Jean-Marc SAURET
publié le mardi 18 avril 2017
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