"Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute la puissance de notre pensée ! " Après avoir durant des années posté ici réflexions et conseils sur le management des organisations, je livre aujourd'hui une vision de la réalité, au plus profond de soi même sur l'être et l'univers. Profitez ! Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en indiquer chaque fois la source et de ne pas en faire commerce.

Pensée mécanique et pensée organique

Il me souvient de cette fiction où l’ordinateur du Pentagone tomba en panne. Nombre d’ingénieurs dédiés analysèrent la situation, réfléchirent aux mécanismes en jeu, refirent tous les circuits de traitement de l’information sans trouver ce qui empêchait ce mastodonte de redémarrer. La situation était bloquée. Un administrateur se souvint alors qu’un certain Lewis Smith, ouvrier de son état, avait, à l’époque, participé à l'installation et au démarrage du monstre. On le rechercha. On le retrouva au fin fond de l’Arkansas. On affréta un hélicoptère et on alla le chercher.
Arriva alors au Pentagone un vieux petit bonhomme en salopette bleue. Il chaussait des lunettes épaisses. Il tourna quelques minutes autour de l’engin, sortit un petit marteau de sa poche, visa un bord de l’appareil et y appliqua un petit coup sec. Aussitôt, le mastodonte démarra. Impressionnés, les ingénieurs cherchaient à comprendre le phénomène, refirent des algorithmes pendant que les administrateurs demandaient à Lewis Smith de leur adresser sa petite facture. Celle-ci leur arriva quelques jours après. Elle était d’un montant particulièrement important. La prestation parut aux gestionnaires tout à fait surfacturée. Ils demandèrent à Lewis Smith de détailler plus précisément sa facture. Celui-ci leur répondit instantanément en retour de courrier que le coup de marteau n’était facturé qu’à un dollar alors que « savoir où donner le coup de marteau » constituait tout le reste du montant de la facture.


Cette courte parabole m’indique qu’il y a, dans nos consciences populaires, un écart entre une approche rationnelle mécaniste des problèmes et une approche pragmatique organique de ceux-ci. La première approche permet sûrement d’élaborer des processus, machines, mécaniques complexes. La seconde permet certainement de les faire fonctionner, peut être parce qu’elle permet de mieux comprendre la dynamique de la problématique.
Herbert Marcuse dans " l’homme unidimensionnel ", repère le mode d’une nouvelle pensée positive enfermante qu’il juge totalitaire et répressive. Il s’agit de ce que nous avons aujourd'hui l’habitude d’indiquer comme « la pensée unique ». Il s’agit d’un mode de pensée de l’évidence, qui se décrit comme pragmatique, comme disant la réalité, la décrivant simplement sous le principe des objets et des faits mesurables. Son modèle est la démarche scientifique : j’expérimente une situation comme mettre une casserole d’eau sur le feu et observer qu’à une certaine température l’eau se mets à bouillir et se transforme en vapeur. J’en tire une loi générale que je vais vérifier sur le terrain. La dessus, Jacques Lacan aurait prédit que toutes mes vérifications tendront à prouver que la loi est juste et véritable.


Il s’agit de ce que le biologiste anglais, Rupert Sheldrake, appelle la pensée mécaniste : elle pense le monde comme une mécanique régie par les lois de la physiques. Or, nous indique-t-il avec justesse, le monde n’est pas mécanique mais organique, c’est-à-dire qu'il est fait d’organes, d’êtres et de vivant, faisant davantage référence à la relation (interdépendances, co-évolutions, fournisseurs/bénéficiaires), au système (dynamique), au mieux, impliquant la chimie des choses. Bref, il s’agit du vivant.
Pour illustrer ceci, Emile Durkheim avait indiqué formellement la différence qu’il voyait, dans le passage de la « communauté » à la « société » moderne, entre la solidarité mécanique fondée sur la conscience d’une identité commune et une solidarité organique fondée sur la division sociale du travail, laquelle engendre des relations de coopérations et d’interdépendances, voire de dépendances circulaires.



A ce propos, il me souvient aussi de cet épisode, lors d’une démarche qualité, où je questionnais un technicien sur la manière dont il obtenait tel chiffre. Il me décrivit un processus particulièrement complexe. Je lui demandais alors s’il s’y prenait ainsi. Il me répondit du tac au tac : « Non, j’appelle Mathilde. Elle a les chiffres. Elle me les donne et je les inscris au tableau... On s’entend bien. Je lui garde des emballages que nous jetterions. C’est ce qui lui va le mieux pour ranger ses archives ». Voila un parfait exemple de logique organique.
Autour de la pensée mécaniste, il me revient aussi cette réflexion du prix Nobel de physique, Ilya Prigogine qui, à partir de son observation de la non réversibilité des lois en thermodynamique, élabore sa théorie du chaos...  Il me souvient aussi cette réflexion du psychosociologue, Serge Moscovici, qui annonçait que « les lois de la nature sont celles que la culture lui trouve » à quoi il ajoutait constater que nous avons tendance à forcer le monde a entrer dans les modèles que nous nous sommes bâtis pour le comprendre. « Nous forçons le réel à entrer dans les lois de nos modèles et si ça ne rentre pas, c’est le monde qui a tort. Tout ce qui n’y entre pas, n’existe donc pas ». C’est là tout le poids ou la force de cette pensée mécaniste positive.


Bref, la pensée mécaniste est un mode rassurant mais réducteur qui vise à se représenter le monde en le ramenant à des schémas simples (voire simplistes), tout en leurs conférant la force têtue du réel… qu’ils ne sont évidemment pas. Celle-ci donne l’impression de maîtriser les choses parce qu’on les gérerait.
Aujourd'hui, un nombre important d’organisations à la française, et les dirigeants qui y exercent, traversent une crise d’angoisse particulière : comment faire avec la réduction des moyens ? Il se trouve que nombre de ménagères et ménagers ont déjà répondu depuis bien longtemps à cette problématique. Elles ou ils ouvrent régulièrement leurs placards, leur frigo et leur porte-monnaie en se disant simplement : « Avec ça, il faut nourrir les enfants aujourd'hui ». Voilà des centaines d’années qu’elles et ils y parviennent peu ou prou. Même si elles ou ils espèrent disposer d’autres moyens, ce n’est pas leur préoccupation lors de ces minutes qui précèdent le repas. Ces mêmes personnes sont dans nos organisations et savent bien ce que rigueur veut dire. Or, personne ne leur demande comment on pourrait s’y prendre pour continuer à faire autant, voir plus, avec moins de moyens.


Pendant ce temps, quelques « décideurs », parce qu’ils sont payés pour l’être, tentent en toute bonne foi de constituer quelques usines à gaz susceptibles d’organiser autrement le travail et mieux atteindre les objectifs de productions, voire peut être seulement les objectifs d’économie des moyens. Ces décideurs ultra-tayloriens, certainement en voie de raréfaction, peaufinent des processus à base de règles de trois fort complexes que seuls leurs cerveaux enseignés savent générer et comprendre. Les acteurs de l’organisations sont alors devenus ici des éléments de l’organisation, des objets du système, à qui il conviendra de distribuer tâches et objectifs. Mais a-t-on pensé à demander à ces organismes vivants ce qu’ils en savent et en pensent ?
Alors donc, nous devrions davantage penser le monde et nos organisations de manière organique, mode qui leur correspond certainement mieux. Peut être alors, spontanément, nous nous adresserions avantageusement au vivant et à l’intelligence dynamique collective, la première ressource, la première richesse de nos organisations. La démarche parait simple, dite comme cela, mais bien sûr, ça s'accompagne...

Jean-Marc SAURET
Le vendredi 12 juillet 2013

Lire aussi "Le vivant, du principe au pratique"

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