Le biologiste Rupert SHELDRAKE débute son ouvrage « L'âme de la nature » par une anecdote qui m'a interpellé. Il raconte qu'enfant, il avait aperçu dans la ferme familiale une rangée d'arbres bien alignés entremêlés de bouts et barres de métal enchevêtrées. Il avait demandé à son oncle pourquoi ces arbres avaient des barres de fer entre eux. Son oncle lui indiqua qu'il s'agissait d'une ancienne clôture faite de piquets d'osier, lesquels piquets avaient repris vie et étaient devenus des arbres.
Rupert SHELDRAKE dit avoir tiré de cette histoire toute sa démarche de recherche sur le vivant. Il indique ainsi quelques éléments de ses travaux comme, par exemple, des cellules végétales mourantes qui produisent de l'auxine, l'hormone stimulant la croissance et le développement des plantes, paradoxe d'une cellule mourante élaborant des principes de développement.
Cette approche végétale du développement me fait modèle pour penser nos organisations. Si nous pensions qu'elles sont des mécaniques ordinaires, il nous échappera alors qu'elles ont leur vie autonome et que chacun de ses éléments, chaque personne, développe normalement une autonomie fertile qui, même si nous ne l'accueillons pas, fera sa propre route quand même.
Ainsi, il me souvient de ces ouvriers qui développaient des systèmes locaux, des organisations autonomes, pour se faciliter la tâche et mieux réaliser leur travail. Nous savons que l'institution pérennise les choses (structures, modèles, procédures) quand chaque acteur tend à la faire « craqueler » vers de nouvelles pratiques. C'est ce que nous nommons l'innovation.
Nous savons aussi que si nous ne nous en occupons pas, ces systèmes autonomes, faute d'orientation de la part de l'organisation, s'organisent en résistance pour le confort des acteurs qui les produisent. Quoi que fasse l'institution, le phénomène se développe. Ce sera donc soit pour une œuvre commune (insufflée, dirigée, pilotée) soit dans l’intérêt des auteurs.
Ainsi, si l'on accueille la vie autonome des éléments de l'organisation (tout simplement « les gens »), celle ci se développe dans une œuvre commune collectivement retravaillée et pensée. Si, nous n'y pensons pas, eh bien, comme la sagesse agricole le dit : « La nature reprend ses droits ». Ainsi chaque piquet d'osier devient un arbre emportant vos clôtures.
Je comprends mieux, à la lecture de SHELDRAKE ce que SCHOPENHAUER voulait dire, en 1818, par « Le monde comme volonté ». J'ai largement disserté sur la première partie de son ouvrage majeur* peu aperçue, « Le monde comme représentation » qui posait déjà le socle du constructivisme sociologique. Mais cette pulsion de vie développée dans le concept de volonté du vivant nous invite à une prise en compte bien plus large que ce que nos professeurs de philo nous ont restitué.
Nos organisations relèvent bien d'une logique organique. Ne pas prendre cette réalité en compte, continuerait à nous faire rater notre management. Ainsi, cette vie qui va d'elle même, au lieu d'être l'atout majeur et maître, est trop souvent traitée par le management comme une seule résistance à la volonté des décideurs. Peut être ceux-ci se pensent-ils comme les seuls vivants ? Peut être se pensent-ils les propriétaires de l'organisation, les seuls légitimes dépositaires ou représentants, alors qu'ils n'en sont que les serviteurs et les jardiniers.
Bien sûr, cela va sans dire et cette approche, elle aussi, est simple sur le papier, mais, certes, sa mise en action s'accompagne très utilement (cf. Le coaching cognitif).
Jean-Marc SAURET
* Le Monde comme Volonté et comme Représentation (Die Welt als Wille und Vorstellung), Arthur Schopenhauer, publiée pour la première fois chez Brockhaus à Leipzig en 1819
En lisant ton texte, je comprends un peu mieux ton approche sur le constructivisme. Néanmoins il ne m'a pas échappé que "la nature reprend ses droits". Il faut donc bien une orientation aux choses pour celles-ci aillent dans le sens que tu veux leur donner. Et pourtant orienter, c'est déjà perdre de son autonomie et de son libre arbitre. Interessant ton article. A bientôt.
RépondreSupprimerTu écris que trop souvent, les cadres dirigeants oublient qu'ils sont les serviteurs et les jardiniers de l'organisation. C'est effectivement ce que je rencontre souvent depuis le début de ma pratique professionnelle. Ceci nous limite dans les possibilités et idées que collectivement nous aurions intérêt à considérer. Maintenant, il nous reste à passer d'un discours à l'action concrète sur le terrain... et là, il y a de véritables challenges, autant pour les cadres dirigeants que pour les autres acteurs de l'organisation, car c'est un changement majeur de dynamique !
RépondreSupprimerTout à fait, Martin, je partage cette remarque.
RépondreSupprimerC'est le fond d'autres articles sur ce blog comme "La bureaucratie est un vestige" ou encore "Management, un nécessaire retour du gestionnaire à la clinique", ou bien aussi "L'autonomie fertile, un principe en marche". Bien à toi.