Un jour où je décidais de ne plus mettre ma vie et
celle des autres en danger avec mon attelage moto side-car, j’allais faire un
stage de conduite à Montlhery. Le moniteur du stage nous posa en
ouverture le cas suivant : « Une route toute droite, un seul arbre au
bord de la route… la voiture sort de la route et percute l’arbre.
Pourquoi ? ». La réponse ne nous apparaissait pas évidente et nous
allions de nos supputations à l’aune de la mécanique ordinaire : parce que
les freins ont lâché… les rotules de direction, peut être ?…
« Parce que le conducteur regardait l’arbre… »
nous indiqua-t-il. Je me souvenais alors que, gamin, mon prof d’éducation
physique nous indiquait à propos du jeu de rugby : « Quand tu as le
ballon, ne regarde pas l’adversaire, tu vas lui rentrer dedans. Regarde plutôt
les intervalles où tu peux te glisser. Tes pas vont t’y conduire ». Au
football, il disait : « Ne regarde pas le ballon quand tu le frappes
mais plutôt l’endroit où tu veux qu’il arrive et tu vas l’y envoyer ». Là,
c’était pour nous moins évident… Mais ce que ces éducateurs nous disent tous
est : « Notre vision guide nos gestes ». Et si cela est vrai au
physique, cela est tout aussi vrai au moral, ou au psychologique.
Frederick HERZBERG avait une théorie à ce propos
qu’il appelait la « Théorie de la finalité » : si j’envisage
bien le résultat que je veux obtenir, il ne m’est pas compliqué de faire tout
ce qu’il faut pour y arriver. Si je vois bien mes premiers résultats, je suis
capable de corriger tout seul ma pratique. Mais, si je ne vois pas ce qu’a
donné mon action ou que la finalité m’apparaît floue ou imprécise, alors j’ai
toutes les chances de ne plus rien faire…
Il nous est arrivé de constater que les bonnes
résolutions prises sur nos comportements au nouvel an tombent déjà à la
chandeleur et les crêpes, nous le savons, n’y sont pour rien. Ce que nous
constatons là est que forcer nos comportements ne produit que de l’effort et de
la peine qui nous échauffent, mais pas le changement durable espéré.
Cependant, si j’ai une représentation claire de
l’efficience de mon geste, par exemple, je saurai le corriger ou le reproduire.
Frederick HERZBERG pose ainsi la question : « Si, jouant au bowling,
quand je lance la première boule, un rideau tombe devant les quilles
m’empêchant de voir le résultat de mon tir, bien que je l’entende, j’aurai une
forte tendance à ne pas lancer la deuxième boule. Je vais plutôt me tourner vers mes
collègues et partenaires pour leur demander : " Qu’est-ce que j’ai
fait ? Vous avez vu quelque chose ? ", montrant ainsi à quel point cette finalité nous importe. »
Ainsi, si la vision des objectifs, du résultat à
atteindre ou à construire, est claire, partagée et acquise, alors la conduite
des meilleures manières de faire est simple comme un automatisme ou
l’application d’une intelligence ordinaire. Si en retour, la restitution
complète sur l’action est faite, alors on corrigera tout seul et on
thésaurisera les bonnes pratiques.
Par contre, si les objectifs sont flous, le dessin de
la « cathédrale » imprécis, il sera très difficile aux ouvriers, aussi
talentueux soient-ils, de conduire une démarche. En deux mots, si je vois le
but, je sais y aller. Si je vois les effets de mon action, je sais quoi en
faire... Si je ne vois pas grand-chose, je ne fais rien.
Que l’idée d’une présentation claire des objectifs
guide nos communications dans le seul intérêt d’être compris par ceux qui nous entendent !
S’ils n’entendent pas, il n’en va pas de la qualité de leurs neurones mais
sûrement de la qualité de notre propre discours. Il importe peut être que nous
l’adaptions aux représentations et préoccupations de nos interlocuteurs.
Par ailleurs, si les collaborateurs ont une vision
claire de ce qu’ils ont à faire et de comment ils le font, pourquoi les
contrôler ? Laissons leur alors leur part la plus large d’une autonomie
fertile.
Ainsi, concrètement, dans nos applications
stratégiques et managériales, il n’est pas rare de voir des managers
bienveillants et lucides prendre des décisions qui vont à l’encontre de leurs
visées stratégiques. Il peuvent faire des choix qui compromettent l’atteinte des objectifs
qu’ils se sont fixés. Ce n’est pas un paradoxe de leur intelligence certaine ou
l’expression d’un esprit malin ou chagrin. Il y a juste quelque chose de
l’injonction paradoxale, du paradoxe décisionnel qui relève, dans un grand
nombre de cas, de visions structurelles inappropriées. Il n’est pas alors
inutile de se faire accompagner, de se faire "bousculer" le regard et le coaching cognitif, managérial et
stratégique, à cette qualité là.
Il me souvient de ce top managers qui
souhaitait développer une démarche participative et de reconnaissance des
acteurs et, pour rationaliser sa démarche, faisait des catégories d’acteurs par
niveaux hiérarchiques avec des droits d’entrée successifs. Il adressait à ses
collaborateurs un signal fort paradoxal qu’ils n’étaient pas égaux devant la
démarche, que la valeur humaine et l’intelligence, l’engagement, soit tout ce
qui fait la personne humaine, passait après les droits hiérarchiques. La
démarche s’est développée dans des atermoiements contre-productifs Un
accompagnement arrivé trop tard n’a malheureusement pas pu contredire l’impact de cette contre
indication.
Jean-Marc SAURET
le 19 juillet 2013
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos contributions enrichissent le débat.