Il me souvient de
cette fiction où l’ordinateur du Pentagone tomba en panne. Nombre d’ingénieurs
dédiés analysèrent la situation, réfléchirent aux mécanismes en jeu, refirent
tous les circuits de traitement de l’information sans trouver ce qui empêchait
ce mastodonte de redémarrer. La situation était bloquée. Un administrateur se souvint alors qu’un certain
Lewis Smith, ouvrier de son état, avait, à l’époque, participé à l'installation et au démarrage du monstre. On le rechercha. On le retrouva au fin fond de
l’Arkansas. On affréta un hélicoptère et on alla le chercher.
Arriva alors au
Pentagone un vieux petit bonhomme en salopette bleue. Il chaussait des lunettes
épaisses. Il tourna quelques minutes autour de l’engin, sortit un petit marteau
de sa poche, visa un bord de l’appareil et y appliqua un petit coup sec.
Aussitôt, le mastodonte démarra. Impressionnés, les ingénieurs cherchaient à
comprendre le phénomène, refirent des algorithmes pendant que les
administrateurs demandaient à Lewis Smith de leur adresser sa petite facture.
Celle-ci leur arriva quelques jours après. Elle était d’un montant particulièrement
important. La prestation parut aux gestionnaires tout à fait surfacturée. Ils
demandèrent à Lewis Smith de détailler plus précisément sa facture. Celui-ci
leur répondit instantanément en retour de courrier que le coup de marteau
n’était facturé qu’à un dollar alors que « savoir où donner le coup de
marteau » constituait tout le reste du montant de la facture.
Cette courte parabole
m’indique qu’il y a, dans nos consciences populaires, un écart entre une
approche rationnelle mécaniste des problèmes et une approche pragmatique
organique de ceux-ci. La première approche permet sûrement d’élaborer des
processus, machines, mécaniques complexes. La seconde permet certainement de
les faire fonctionner, peut être parce qu’elle permet de mieux comprendre la dynamique
de la problématique.
Herbert Marcuse dans " l’homme unidimensionnel ", repère le mode
d’une nouvelle pensée positive enfermante qu’il juge totalitaire et répressive.
Il s’agit de ce que nous avons aujourd'hui l’habitude d’indiquer comme
« la pensée unique ». Il s’agit d’un mode de pensée de l’évidence,
qui se décrit comme pragmatique, comme disant la réalité, la décrivant
simplement sous le principe des objets et des faits mesurables. Son modèle est
la démarche scientifique : j’expérimente une situation comme mettre une
casserole d’eau sur le feu et observer qu’à une certaine température l’eau se
mets à bouillir et se transforme en vapeur. J’en tire une loi générale que je
vais vérifier sur le terrain. La dessus, Jacques Lacan aurait prédit que toutes mes vérifications tendront à prouver que
la loi est juste et véritable.
Il s’agit de ce que le biologiste anglais, Rupert
Sheldrake, appelle la pensée mécaniste : elle pense le monde comme une
mécanique régie par les lois de la physiques. Or, nous indique-t-il avec
justesse, le monde n’est pas mécanique mais organique, c’est-à-dire qu'il est fait
d’organes, d’êtres et de vivant, faisant davantage référence à la relation
(interdépendances, co-évolutions, fournisseurs/bénéficiaires), au système (dynamique),
au mieux, impliquant la chimie des choses. Bref, il s’agit du vivant.
Pour illustrer ceci,
Emile Durkheim avait indiqué formellement la différence qu’il voyait, dans le
passage de la « communauté » à la « société »
moderne, entre la solidarité mécanique fondée sur la conscience d’une
identité commune et une solidarité organique fondée sur la division sociale du
travail, laquelle engendre des relations de coopérations et d’interdépendances, voire de dépendances circulaires.
A ce propos, il me souvient aussi
de cet épisode, lors d’une démarche qualité, où je questionnais un technicien
sur la manière dont il obtenait tel chiffre. Il me décrivit un processus
particulièrement complexe. Je lui demandais alors s’il s’y prenait ainsi. Il me
répondit du tac au tac : « Non, j’appelle Mathilde. Elle a les
chiffres. Elle me les donne et je les inscris au tableau... On s’entend bien.
Je lui garde des emballages que nous jetterions. C’est ce qui lui va le mieux
pour ranger ses archives ». Voila un parfait exemple de logique organique.
Autour de la pensée mécaniste, il me revient aussi cette réflexion du prix Nobel de
physique, Ilya Prigogine qui, à partir de son observation de la non
réversibilité des lois en thermodynamique, élabore sa théorie du chaos... Il me
souvient aussi cette réflexion du psychosociologue, Serge Moscovici, qui
annonçait que « les lois de la nature sont celles que la culture lui
trouve » à quoi il ajoutait constater que nous avons tendance à forcer le
monde a entrer dans les modèles que nous nous sommes bâtis pour le comprendre.
« Nous forçons le réel à entrer dans les lois de nos modèles et si ça ne
rentre pas, c’est le monde qui a tort. Tout ce qui n’y entre pas, n’existe donc
pas ». C’est là tout le poids ou la force de cette pensée mécaniste positive.
Bref, la pensée mécaniste est un mode rassurant mais
réducteur qui vise à se représenter le monde en le ramenant à des schémas
simples (voire simplistes), tout en leurs conférant la force têtue du réel…
qu’ils ne sont évidemment pas. Celle-ci donne l’impression de maîtriser les choses
parce qu’on les gérerait.
Aujourd'hui, un nombre important d’organisations à la
française, et les dirigeants qui y exercent, traversent une crise d’angoisse
particulière : comment faire avec la réduction des moyens ? Il se
trouve que nombre de ménagères et ménagers ont déjà répondu depuis bien
longtemps à cette problématique. Elles ou ils ouvrent régulièrement leurs placards, leur frigo et leur porte-monnaie en se disant simplement :
« Avec ça, il faut nourrir les enfants aujourd'hui ». Voilà des
centaines d’années qu’elles et ils y parviennent peu ou prou. Même si elles ou ils espèrent disposer d’autres moyens, ce n’est pas leur préoccupation lors de ces minutes qui
précèdent le repas. Ces mêmes personnes sont dans nos organisations et savent
bien ce que rigueur veut dire. Or, personne ne leur demande comment on pourrait
s’y prendre pour continuer à faire autant, voir plus, avec moins de moyens.
Pendant ce temps, quelques « décideurs », parce
qu’ils sont payés pour l’être, tentent en toute bonne foi de constituer
quelques usines à gaz susceptibles d’organiser autrement le travail et mieux atteindre
les objectifs de productions, voire peut être seulement les objectifs
d’économie des moyens. Ces décideurs ultra-tayloriens, certainement en voie de raréfaction, peaufinent des processus à base de règles de trois
fort complexes que seuls leurs cerveaux enseignés savent générer et comprendre.
Les acteurs de l’organisations sont alors devenus ici des éléments de
l’organisation, des objets du système, à qui il conviendra de distribuer tâches
et objectifs. Mais a-t-on pensé à demander à ces organismes vivants ce qu’ils
en savent et en pensent ?
Alors donc, nous devrions davantage penser le monde et nos
organisations de manière organique, mode qui leur correspond certainement mieux. Peut être alors, spontanément, nous nous adresserions avantageusement au vivant
et à l’intelligence dynamique collective, la première ressource, la première richesse de nos organisations. La démarche parait simple, dite comme cela, mais bien sûr, ça s'accompagne...
Jean-Marc SAURET
Le vendredi 12 juillet 2013
Le vendredi 12 juillet 2013
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