Je rencontrais en 1999, au dernier étage
de la tour de verre au downtown de Pittsburgh (Pennsylvanie), Tom, patron d'une
grande banque assurance américaine. Il me disait : " Pour innover, il n'y
a pas de souci : tout le monde innove... Mais pour corriger ce qui ne marche
pas, c'est une autre histoire. Je dois autoriser et encourager les personnes à
faire ce qu'elles savent faire mais n'osent pas en vertu du respect
des procédures. Est-ce aussi comme ça en France ? ".
Je lui répondais que non, qu'en France,
traditionnellement, les collaborateurs ont tendance à ne pas chercher à innover de peur de marcher
sur les pieds de quelqu'un d'important ou de prendre un risque susceptible de
les exposer, voire de le faire virer. Les gens ont plutôt une certaine inclination à suivre... " Par contre, lui
disais-je, si quelque chose dysfonctionne quelque part, vous, Tom, vous ne
verriez rien et n’en sauriez rien car, avec quatre bouts de ficelles et un peu
d'imagination, les gens font des pontages coronariens pour ne pas
être embêtés ".
Il y a là, dans ce système "D" à la française,
tous les éléments dont nous avons besoin pour comprendre le processus
d’innovation. Bien des sociologues et psychosociologues se sont penchés sur ce
phénomène. Ils en déduisent communément le principe suivant.
Le frottement entre la contrainte et
la nécessité met l'acteur en position de créer une solution. Sans
contrainte ni nécessité, la chaise longue lui suffit… Sa connaissance du
terrain, son vécu de la contrainte, sa vision claire de l'objectif, font qu'il arrange,
bricole, transforme, résout l’écart jusqu'à l'acceptable. Le seul frein à
l’action est l’autorisation à l’autonomie (« Ai-je le droit de faire ou
puis-je le faire sans être inquiété ? »).
Freud disait que le lien social est le
verni indispensable pour vivre ensemble et que la première chose que
tente l'individu serait de le faire craquer... Donc, « résoudre »
serait de notre nature. En effet, depuis la nuit des temps, l'être
humain résout des problèmes pour organiser au mieux son
processus vital. Il "tord" ce qui lui résiste.
Par ailleurs, nous constatons que
l'institution pérennise et structure : c’est là sa fonction première. Elle
inscrit dans le marbre quand l'individu, l'acteur, résiste, s'arrange pour que
ça marche (pour lui-même ou pour le projet…). C’est donc bien du frottement
entre contraintes organisationnelles (lourdeur des procédures, etc.) et besoins
individuel d’atteindre un but « sans frais » que s’inventent les
bonnes pratiques, que le système innove. Nous observons que cet « arrangement »
existe à tous les niveaux de nos organisations…
Ce que peut donc faire l'organisation ou l'institution, c'est ouvrir les espaces d'autonomie et de liberté, baisser les
contrôles au profit des évaluations partagées et ouvrir ainsi des
latitudes. Elle peut aussi s'appuyer sur le déploiement des usages numériques
où les acteurs développent leurs propres espaces d'autonomie, de décision et de
partage des modes de faire. On se souvient du rôles de ces espaces-outils dans
lesdites « révolutions arabes ». Les forums, les Groupes d'Echange de
Pratiques, les réseaux, deviennent dés lors des centres d'innovation.
Un de mes livres est consultable en ligne
et depuis, des outils que j'y décris sont cités, repris avec des
plus values, dans des contributions de consultants et de managers.
L'innovation avance ainsi...
Et ceci n'est pas que d'aujourd'hui : les
anciens systèmes de tri de la Poste, des casiers de tri aux circuits
d'acheminement, l'installation des outils de tri dans les trains, etc. étaient
des inventions des postiers eux-mêmes.
Nous savons aussi que la solution
s’accompagne et chacun écoute l’expert avec attention et critique. C’est comme
ça… Mais, libérer des espaces, ouvrir les usages numériques et accompagner les
réflexions est bien la bonne approche.
Alors, impulser de l’innovation ?
Pour quoi faire ? Les gens seraient ils suffisamment stupides pour ne pas
trouver la meilleure solution pour eux ? Parions sur les intelligences et
installons les espaces sereins utiles.
En un mot, l'innovation ne se décrète ni
ne se dirige, elle se libère...
Jean-Marc SAURET
le jeudi 9 janvier 2014
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