Le développement posturologique pour un coaching de pointe
Le monde économique s'internationalise. La communication à
tempérament sur le net rapproche dans le monde ceux qui se ressemblent. Elle
passe par-dessus les états et les pouvoirs de régulation, comme le commentait
en colloque André SANTINI, ancien ministre et député-maire d'ISSY les
Moulineaux : « Nous discutons, avec les maires de Rio et d'ailleurs,
en direct et de ce que nous voulons sans que nos gouvernements respectifs n'y
aient le moyen à redire ». Cette liberté est certes très utile en la
matière, voire pour beaucoup d'autres très agréable en terme d'aventure mais
elle n'est pas sans poser aussi quelques problèmes. Bref, le développement des
technologies, tant de la communication que pour nous rendre le monde plus
confortable ou plus pratique, nous à fait rentrer dans une nouvelle ère des
rapports sociaux que nombre de sociologues appellent « postmoderne ».
Une technologie qui met de plus en plus à distance la rugosité du monde
physique (on invente même le rasoir à lames qui fait le contour de notre menton
à notre place), une émotionnalié plus fortement partagée, des médiats qui nous
offrent à juger de tout, ont changé nos identités, lesquelles réclament un
droit immédiat au bonheur. Ces comportements d'égoïstes solidaires sont rentrés
dans l'entreprise. Manager aujourd'hui dans une telle évolution humaine et
technologique n'est plus le même métier qu'hier.
Les managers ne sont plus des acteurs programmés...
Susan SCHNEIDER, Professeur de Gestion des Ressources Humaines à l'Université de Genève, écrivait en 1998 pour la revue Manageris : « L'homme d'organisation – automate sans visage au service de l'entreprise – a vécu. Les managers ne sont plus des acteurs programmés pour répéter le rôle écrit pour eux, mais des entrepreneurs qui doivent au contraire improviser. Leurs initiatives constituent l'assurance du renouvellement permanent de l'entreprise. » Quatre ans après, l'histoire et la pratique ont apporté au monde managérial la confirmation de cette affirmation.
Yvon GATTAZ, ancien célèbre Président du CNPF,
déclarait le 7 octobre 2002 à un parterre de dirigeants au cours d'une
conférence sur « la moyenne entreprise, base de l'entreprise
mondiale » que le rôle actuel des managers n'est plus de fournir une
connaissance technique ou particulière d'un métier, mais de faire preuve d'une
capacité à communiquer, à donner du sens à son organisation et au travail de
chacun en son sein.
Manager est un métier complexe où la gestion des motivations et des savoirs est aussi doublée de la gestion de soi
Ainsi, si les connaissances technologiques et la
gestion de leur développement appartiennent aux collaborateurs, sièges des
avantages concurrentiels de l'entreprise, la conduite des hommes et l'animation
des groupes humains sont devenues le primo métier des managers. Dans des
contextes d'enjeux lourds et de contraintes fortes, il fait appel à des
compétences humaines pointues. Manager est un métier complexe où la gestion des
motivations et des savoirs est aussi doublée de la gestion de soi.
On peut dire que la contrainte est triple :
Ø Comme le boxeur, le manager connaît l'impérieuse
nécessité de réussir : faire second est une défaite parfois synonyme de
sortie du jeu. Il combat des réalités économiques et sociales et ce sont de
vieux démons de tous ordres, démons internes et externes, contre lesquels il se
doit de déployer un combat méthodique, sans faille et sans merci. Il développe
une écoute attentive de son environnement auquel il est contraint de s'adapter
en permanence.
Ø Comme le coureur de fond, il connaît aussi des
solitudes profondes : les informations ne lui parviennent pas tout le
temps, il est considéré par ses proches et ses collaborateurs comme sachant à
priori et il n'a que rarement quelqu'un avec qui partager ses questionnements.
Il ne compte alors que sur sa perspicacité, son courage et sa capacité à se
dépasser, à persévérer dans une attention permanente à sa performance.
Ø Comme l'artiste créateur, le manager connaît
aussi le phénomène de la page blanche quand, seul, il doit inventer les
solutions idoines. Certes, il se nourrit de l'environnement et y impulse aussi
un mouvement.
C'est pour faire face à ces contraintes,
sûrement pas nouvelles mais peut-être plus fortes aujourd'hui, que les
dirigeants recourent à l'accompagnement individuel de type tutorat, mentoring
ou coaching. Il s'agit de répondre au plus juste et rapidement aux questions
que pose la conduite de projet dans un contexte économique et humain toujours
plus complexe et exigeant.
Mentoring et tutorat sont des accompagnements à la recherche de solutions…
Le coaching a d'autres prétentions
Mentoring et tutorat sont des accompagnements à la recherche de solutions en s'appuyant sur l'expérience d'experts, c'est à dire d'acteurs ayant croisé leurs recherches théoriques avec l'usage et la pratique. Il s'agit de comparer des situations et d'investir les réponses expérimentées dans des contextes similaires.
Le coaching a d'autres prétentions, celles de développer, en amont de la recherche de solution, les capacités à le faire de manière autonome. Il s'agit de développer des compétences personnelles qui ne seront pas sans incidence sur l'évolution de la personne elle-même. Ainsi, on rencontre plusieurs types d'accompagnements qui, selon leur angle d'attaque, travaillent sur les comportements, les valeurs, la symbolique ou l'imaginaire du manager, parfois à l'instar d'un accompagnement psychologique. On développera la qualité de la réflexion, la créativité ou encore on apportera des éléments de benchmarking. On entraînera la personne à des compétences du management relationnel : leadership, négociation, communication personnelle.
Ainsi, le panel des accompagnements de type coaching est large. Il n'est pas le fruit de son histoire mais de l'influence de pratiques proches, de domaines voisins, pour lesquels leurs auteurs et protagonistes ont souvent reconstruit une origine historique de circonstance. Ainsi, le coaching se découvre plusieurs sources : la maïeutique de Socrate, la contradiction parabolique d'Ésope, les pratiques protégées mais dangereuses des fous des rois, les conseillers ou confesseurs des grands de ce monde et, plus proche de nous, les accompagnateurs sportifs, constructeurs de confiance en soi à partir de sophrologie ou disciplines connexes. Ces derniers ont été confondus avec les entraîneurs techniques et préparateurs sportifs que la profession avait nommés « coachs ». Je crois que c'est là une confusion qui fait nommer aujourd'hui les accompagnateurs professionnels des « coachs » et leurs pratiques le coaching. Il y a là quelque chose de la confusion des genres et on se souvient de ce que le coach sportif s'apparente davantage à un manager d'entreprise lequel développe, organise et fait intervenir ses joueurs en fonction des nécessités contextuelles. Il s'agit bien là de management et non de coaching tel que l'entend actuellement la culture des organisations. Mais aujourd'hui, en matière d'accompagnement des managers, le terme de coach est consacré. Ce sens est devenu commun. Alors pourquoi ne pas continuer à l'utiliser dans cette nouvelle acception ? Nous le ferons, certes avec réserve, mais désormais en toute connaissance de cause.
Il ne faut pas confondre développement de la personne et développement personnel
Quand bien même cette pratique d'accompagnement des managers se reconnaît dans ce nom d'emprunt, elle n'en reprend pas l'exacte pratique. Elle recouvre dans l'entreprise deux approches distinctes. Claude GENOT, Professeur des Universités et maître d'œuvre du DESS DH-DO à l'Université d'Evry Val d'Essonne - programme exigent de formation des managers - fait, dans une note interne, une présentation fort juste de cette distinction : « A nos yeux, il ne faut pas confondre l'expression développement de la personne et celle de développement personnel. Le développement de la personne renvoie à l'idée de croissance psychologique, de mutation, de sagesse ; elle porte sur un élargissement de ses cadres de référence et sur un approfondissement de la connaissance de soi selon un processus d'enrichissement identitaire… En revanche, le développement personnel se place sur un terrain de l'optimisation de ce que l'on est et d'un meilleur usage de ses capacités et aptitudes intellectuelles : capacité d'expression, meilleur usage de son temps, valorisation de ses talents artistiques ou de ses qualités de réflexion, etc… ». Et il résume en ces mots : « La problématique du développement de la personne est celle de la croissance identitaire tandis que celle du développement personnel est celle de l'optimisation de son fonctionnement au quotidien. »
De fait, on rencontre les deux exercices dans la pratique du coaching avec des effets divers, heureux ou pervers. Cette efficience est effectivement relative. Elle dépend de l'adéquation de la prestation à la demande réelle du manager qui, faute d'information, apprécie parfois un peu tard la qualité de la réponse. Cette efficience dépend aussi de la qualité d'usage que fait le coach des outils que ses maîtres lui ont confiés. Il en va ainsi dans tous les métiers. Dans ce deuxième cas, c'est aux coachs de constituer leur corps et de définir le périmètre de leurs activités, les outils qui le représentent, la déontologie à le pratiquer ainsi que ses moyens de contrôle et de régulation. Il existe certes la Société Française de Coaching, présidée par Gérald de Bourmont, ou l'International Coach Federation France de François Visquenel, mais elles restent encore, malgré tous leurs louables efforts, marginales et de chapelles. La démarche privée en la matière ne sait pas donner de bons résultats comme le champ de la psychanalyse nous l'a malheureusement montré par son éclatement. Il y a là peut-être pour les universités un nouveau rôle à jouer.
…et il y a là de véritables expertises pédagogiques
En ce qui concerne le premier cas, c'est-à-dire la nature de la réponse apportée au besoin du manager, il y a là un domaine d'action à clarifier. Il existe là aussi plusieurs types de pratique (accompagnement technique, accompagnement post-formation, accompagnement de situations, accompagnement personnel…). Il est des pratiques basées sur le développement de la performance professionnelle du manager et il y a là de véritables expertises pédagogiques. Ces pratiques travaillent soit directement sur des comportements (leadership, confiance en soi…), soit sur l'application de savoirs-faire (management du changement, gestion de crises…) et de techniques (marketing, communication, négociation…), soit encore sur le développement de la conscience de son environnement, quelque chose de l'ordre de mieux poser la question pour mieux y voir les acteurs et les contraintes du contexte.
Il est d'autres pratiques d'accompagnement que nous qualifierons de psychologique et qui relève du développement de la personne, extrêmement proche des pratiques psychothérapeutiques et d'ailleurs investies par des coachs psychothérapeutes à la ville. Certains ont une vraie connaissance pratique de la psychologie clinique pendant que d'autres n'ont qu'une approche parfois bien courte de dérivés pratiques des sciences humaines comme peuvent l'être la PNL de Richard Bandler et John Grinder (Programmation Neuro-Linguistique) ou l'AT d'Eric Berne (Analyse Transactionnelle). Ce sont là des applications pratiques de recherches en sciences sociales, notamment celles d'intellectuels dits du collège invisible de Palo Alto (Goffman, Bateson, Watzlawick ou Jakobson). Ces outils systématisés offrent une praticabilité immédiate et une applicabilité confortable qui trouvent une réelle efficacité quand leurs praticiens savent les mettre en perspectives avec les apports toujours renouvelés des sciences humaines. Ceux-ci aguerris et instruits en tirent de réelles performances. Ainsi, ces pratiques sont des outils à ne pas confondre avec des sciences.
La greffe du coaching en France n'était pas possible sans une traduction culturelle.
Cependant, il n'est pas sur que l'accompagnement de la personne soit un domaine à investir dans l'entreprise. Celui-ci relève d'une dimension du privé dont la confusion avec celle sociale de l'entreprise risque de briser des protections naturelles des acteurs. Soigner la souffrance du manager (bien que celle-ci puisse être d'origine professionnelle) dans le cadre de l'organisation est une manière de traiter au social une résonance du privé. Est-il bien sage de venir toucher à la construction de l'identité du manager quand celui-ci souhaite devenir seulement plus efficace ? Il nous est souvent apparu que la déviance de la prestation était due à l'incapacité de certains consultant à répondre exactement à la demande de leur client. Ayant en poche des outils de développement de la personne, ces consultants semblent tentés de les sortir à chaque demande qui leur est faite. Il s'agit peut-être là d'une confusion des genres entre accompagnement psychologique et accompagnement professionnel.
Il est fort probable que cette confusion, davantage de la responsabilité des consultants que des managers – quoique l'on soit toujours plus ou moins coresponsables de ses relations – soit à l'origine du frein énorme qu'a rencontré l'implantation de la pratique du coaching en France. Il semble que cet usage communément répandu aux Etats Unis ait été importé dans la même forme culturelle qu'outre atlantique. Or, nous savons bien que cette culture que nous qualifierons un peu caricaturalement de « protestante, du trust et du projet » est de nature très éloignée de la culture française que nous qualifierons plutôt, et avec toutes les réserves d'usage, de « catholique, bureaucratique et conflictuelle ». La greffe du coaching en France n'était pas possible sans une traduction culturelle.
Peut-être devons-nous porter une meilleure attention à la demande des managers…Il importe aux consultants coachs de revenir aux fondamentaux
Pour un accompagnement de pointe, peut-être devons-nous porter une meilleure attention à la demande des managers de manière à leur proposer la réponse la plus juste et la mieux adaptée à leur environnement économique et social sans risquer de transgression forcée de leur vie intime par leur vie sociale. Pour cela, il importe aux consultants de considérer la réalité-même dans laquelle évoluent les managers, mais encore la manière dont nous conduisons généralement nos actions. S'il importe aux consultants coachs de revenir aux fondamentaux, il importe aussi aux managers de les connaître afin de mieux choisir leur accompagnement.
L'un des fondamentaux nous est rappelé par l'éthologue Boris Cyrulnik. Il dit que si « les animaux sont soumis à leur instinct, l'être humain est soumis à sa vision » et il ajoute dans une interview au Monde de l'éducation (n° 292) que même si « il semble exister un langage universel entre toutes les espèces, une sorte de bande passante sensorielle qui nous associe aux bêtes » et sur laquelle travaille la jeune école de l'intelligence émotionnelle, nous nous en différencions particulièrement sur le fait que « la structure naturelle de l'homme, c'est sa culture ». Cela signifie que ce qui structure notre décision à l'action est bien ce que nous « voyons » d'opportunités et de possibilités (opportunité et possibilités à saisir ou à construire).
Nous semblons agir comme si ce que nous faisions, les actions que nous posons, avaient cette vocation et capacité à nous faire passer d'une situation - d'un monde, d'un état ou d'un environnement - que nous constatons insatisfaisant à une situation - un monde, un état ou un environnement - que nous imaginons meilleurs. Encore faut-il d'une part imaginer ce monde meilleur mais encore penser qu'il existe ou inventer un chemin pour l'atteindre et que le moyen que nous envisageons est bien ce bon chemin. C'est ce que nous faisons simplement quand nous réparons un objet, agissant pour le faire passer d'un état défaillant vers un état d'origine que nous savons meilleur. Ici, ces deux états sont connus d'avance. C'est aussi ce que l'on fait quand on s'entraîne sportivement pour devenir proche de son joueur modèle, voire fétiche, voire encore idole. Mais c'était aussi le cas de Gandhi qui imaginait une Inde libre et indépendante et imagina un nouveau chemin adapté aux qualités des protagonistes, la voie traditionnelle du combat violent étant perdue d'avance.
C'est de la qualité de nos visions que dépend la hauteur de nos performances
C'est là toute la problématique de l'être humain en action, et donc toute la problématique du manager. Penser l'action c'est d'abord développer sa conscience du « monde », envisager et concevoir ce « monde meilleur » pour imaginer et décider du chemin qui y conduit. Plus simplement, nous constatons une situation qui pose problème, une situation meilleure que l'on vise et nous recherchons le moyen de l'atteindre. Toute la culture du compagnonnage née dans la construction des cathédrales, travaille sur ce principe, visant dans le « monde meilleur » un idéal de perfection. Il y a là une dimension de développement cognitif extrêmement forte. C'est de la qualité de nos visions que dépend la hauteur de nos performances. Si constater une situation insatisfaisante est de notre quotidien, en revanche être au clair avec ce que l'on vise, le mirage que l'on poursuit, le rêve qui nous aspire ou le monde meilleur que l'on voudrait construire, ne va pas forcément de soi. L'action du coach vise à rendre ces visions plus maîtrisées, plus complètes et plus précises.
Ainsi, la recherche des solutions passe soit par la reprise de solutions connues, soit par l'effervescence imaginaire, l'association symbolique pour créer des voies nouvelles. C'est en observant les déplacements des seiches et des nautiles que le commandant Cousteau imagina la « tuyère » pour propulser ses soucoupes aquatiques. C'est en débarrassant ses vêtements et le pelage de son chien d'une plante accrocheuse, la bardane, que Georges de Mestral inventa le velour-crochet ou « velcro ». Là aussi, élargir notre regard, rendre son esprit disponible, contribue au développement de notre créativité à la recherche de solutions. L'accompagnement du coach enclenche et accélère ce processus.
En 94, dans l'introduction de son ouvrage « les nourritures affectives » Boris Cyrulnik est plus précis encore avec cette question : « Quel est cet homme qui invente le monde pour mieux le comprendre ? » Il nous signale notre capacité naturelle à trouver des logiques, à inventer des modèles pour penser la réalité du monde qui nous entoure, à trouver du sens à notre environnement. Et nous ajouterons à cela que si l'on dit que la nature a horreur du vide, notre nature humaine a horreur du vide de sens et nous en trouvons partout où il ne nous est pas donné d'avance. Ainsi, nous trouvons des intentions à nos amis, des stratégies à nos ennemis, des logiques à notre environnement. C'est ce qui vient biaiser nos décisions et c'est ce qui faisait dire à Serge Moscovici[1] que « les lois de la nature sont celles que la culture lui trouve ». De le savoir peut nous aider à libérer notre attention et notre créativité.
Les managers savent intuitivement que les solutions dépendent autant de la nature du problème que de son environnement
L'accompagnement professionnel qu'appellent au premier chef les managers est celui de la meilleure maîtrise de ces différentes consciences du réel et ils sont explicites : mieux comprendre leur environnement, mieux comprendre les stratégies des acteurs concurrents et partenaires, avoir une meilleure conscience de ces propres capacités et tracer au mieux les chemins du succès.
Les managers avaient, jusqu'à peu de temps encore, plutôt tendance à faire appel à des conseillers qui apportaient directement les bonnes solutions. Aujourd'hui ils préfèrent ceux qui leur permettent de développer un processus cognitif. Les managers savent intuitivement que les solutions dépendent autant de la nature du problème que de son environnement (même si un problème est bien souvent une question mal posée). Dans les formations ou colloques, combien de fois avons-nous entendu cette phrase « Oui, mais chez moi, ce n'est pas pareil… » Et ces managers ont raison. Il n'y a pas de solution miracle ni de panacée du management. Cela se saurait et le métier de manager consisterait encore à dérouler des recettes. Il s'agit bien de comprendre les acteurs et les situations dans leurs contextes pour inventer les remèdes topiques et les voies de succès.
Faire appel à un « développeur de conscience »
Une raison de faire appel à un « développeur de conscience » est qu'en commun, dans le partage de nos pratiques et de nos analyses, la conversation nous permet de reconstruire nos « visions du monde » que nous nommons « opinions ». Nous avons besoin de cet alter ego, ce contradicteur méthodique qui nous permettra d'ajuster notre réflexion, de vérifier et de reconstruire nos jugements, d'affiner notre stratégie. C'est de cela qu'il s'agit quand nous allons voir notre ami ou notre conseiller juridique en lui disant : « Qu'est-ce que tu en penses ? ». Il arrive au manager d'être en panne d'idée, plus encore, de ne pas être sûr d'avoir fait la bonne option, d'avoir pris au bon moment la meilleure décision. Souvent seul dans son coin, il subit le phénomène de la page blanche. Pour cela, le manager vérifie et reconstruit ses opinions à l'aune d'une conversation avec un expert soit du métier (il aura affaire à un mentor) soit de la recherche de solutions (et il préfèrera un coach).
Rodolphe Ghiglione nous en dit plus à ce sujet[2]. Selon lui, nous co-construisons la conscience du réel dans nos conversations. Cela va plus loin que de partager de simples opinions. Ainsi nous co-construisons dans la conversation des conceptions communes de ce monde insatisfaisant et également des visions plus ou moins partagées d'un monde que nous visons, et au moins nous sommes d'accord sur nos divergences de vue tant sur la cible que sur les moyens et c'est bien là ce qui nous rassemble : connaître et accepter nos divergences. Mieux encore, nous devinons les causes de nos différences.
« L'homme communicant, écrit Ghiglione[3], n'est donc pas le miroir réfléchissant d'une réalité, mais le constructeur incessant de ses réalités … un co-constructeur … dans une dynamique créatrice. La réalité sociale n'est pas un donné à traduire en langue, mais un chantier de construction. Les individus ne cessent de co-construire cette réalité, tout en se co-construisant, transaction communicative après transactions … Dans un espace…, les sujets viennent négocier des mondes possibles en tentant de les donner à croire - pour un temps - comme le monde réel. La réalité devient dès lors un moment, résultant d'un procès d'influence provisoirement réussi, grâce aux transactions communicatives effectuées. L'espace (de la conversation) n'est donc pas un lieu neutre et homogène, il est au contraire un lieu d'ajustement ». Alors, ce que nous convenons d'être vrai un jour ne l'est plus quelques années après. Ainsi, au temps du tout gestion de la production a succédé le tout marketing, puis le tout financier lui a ravi la place pour la céder aujourd'hui au tout relations humaines. Demain sera un autre jour.
Toute notre action humaine consiste à comprendre cette résistance et à la mettre sous contrôle
L'expérience nous dit dans sa grande sagesse pragmatique, que la réalité ne semble pas s'épuiser dans le discours et que le monde, le concret, continue de nous résister. Toute notre action humaine consiste à comprendre cette résistance et à la mettre sous contrôle. Il en va ainsi pour tous les métiers du monde, même les plus anciens. Mais prenons un exemple. Nous comprenons ces résistances comme ce qui nous empêche d'atteindre nos buts. Ainsi, si l'envie me prend de voler comme un oiseau, alors la loi de la pesanteur m'apparaît comme une contrainte et donc l'usage de la contrainte « résistance de l'air » me vient comme le moyen d'y remédier. Si cette envie de voler comme un oiseau ne m'habite pas, la pesanteur ne m'apparaîtra pas comme une contrainte mais comme un élément de confort assurant mes déplacements terrestres en certifiant à mes jambes qu'elles trouveront toujours l'appui sur le sol permettant leur poussée motrice.
Nous voyons bien que ce discours ainsi rapporté fait preuve de la conscience d'une série d'éléments de réalité (la pesanteur, la résistance de l'air, la motricité mécanique des jambes) et de la conscience aiguë de corrélations entre ces éléments (la nature de l'objectif personnel fait passer la pesanteur du statut de résistance à celui d'élément favorable). Ce n'est pas la seule connaissance des éléments qui compte ici mais la capacité à les prendre en compte et à forger ces corrélations pertinentes (faire de la contrainte « résistance de l'air » un atout).
Le coaching "posturologique" est cet accompagnement qui, s'appuyant sur le principe d'une co-construction de la conscience du réel, par la conversation maîtrisée, développe non seulement le niveau de conscience du manager mais lui fait expérimenter un processus dont il fera perpétuellement son beurre. C'est là un processus de développement cognitif tel que nous en avons connu chacun aux différents stades de notre évolution personnelle depuis notre plus tendre enfance.
Des managers s'interrogent sur l'utilité de perpétuer, de renouveler, les séances de coaching. De connaître le processus cognitif ne suffirait-il pas ? Nous en avons besoin car, comme le soulignait Jacques Lacan à propos de l'inconscient, la conscience de la réalité, dont le meilleur état est dans les mots, ne bouge et n'évolue que lorsque nous en parlons. Entre temps, disait-il, « il y a une période de latence où rien ne se passe ». Pour que notre conscience évolue et se développe, il lui faut trois paramètres : en parler, comme nous venons de le dire, mais aussi l'expérimenter comme les managers le font tous les jours dans leurs organisations, mais encore l'imaginer en amont de l'action et c'est là que la créativité à besoin, pour qu'elle s'exprime, de la paix d'une relation de confiance, d'un cadre plus serein, comme celui d'un coaching de qualité.
J'ai vu ainsi des managers bâtir des changements lourds… changer radicalement leur stratégie…
Ainsi, j'ai vu des personnes se réconcilier avec leur culture religieuse personnelle et investir dans leur management les valeurs humanistes et communicationnelles qu'ils y trouvaient, retrouvant pour eux-mêmes congruence et cohérence. J'ai vu aussi des managers se proclamer grand humaniste et se rendre compte qu'ils prenaient jusqu'alors toutes leurs décisions tout seul. L'efficacité de leur leadership en a été transformée. J'ai rencontré des managers qui ont su traduire leur lettre de mission en langage syndical et obtenir ainsi une adhésion inespérée de leur personnel. Ils avaient compris que malgré des représentations divergentes, ils avaient des intérêts convergents. J'ai vu ainsi des managers bâtir des changements lourds de leur organisation en comblant quelques infimes intérêts privés de leurs employés difficiles à déceler et garantir ainsi un succès collectif. J'ai rencontré des managers qui ont su voir l'importance de reprendre ou développer une activité créatrice rien que pour eux (du piano pour un, du tennis, du golf ou du théâtre pour d'autres) et trouver ainsi le ressort de résister plus sereinement à des circonstances managériales dures, difficiles ou douloureuses. J'ai vu des managers prendre des risques et des engagements qu'ils ne savaient pas prendre jusqu'alors, après avoir revisité positivement l'histoire de leurs propres succès. J'ai vu aussi des managers changer radicalement leur stratégie sur une prise de conscience violente et immédiate sur leur environnement ou leurs collaborateurs. La liste est longue et pourra être plus longue encore si l'on laisse à chacun de la compléter lui-même de ses propres expériences.
Comme nous l'écrivions dans un article pour la revue Société[4], la réalité n'est jamais que la conscience que nous avons du monde. Ce n'est que sur cette conscience et que par elle que nous saurons agir. Voilà pourquoi un coaching doit avoir pour vocation et pour principale préoccupation le développement cognitif du manager, lui apporter les outils d'élargissement de son regard, les éléments qui bousculeront ses points de vue, ceux qui conforteront sa sensation d'être quelqu'un de bien, d'être conforme à son éthique, congruent dans ses choix et ses actions, et aussi de lui apporter les modèles (ou paradigmes) qui lui permettront d'analyser autrement ses situations et de construire autrement ses solutions, mais sans jamais, au grand jamais, prendre de décision à sa place.
Jean-Marc SAURET
Une première version de cet article a été publiée sous le titre
"Il y a du bon dans le coaching" en mars 2004 in Humanisme et Management
Une première version de cet article a été publiée sous le titre
"Il y a du bon dans le coaching" en mars 2004 in Humanisme et Management
[1] Serge Moscovici, (Psychosociologue Professeur des Universités, Directeur de recherche à l'EHESS) Essai sur l'histoire humaine de la nature, Paris, 10/18, 1972.
[2] Ghiglionne Rodolphe 1990 Le "qui" et le "comment" in Cognition, représentation, communication . Traité de psychologie cognitive , R. Ghiglione, C. Bonnet, J.F. Richard.
[3] ibidem
[4] Jean-Marc SAURET, Perspective d'une trialectique de la réalité, in SOCIETE, n° 84, revue des sciences humaines de la SORBONNE, dirigée par Michel MAFFESOLI.
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